La Génèse
Introduction : origine du monde et de l'homme selon la Bible
1. L'origine de l'univers
2. Les différentes étapes de la création
3. Les différents modes de création
4. Qui est Eve ?
5. Les deux sortes de lumières
6. Les devoirs de l'Homme
7. La faute : "le péché originel"
8. La punition : l'exil, le malheur
9. L 'énigme du serpent : le mal
10. Le conflit avec la science
Document : La légende des siècles - Victor Hugo
Introduction : origine du monde et de l'homme selon la Bible
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La Bible (= "Le Livre") est le texte le plus ancien, sur lequel repose notre civilisation occidentale, dans lequel elle puise sa "Vérité".
La Bible raconte et explique l'origine du monde et de l'homme dans Genèse 1,2,3,4. (Texte à la fin du polycopié).
Pourquoi lire la Bible ?
Parce que ce texte lu, objet de foi, et considéré comme sacré par des millions d'hommes à travers les siècles, transmet non seulement une mentalité, mais contribue à la forger, (parallèlement à l'influence gréco-latine). Il explique et sous-tend beaucoup d'éléments de notre civilisation occidentale : le droit, l'art (peinture, musique, littérature, sculpture, architecture cinéma,... ont très souvent pris leurs thèmes dans la Bible), les rites, les coutumes, nos attitudes devant la vie, l'amour, le couple, le bonheur, la souffrance, la mort, la conscience, la liberté, le temps etc… et l'essentiel de nos valeurs (le vrai, le beau, le bien, le sacré). Enfin, il conditionne en partie la manière dont nous pensons le monde et dont nous nous pensons : origine, et statut de l'être humain. Pendant des siècles, durant tout le moyen-âge par exemple, la référence-clef des philosophes était la Bible. La Bible est notre héritage culturel. D'où la nécessité pour nous de lire et de connaître ce texte et de le considérer comme un élément indispensable de notre culture générale et philosophique. La Bible fait partie des grands MYTHES FONDATEURS.
Origine de la Bible
Les textes contenus dans la BIBLE sont très anciens, mais ils ont été choisis et sélectionnés par des groupes de religieux, Juifs pour l'Ancien Testament, (entre 500 et 300 avant J. Christ) et Chrétiens pour le Nouveau Testament, (par les Eglises grecque et latine vers le IVème siècle après J. Christ). Sur quels critères ?
La BIBLE est écrite au cours de plusieurs siècles par de très nombreux auteurs, individuellement ou parfois collectivement, (cercles de prêtres ou de Lévites). Certains auteurs sont connus, d'autres inconnus. De nombreux récits ont été transmis oralement durant des siècles, et peut-être déformés, avant d'être fixés par écrit par un rédacteur anonyme.
Le style des textes est très varié. Certains textes sont des récits historiques, d'autres ont une valeur doctrinale ou prophétique ou poétique ou encore philosophique. Ils ne peuvent se lire de la même manière. La Genèse propose deux récits de la création. Le premier est de tradition "sacerdotale", celle des prêtres de Jérusalem, qui porte son intérêt à l'organisation du culte, des lois et de la vie sociale. Le second récit correspond à la tradition "yahviste" d'origine judéenne, peut-être sous le règne de Salomon. Son style est vivant et coloré.
Il existe de nombreuses traductions de la Bible.
Comment lire la Bible ?
* Lecture religieuse
Selon la religion (judaïsme, christianisme et islam), ce récit est une révélation de Dieu. Mais Dieu et sa volonté sont inexplicables, inconnaissables, incompréhensibles. C'est sur ce mystère qui se fonde la foi des croyants. Selon eux, notre intelligence humaine est trop faible, trop petite pour pouvoir comprendre toutes ces "choses" qui la dépassent. Vouloir tout connaître, non seulement est impossible, mais relève de l'orgueil. Nous devons admettre nos limites de simple créature de Dieu. La foi est une adhésion du cœur à une vérité que l'on accepte de ne pas comprendre et que l'on respecte librement.
En réalité, selon les religieux, ce texte est codé, mais il existe une infinité de décodeurs, qui ne décodent pas tous la même signification ! Les Juifs, les Chrétiens ne lisent pas les textes de la même façon.
La Cabale (ou Kabbale) est l'une des techniques d'interprétation juive la plus célèbre. Elle se fonde sur la valeur numérique de chaque lettre hébraïque composant les mots. Elle permet de dégager un sens mystique crypté (=caché) qui n'apparaît pas dans une lecture naïve.
Aujourd'hui, des informaticiens affirment avoir trouvé un "code secret", leur permettant de trouver dans la Bible des informations sur le passé et le futur ? Quelle est la valeur de leur affirmation ?
* Lecture philosophique
L'attitude du philosophe devant la Bible est différente de celle du religieux. Il s'interroge :
PAROLE HUMAINE ? OU PAROLE DE DIEU ?
= Vérité de Dieu, ou ce que l'être humain a "envie" de se dire ?
1. Le message humain
Pour le philosophe, il ne s'agit pas nécessairement d'une révélation directe de Dieu, mais d'un message d'origine humaine, venant d'un passé lointain. Ce message a triomphé de l'oubli, parce qu'il exprime une forme de sagesse propre à une civilisation particulière (très différente de celle des Orientaux), et transmet des idées, des conseils, des valeurs, une vision du monde, qui forgent une mentalité particulière : la nôtre.
2. Le psychisme humain
Le philosophe se permet, en outre, de lire ce texte comme un exemple de projection du psychisme humain. En effet, de même qu'une caméra projette à l'extérieur d'elle-même le contenu de la pellicule qui est à l'intérieur d'elle-même, l'être humain extériorise, à travers des images son propre univers intérieur. Et il croit que cet univers existe réellement à l'extérieur de lui. Par exemple, Dieu pourrait être la conscience humaine "hypostasiée", (une hypostase est une substance existant réellement), et les animaux, celle de notre instinctivité.
Attention, une interprétation sérieuse et savante de ce texte (= herméneutique) exige une connaissance de l'hébreu, et une solide formation théologique. Les spécialistes de l'interprétation de la Bible s'appellent "exégètes".
Notre intention, ici, n'est pas de faire une telle lecture de la Bible, mais bien plutôt de la lire d'une manière naïve et littérale, au premier degré, comme des millions de gens l'ont lue. Nous analyserons quelle influence elle a sur notre manière de vivre, de sentir et de penser.
Nous verrons plus tard que d'autres civilisations pensent tout autrement sur presque tous les points.
1. L'origine de l'univers |
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Le problème fondamental de la métaphysique (la métaphysique est l'étude de ce qui existe au-delà du monde sensible, matériel), selon le philosophe LEIBNIZ est le suivant :
POURQUOI EXISTE-T-IL QUELQUE CHOSE PLUTOT QUE RIEN ?
Le mystère de l'existence
La pensée humaine bute sur cette question, et même la réponse "Parce que Dieu l'a voulu", ne nous satisfait pas. Dieu ne se suffisait-il pas à lui-même dans son éternité ? Qu'est-ce qui peut expliquer, justifier cette décision de créer un univers ? Quel est son projet ? Que sait-il de l'évolution de cet univers qu'il est en train de créer ? Sait-il que, dés le départ, les événements vont très mal tourner pour l'homme à cause du serpent ? L'existence du monde, avec tout son cortège de souffrances est-il préférable au néant ? Quel est le but de Dieu ? La création est-elle une activité grave et sérieuse, ou une sorte de jeu ? Notre univers est-il la toute première création de Dieu ou Dieu a-t-il déjà créé d'autres mondes "avant" le nôtre ? Mais cette question qu'y avait-il AVANT a-t-elle un sens si le temps ne commence qu'avec la création ?
La Bible s'ouvre sur le premier instant de l'existence de l'univers, son COMMENCEMENT, le moment à partir duquel tous les êtres vont se déployer dans la durée, le début du temps.
Le premier mot de la Bible est en hébreu Béréchit. Il existe, au cours des siècles chez les Rabbins juifs, plus de sept cents commentaires et interprétations de ce terme. Ce passage du néant à l'existence est le plus grand mystère qui soit.
Comment expliquer ce commencement ? On appelle ORIGINE, la cause, la raison, le principe, voire l'être, qui sont en deçà du commencement et qui ont pu le produire.
(Notre "commencement", c'est notre naissance. Nos "origines", c'est l'ensemble des êtres, de leurs caractéristiques, de leurs désirs et actions, et des événements qui ont précédé, déterminé, déclenché le "commencement" de notre existence, qui se définit par un lieu et une date de naissance.)
Le temps.
Mais le problème le l'origine est beaucoup plus compliqué quand il s'agit de l'univers, car il ne pouvait pas y avoir de temps "avant" le commencement, puisque le temps, (la durée) n'est enclenché qu'au moment du commencement! C'est une question difficile à comprendre. Le temps, (la succession "avant-pendant-après") est créée avec l'univers ? C'est au moment où la création commence que l'horloge cosmique se met en route. Dés le premier jour, l'expression : "Il y eut un soir, il y eut un matin", indique le début d'une succession dans la durée. Le temps ne devient mesurable qu'au quatrième jour, avec les luminaires qui "servent de signes [pour mesurer] les époques, les jours et les années" c'est-à-dire qui permettent l'élaboration des calendriers. Néanmoins, si le temps du début n'est pas mesurable, - c'est pourquoi il faut entendre par "jour", une période indéfinie, une ère, des éons peut-être (un "éon" est une durée infinie...), il a une double caractéristique.
1) Le temps est orienté comme une flèche. (Contrairement à la conception orientale, qui représente le temps par le mouvement cyclique de la roue.)
2) Le temps va du moins, (la nuit, les ténèbres, le vide) au plus (le jour, la lumière, de plus en plus d'existences). Cette conception suggère l'idée d'un temps constructif donc d'un progrès. Non seulement la création, mais l'histoire tout entière conduiraient les êtres, vers une évolution positive.
3) Le mouvement des "luminaires" c'est-à-dire de la lune et du soleil permettent de mesurer le temps.
La Bible nous dit que Dieu est à L'ORIGINE du monde (et du temps).
La création se fait-elle ex nihilo (= à partir du néant) ? Ou bien à partir du chaos ? Mais comment concevoir le chaos ? Est-ce déjà de l'existence ?
Dieu
Il est présenté comme un être non matériel, un "esprit" qui "planait au-dessus des eaux". Esprit vient de la racine spir = souffle, sorte de vibration, d'énergie, particulièrement puissante. L'image suggère dynamisme et mobilité, ("planait") et une supériorité évidente ("au-dessus"). Dieu se détache du chaos. Mais la caractéristique la plus essentielle de Dieu, c'est la PAROLE. L'expression "Dieu dit" revient sans cesse. Comment se représenter cette parole, qui n'est pas d'essence sonore, puisque Dieu n'a pas de cordes vocales! Sorte de vibration énergisante et structurante ?
Dieu est un être de parole.
Les différentes paroles divines ont une puissance absolue.
Dieu ne parle pas toujours de la même manière.
Son premier type de parole est créateur. "Que la lumière soit". Des êtres surgissent directement à partir de ce Verbe divin.
Le deuxième type est dénominateur. Dieu donne un nom, une identité sonore aux êtres qu'il crée. Mais il ne nomme pas tous les êtres ! Il laisse à l'homme le devoir de nommer les êtres qu'il n'a pas nommés lui-même.
Le troisième type de parole est un ensemble d'ordres, au sens "commandements", que cela se fasse. "Que la terre produise de la verdure….." "Que les eaux pullulent…"."Fructifiez et multipliez-vous….."
Le quatrième type de parole est la bénédiction. Au sens premier, la bénédiction est le fait de reconnaître la nature bonne d'un être, mais c'est aussi lui conférer un caractère sacré.
Le cinquième type de parole est la malédiction. Dieu punit les trois fautifs. Il maudit le serpent et le sol.
A qui Dieu s'adresse-t-il ? Aux êtres qui sont à sa ressemblance, ceux qui ont une parcelle de son esprit et qui de ce fait sont conscients et doués de parole.
Il parle donc d'abord à l'homme et à la femme qu'il vient de créer, cf. Genèse I, 28.
Puis à Adam, avant qu'Eve ne soit née, il donne l'interdit de manger de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, cf. Genèse II, 16.
Assez curieusement, il ne s'adresse pas tout de suite à Eve. Il laisse ce soin à Adam.
Enfin, après la faute, Dieu s'adresse d'abord à Adam, puis à Eve, et enfin au serpent ! Comme si le serpent était capable d'entendre la parole de Dieu!
2. Les différentes étapes de la création |
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C'est exclusivement par sa parole, que les théologiens appellent "VERBE" que Dieu crée l'univers. "Dieu dit... Dieu dit... Dieu dit...". Cette parole donne à la fois l'existence et l'ordre (= une organisation). Elle classe, définit, donne à chaque être une identité particulière.
"Jour" signifie ici "période", "étape", nous venons de le voir, et non une durée de 24 heures puisque le soleil n'est pas encore créé.
Jour n° 1 :
1. Le ciel et la terre.
La terre n'est pas encore le minéral (du 3ème jour), elle est matériau chaotique, fluide, sorte de "soupe" primitive, sans forme. Matière.
2. La lumière. ("bonne")
Ce n'est pas encore celle du soleil puisqu'il n'est pas encore créé. Sorte de force, d'énergie qui se propage et remplit l'univers de son existence.
3. Séparation lumière / ténèbres . Cette séparation rend possible le commencement d'une succession de moments, c'est l'apparition de la durée, du temps.
Jour n° 2 :
4. "Firmament". Etendue qui sépare le haut du bas. Création de l'espace.
Jour n° 3 :
5. "Terres / mers". ("bon") : Règne minéral
6. "Verdure". ("bon") : Règne végétal
Jour n° 4 :
7. Luminaires : Soleil et lune et étoiles. cosmos
Jour n° 5 :
8. Poissons et oiseaux. "Dieu les bénit" : Règne animal 1
Jour n° 6 :
9. "Bétail, reptiles". ("bon!") "Dieu les bénit" : Règne animal 2
10. "Homme et femme". ("Très bon!") "Dieu les bénit" : Règne humain
Jour n° 7
Repos de Dieu. Dieu bénit le septième jour.
3. Les différents modes de création |
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Pour créer l'univers, Dieu ne s'y prend pas toujours de la même manière. Il crée de quatre façons différentes. Le seul point commun, c'est le Verbe.
Le verbe est en même temps une parole-pensée-action.
1. Création du monde : directe par le Verbe. "Dieu dit : que la lumière soit et la lumière fut."
La parole divine est un ordre qui se réalise, se concrétise immédiatement.
Sont créés directement, la lumière du premier jour, le firmament, la terre, la fécondité de la matière, les deux luminaires (soleil et lune).
2. Création des êtres vivants : indirecte par le Verbe, elle rend la matière féconde.
"Dieu dit : Que la terre produise [...] de la verdure (règne végétal), ...des êtres vivants (règne animal).
La fécondité c'est-à-dire le fait de pouvoir donner la vie est une qualité donnée directement par Dieu à la matière. Les êtres vivants sont, non pas créés, mais produits par la matière.
3. Création spéciale de l'HOMME : par le Verbe, l'action, et la transmission directe de l'esprit divin à l'homme.
- Le Verbe : " Dieu dit : Faisons l'homme à notre image." (Premier récit.)
Tandis que les animaux sont créés à la ressemblance de l'homme, l'homme est créé à la ressemblance de Dieu.
- L'action : "Dieu façonna l'homme, poussière tirée du sol." (Deuxième récit.)
Origine commune avec les animaux, mais tandis que les animaux sont purs produits de la terre, l'homme, lui est fait d'une terre façonnée par Dieu. Sa forme est divine.
- La transmission directe : "Il insuffla dans ses narines une haleine de vie." (Deuxième récit.)
Dieu transmet directement à l'homme une partie de sa nature spirituelle. "L'haleine" ou le "souffle", étaient autrefois synonymes d'esprit. La racine spir que l'on trouve aussi bien dans respirer, inspirer, expirer, spiritualité, spirale montre bien cette parenté entre respiration, esprit et élévation. Pour désigner cette opération, les théologiens parlent de "transsubstantiation".
La transsubstantiation est le fait qu'une substance passe directement d'un être à travers (trans) un autre être. (Les Chrétiens emploient ce terme surtout pour expliquer "l'Eucharistie", le fait que l'esprit du Christ "passe" directement dans l'hostie (= le pain) et le vin de la communion.)
Ici, dans ce texte, l'idée exprimée c'est qu'une parcelle de divinité vient animer (= donner à la fois vie et âme) l'homme. Sans son esprit, l'être humain n'est qu'un morceau de matière. Avec son esprit, il est de nature divine.
On appelle cette conception : "dualisme". Elle affirme que l'homme est fait de deux substances: la matière, son corps, et l'esprit, son âme.
Donc l'homme a vraiment un statut particulier dans le monde et une supériorité réelle sur tout le reste de la création. Sa place est en dessous de Dieu, infra-dieu, mais au-dessus de tous les règnes, minéral, végétal et animal.
Mais si l'homme ressemble à Dieu, il n'est pas comme Dieu. C'est justement ce que le serpent lui propose plus tard, et qui présente pour lui le plus grand danger. Se prendre pour Dieu n'est-il pas cause de tous les malheurs de l'humanité ?
4. Création d'Eve : par le Verbe et l'action.
A partir du verbe : "Dieu dit", et d'une action : le modelage d'une côte d'Adam en femme.
Que représente Eve pour Adam ?
Est-elle la meilleure ? En effet si la création va dans le sens d'un perfectionnement croissant, des créatures, c'est elle qui est créée en dernier, donc la plus parfaite ? Est-elle la pire ? Ce n'est pas par hasard que le serpent s'adresse à elle, il perçoit son essence corruptible. Est-elle seule responsable du malheur qui s'est abattu sur l'humanité à cause de sa désobéissance ? La punition de Dieu qui varie selon les individus nous éclaire-t-elle ?
Savoir qui est Eve est une question fondamentale pour déterminer non seulement l'identité sexuelle, le rapport homme femme, mais aussi et surtout la place de la femme dans la société. C'est, en effet, presque toujours en se référant au texte biblique que les religieux, les penseurs et même les psychanalystes contemporains ont répondu à ces questions au cours de l'histoire. A partir de la Bible donc, et pour des siècles, le statut de la femme est fixé. Or la place d'Eve est très ambiguë : d'abord supérieure et valorisée, elle est finalement réduite au silence et rétrogradée…pour des siècles !
Il faut distinguer trois moments bien distincts : celui de sa création et de son séjour au paradis, puis l'épisode de la transgression, enfin le destin que lui inflige Dieu à travers sa punition.
I. La création d'Eve
Le premier humain créé par Dieu est Adam. Peut-être est-il à la fois "mâle et femelle", mais Eve n'existe pas encore. La création suit un axe de perfection croissante. Adam, créé en dernier et animé par le "souffle" divin c'est-à-dire par l'esprit même de Dieu, est au sommet dans l'échelle de la création. Or c'est encore après lui qu'Eve est créée. Donc elle serait encore plus parfaite.
Cependant, tirée d'une "côte" d'Adam de son "os" et de sa "chair", elle n'est qu'un appendice de l'homme, une partie de lui, donc incomplète. Elle ne retrouve sa complétude qu'en s'unissant à Adam en "une seule et même chair". Le problème est le même pour Adam, délesté d'une partie de lui-même. Mais la relation n'est pas symétrique !
A moins que la "côte" ne soit en réalité le "côté" comme l'affirment des traducteurs. En ce cas, Adam aurait été coupé en deux, séparé de sa moitié féminine. Eve serait alors son double complémentaire, "assortie" à lui et parfaitement égale dans sa différence.
Mais un autre obstacle surgit. Eve a été créée "pour" Adam et non Adam pour Eve. Afin qu'Adam ne soit plus seul, Dieu lui offre ce royal cadeau. Eve n'est-elle qu'un moyen pour augmenter le bonheur d'Adam au paradis ? Mais pourquoi la solitude d'Adam ne serait-elle "pas bonne" ?
Une autre traduction propose : "contre" ou "en face" , à la place de "côte" ou de "côté". Eve serait à la fois une limite au risque de toute puissance d'Adam s'il restait seul, et en même temps une interlocutrice permettant la communication. N'est-elle toujours qu'un "moyen" ou bien a-t-elle une force, un pouvoir supérieur à Adam pour pouvoir assumer ce rôle ? Son attitude au moment de la transgression permettra de répondre.
La supériorité d'Adam sur toutes les autres créatures se manifeste par son devoir et son pouvoir de les "nommer". Or, au moment où Eve est créée, c'est Adam qui lui donne un nom : "celle-ci sera appelée femme", puis plus tard, il l'appelle "Eve mère de tout vivant". Eve est silencieuse … jusqu'à sa rencontre avec le serpent.
Au pouvoir divin de nommer, le pouvoir tout aussi divin de donner la vie à tous les êtres humains n'est-il pas égal ? Eve d'ailleurs n'est-elle pas dans l'orgueil de la puissance lorsqu'elle affirme après la naissance de son premier enfant : "J'ai acquis un homme de par Yahvé", comme si Adam n'avait aucun rôle dans l'affaire ! La fécondité comme le langage viennent de Dieu, sur quel critère se fonder pour affirmer que l'un de ces deux "dons divins" est supérieur à l'autre ?
II. La tentation
De deuxième moment est plus explicite. C'est à Eve et non à Adam que le serpent s'adresse pour la tenter. On pourrait en déduire qu'elle est la plus faible, la plus docile. Mais ce n'est pas le cas. Elle résiste d'abord, elle conteste. C'est Adam, au contraire, qui se montre le plus docile. Il cède et avale sans discuter.
L'argument utilisé par le serpent pour persuader Eve est double : promesse de connaissance et promesse de toute puissance : "vos yeux se dessilleront et vous serez comme des dieux", et non plus seulement "ressemblants" à des dieux. Devenir égale à Dieu tel est le désir d'Eve puisqu'elle cède. Cette promesse n'aurait eu aucun effet si Eve n'avait pas eu au fond d'elle ce germe de volonté de puissance. Il se pourrait, alors, que dans le couple, ce soit elle la dominante. Elle pense, elle parle, elle résiste, elle agit, elle influence énergiquement Adam. Elle n'a même pas à le convaincre, il suffit qu'elle lui tende le fruit, il ne dit rien, il ne proteste pas (c'est pourtant à lui que Dieu a donné l'ordre de ne pas toucher à l'arbre de la connaissance du bien et du mal). Soit il ne s'en souvient pas, soit l'autorité d'Eve est si forte qu'il l'avale silencieux et passif.
III. La punition de Dieu est éclairante.
Dieu semble punir la transgression en fonction de la nature de chaque être.
- Le serpent qui s'est dressé vers le haut dans une sorte de rivalité avec le divin, est condamné à l'horizontalité, à "ramper sur le sol". Ayant dominé la femme, il sera dominé par elle. "Elle le visera à la tête".
- La passivité et la mollesse d'Adam sont sanctionnées par la condamnation à une activité épuisante : un labeur sans fin pour gagner son pain.
- Enfin la punition infligée à Eve la meurtrit doublement : son pouvoir de donner la vie ne sera plus vécu dans une glorieuse jubilation mais dans l'écrasement de la souffrance de l'accouchement. Son pouvoir sur Adam est transformé en une impuissante infériorité. Elle sera "dominée" par lui, à l'égale des autres créatures de la nature "les oiseaux, les poissons, le bétail…." Elle y perd sa dignité, une partie de sa nature humaine (être supérieure à la nature), et sa liberté. Enfin son droit à la parole lui est implicitement contesté. En effet, Adam est puni certes pour avoir "mangé de l'arbre" interdit, mais d'abord "pour avoir écouté la voix de [sa] femme". Si c'est une faute pour l'homme d'écouter sa femme, il convient donc de la réduire au silence en ne tenant jamais compte de ses avis.
Le droit, la morale, les mœurs se fondant sur ce texte ont douloureusement privé les femmes de leur liberté la plus élémentaire.
Au XX°, la revendication des femmes à l'égalité est-elle pernicieuse et dangereuse pour les hommes, reflète-t-elle la quête d'un paradis perdu ou est-elle tout simplement juste ?
La référence exclusive à la Bible pour définir l'essence de la femme n'est-elle pas contestable ? Ne faut-il pas nous dégager de cette rigidité conceptuelle qui emprisonne et les hommes et les femmes ? Pourquoi ne pas aller explorer dans la mythologie grecque toute la variété des modèles féminins ?
Mais faut-il toujours chercher cette identité seulement dans le passé et seulement dans notre culture ? Les "sciences humaines" en particulier l'ethnologie qui nous montre la variété des cultures, et les sciences, la biologie surtout, nous ouvrent l'esprit sur des perspectives infiniment plus riches.
5. Les deux sortes de lumières |
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Il y a deux sortes de lumières, l'une au commencement, invisible, et l'autre au moment de la création du soleil, visible, puisqu'elle est faite pour éclairer la terre. Dieu dit qu'elles sont "bonnes" toutes les deux.
Platon, dans l'Allégorie de la Caverne, insiste lui aussi sur l'existence de deux lumières, celle du "soleil" qui représente le divin, qui "tient le monde assemblé" (cf. Mythe d'ER), et celle du "feu" qui représente celle de l'astre visible, le soleil.
La lumière du premier jour n'est pas celle des astres, puisqu'il n'y a ni les étoiles, ni le soleil, ni la lune. La lumière du premier jour, est celle de l'esprit lui-même. Mais comment l'esprit peut-il être lumière ? L'expression est métaphorique. L'esprit est comme une présence qui charge l'univers de sa force, de son énergie.
Aujourd'hui plusieurs exemples peuvent éclairer notre propos.
1- Les scientifiques contemporains découvrent que partout dans l'univers existent des forces d'attraction extrêmement puissantes. Elles organisent et structurent la matière, et permettent l'émergence d'êtres de plus en plus différenciés. Si ces forces disparaissaient une fraction de seconde, l'univers se désintégrerait immédiatement. Elles assurent l'existence et la cohésion de l'univers. De plus, pour les scientifiques, elle sont, en partie, intelligibles, c'est-à-dire compréhensibles par l'esprit humain = l'on peut les traduire dans un langage mathématique. Cf. Hubert REEVES, Patience dans l'Azur.
2. Les Phénoménologues analysent de quelle manière, notre esprit ou notre conscience, en percevant le monde, le remplit et d'une certaine manière le fait exister. Notre conscience charge le monde de sa présence. Il est facile de sentir à quel point le regard de l'autre peut nous donner une intensité d'être que nous ne ressentons pas forcément tout seul. Sa "lumière" peut nous faire exister, ou dans certains cas nous blesser, nous voler notre être. Nous verrons ces questions dans le cours sur AUTRUI.
3. L'esprit de l'artiste "éclaire" le monde à sa façon. La double merveille, c'est qu'il parvient à nous montrer cette lumière invisible de son regard grâce à son génie et à son habileté technique. (Cf. le cours sur L'Art.)
6. Les devoirs de l'Homme |
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Adam et Eve (qui d'ailleurs n'ont pas encore de nom au début du récit) ne sont pas oisifs, ni inactifs au paradis. Ils ont des responsabilités, des fonctions à accomplir, des devoirs, un interdit à respecter pour rester au paradis, c'est-à-dire heureux.
En tout huit ordres leur sont donnés.
(Les "dix commandements" ne seront prescrits que beaucoup plus tard, par l'intermédiaire de Moïse.)
1. DOMINER
Dominer, ici signifie rester le maître de la création, en dessous de Dieu, au-dessus des bêtes.
Mais le verbe "dominer" ou l'expression "être le maître", peuvent être comprises en deux sens. En effet, un homme peut être supérieur par l'esprit ou par la force :
Etre maître par rapport à son disciple (esprit) ou maître par rapport à son esclave (force).
* L'esprit : Ce qui est demandé à l'homme dans ce texte, c'est de rester supérieur à la matière, et aux animaux, y compris le serpent, dans le sens de la verticalité, grâce à son esprit. Comme Dieu est au-dessus de l'univers, l'esprit de l'homme doit commander à la matière dont il est fait, et à son animalité, c'est-à-dire à ses besoins et désirs. "Soumettre la terre" c'est faire en sorte qu'elle obéisse. C'est possible puisque aucun autre être parmi les créatures de Dieu n'est doué d'esprit. Etre supérieur à la nature c'est ressembler à Dieu par la créativité, le langage, la pensée, la dignité... sur le mode de l'être. Mais les choses vont bien se compliquer avec le serpent qui propose à l'homme de gravir un échelon supérieur dans la hiérarchie et de devenir "comme Dieu".
* La force : Les hommes, eux, comprennent la domination sous l'angle de la possession et de la force. Dominer devient alors synonyme d'exploiter, de s'enrichir, de posséder, d'écraser, de tuer.... Et des hommes vont se mettre à "dominer" en ce sens, non seulement le monde et les bêtes mais aussi d'autres hommes auxquels ils refusent le statut d'hommes, et qu'ils transforment en esclaves ou qu'ils anéantissent. (Nous étudierons plus tard La Controverse de Valladolid).
2. Se multiplier et remplir la terre
Dieu donne à l'homme l'ordre d'être fécond, c'est-à-dire de produire la vie avec son corps, et de faire le plus possible d'enfants. Cependant, contrairement à l'expression "pulluler" Gen.1, 21. employée pour les animaux marins, et qui suggère une fécondité désordonnée, le verbe "Se multiplier", implique une fécondité maîtrisée, ordonnée.
Selon la Bible, la vie est sacrée, d'où le problème posé aux croyants par le suicide, l'euthanasie, l'avortement (I.V.G. = Interruption Volontaire de Grossesse).
Peut-on considérer aujourd'hui que la terre est suffisamment remplie ?
3. Se nourrir de céréales et de fruits
Dieu prescrit un régime végétalien. Pourquoi ?
Dieu s'occupe de tout, pour que l'être humain soit heureux, y compris du régime alimentaire des bêtes et des hommes. Quelle importance peut avoir la nourriture pour le bonheur ?
Dieu ordonne aux hommes d'abord de se nourrir "d'herbe portant semence" (blé, orge...c'est-à-dire des céréales, et des "fruits" des arbres. Gen. 1, 29. Ce régime est "végétalien".(Le "végétarien" lui, se nourrit non seulement de végétaux, mais accepte de manger des produits animaux, comme le lait, le beurre, les œufs. Les végétaliens et les végétariens ont en commun le fait de s'interdire de manger de la viande.)
Dieu ordonne aux animaux de manger de "l'herbe verte", régime "herbivore".
Le bénéfice est double
a. Il n'existe pas de chaîne alimentaire. Les plus gros ne mangent pas les plus petits à l'infini. Aucun animal n'est prédateur, aucun n'est proie. Le monde animal est paisible. Les tigres broutent de l'herbe!
b. Aucune rivalité entre le monde animal et le monde humain.
- Les animaux ne dévorent pas les hommes, inutile de s'en défendre en les tuant, ou de s'en protéger en les enfermant.
- Les hommes ne se nourrissent pas de la viande animale, donc la chasse n'existe pas.
- Les animaux et les hommes n'ont pas la même nourriture, donc chacun a son propre territoire qu'il n'a pas à défendre.
- Les animaux sont des aides pour l'homme. Paix et entraide caractérisent cet univers.
4. Cultiver le jardin
La création est pleine de semences, ce terme revient sans cesse, c'est-à-dire de germes, de potentialités d'existences à faire germiner, pousser, éclore, à faire advenir au monde, et cela demande un effort, exactement comme le travail du jardinier. En fait, l'homme a à continuer le travail de Dieu: faire éclore ce que Dieu a mis en semence. Mais si cultiver, c'est découvrir, et faire naître les potentialités qui sont encore cachées dans la nature, c'est aussi et surtout découvrir celles qui sont à l'intérieur de notre propre nature. De sorte que "cultiver le jardin" signifie aussi "cultiver notre jardin" : explorer, développer les aptitudes, les dons, les semences de génie qui sont peut-être au fond de chacun de nous pour les manifester au grand jour. En somme, l'homme est le jardinier de la nature et de sa nature.
5. Garder le jardin
Garder le jardin, ce n'est pas du tout en être le propriétaire! C'est conserver, respecter la vie et l'ordre qui règnent dans la nature et dans notre nature, c'est-à-dire à l'intérieur de nous-mêmes : ne pas perturber, détraquer, démolir, saccager ou polluer un univers qui ne nous appartient pas. Etre le gardien du jardin, c'est en être le régisseur et procéder à son entretien, veiller à ce que les plantes ne manquent pas d'eau ou de soleil, protéger chaque espèce.
6. Parler
Ce que Dieu attend de l'homme, c'est qu'il "nomme les animaux et tout ce qui vit". Parler est une fonction divine, c'est justement parce que l'homme est à l'image de Dieu qu'il a ce pouvoir de parler. D'où l'importance considérable donnée à la parole, à travers les siècles, pour déterminer si un être était humain ou pas. Les êtres qui ne possédaient pas la parole avaient un statut inférieur, égal à celui des animaux. C'est précisément sur le fait que les animaux ne parlaient pas que l'Occident a déduit qu'ils n'avaient pas d'âmes.
Au paradis, l'homme pose sur chaque être une vibration sonore qui est le reflet exact de son essence.
On appelle langage adamique ce tout premier langage de l'humanité, censé être la "photographie sonore" parfaite des êtres qu'il nomme. C'est ce langage qui existait avant l'épisode de la Tour de Babel. Il donnait aux hommes une puissance formidable sur le monde puisque Dieu craignait leur concurrence. C'est la raison pour laquelle Dieu fit disparaître cette langue originelle parfaite pour lui substituer une multitude de langues (Cf. récit de la Tour de Babel) qui n'ont pas de véritable pouvoir, parce que les mots que nous posons sur les choses ne sont plus que des étiquettes arbitraires sans aucun rapport avec l'objet désigné. (Nous reverrons ce problème dans le cours sur le Langage).
Si la parole est une caractéristique de l'esprit, il faut cependant bien distinguer la parole divine de la parole humaine. Tandis que la parole divine est en même temps une pensée, une parole et une action, et qu'elle est essentiellement créatrice, la parole humaine, exprime une pensée et vient après elle, elle n'est pas créatrice, enfin elle sert à nommer ce qui existe déjà. Elle correspond à une sorte de possession mentale de l'univers par l'homme. Mais la parole humaine peut se pervertir.
La religion juive insiste particulièrement sur la nécessité de respecter la parole. Le mensonge, le faux témoignage, le blasphème, la calomnie sont des fautes très graves.
7. Ne former qu'une seule chair
La différence masculin / féminin loin d'être un facteur de division est un principe d'harmonie, d'union, de fusion, et de fécondité. L'homme et la femme doivent retrouver leur unité originelle dans l'amour et la monogamie. Il est dit à l'homme qu'il devra quitter son père et sa mère pour s'attacher à sa femme.
Pourquoi n'est-il pas dit de même à la femme ?
8. Ne pas manger du fruit défendu
Tous les ordres de Dieu sont positifs, un seul est négatif : l'interdit de toucher au fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal (attention, il n'est nullement dit que ce fruit soit une "pomme"!). C'est une limite absolue. La punition de la transgression est terrible : "tu mourras." (En réalité elle est encore plus sévère : exclusion du paradis, travail, souffrance, hostilité entre les êtres...). Comment comprendre cet interdit ?
Puisque tout est "bon" ou "très bon" dans la création, il est inutile de vouloir assimiler une connaissance qui introduirait une coupure, une séparation, une sorte de classement à l'intérieur de la création elle-même, et qui décréterait que certains éléments sont positifs et d'autres négatifs. Ce clivage (= partage en deux) de la création serait dangereux et nocif. Il introduirait à l'intérieur d'une création harmonieuse, la division, la séparation, le morcellement, donc la mort.
C'est bon! C'est bien! Quelles différences ?
* "C'est bon" est une expression, une manifestation d'un état de plaisir, de joie, d'euphorie, d'élation, une sorte de dilatation de l'être, un sentiment de plénitude. La création est constamment jugée "bonne" par Dieu. La création est offerte à l'homme pour une jouissance joyeuse et innocente.
* "C'est bien!" est un jugement de l'esprit par rapport à des valeurs, une morale, des normes, règlements, lois..., devoir accompli, conformité aux exigences d'une société. Correspond à l'obligation et à l'effort de réaliser un idéal de perfection. Implique le rejet et le refus du mal, donc une tension, une sorte de raidissement.
Rester en deçà des classifications, de la dualité, dans une communion et une plénitude, où loin de s'opposer les différences s'unissent et s'harmonisent c'est justement cela qui est bon et rend heureux. Ce monde de l'unité est le paradis terrestre. Entrer dans la dualité, c'est le perdre. (Dans la plupart des religions, la quête du mystique, est précisément de retrouver l'unité perdue, au-delà de la dualité.)
Pourquoi cet arbre si dangereux se trouve-t-il au cœur de la création ? A quoi sert-il ? Dieu aurait-il pu ou du ne pas le créer ? Cet interdit sert-il à fonder notre liberté ?
7. La faute : "le péché originel" |
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L'interdit à été donné à l'homme. Pourquoi le serpent s'adresse-t-il à la femme ? Comment s'y prend-il ? Sa technique de séduction nous révèle-t-elle une fine connaissance de la psychologie humaine ? Quels sont les désirs humains fondamentaux ? Qui est responsable ?
L'ordre de ne pas manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal a été donné par Dieu à Adam avant la "naissance" d'Eve. Certes cet interdit s'adressait à la fois à l'homme et à la femme. Le serpent qui s'adresse à la femme connaît bien la psychologie humaine : l'orgueil, le refus des limites, le désir de puissance, présents aussi bien chez la femme que chez l'homme. Mais pourquoi ces défauts seraient-ils déjà présents chez l'être humain ? Dieu n'était-il pas très content de l'avoir créé, et ne l'a-t-il pas jugé "très bon" ? Difficile à savoir!
Bref, le serpent vient "narguer" Eve, son ton est celui de la dérision. "Alors, Dieu a dit… ?".
Eve connaît l'interdit, elle le répète. C'est alors que le serpent attaque, en traitant tacitement Dieu de menteur : "Pas du tout" (= c'est faux), et propose un bénéfice très séduisant : devenir plus intelligent, et plus puissant. Eve ne résiste pas. La faute; la consommation du fruit est très agréable. Adam cède encore plus facilement qu'Eve, il n'hésite pas, il ne discute pas.
Qui est le plus responsable ? Eve, pour avoir tenté Adam ou Adam, pour n'avoir pas empêché Eve de toucher à ce fruit ?
La tradition a rejeté toute la faute sur Eve et induit une misogynie millénaire.
Le résultat de la faute est immédiat. Les humains sont instantanément corrompus.
D'abord, ils ont peur de Dieu et honte d'être nus. Mais surtout, ils se désolidarisent, ils se dénoncent mutuellement, chacun rejette sur l'autre la responsabilité de la transgression.
L'homme dit : "C'est la femme que tu as placée près de moi qui m'a donné de l'arbre…"
La femme dit : "C'est le serpent qui m'a dupée…"
Dieu les juge tous les trois coupables.
La punition du serpent : Il est maudit. Il marchera sur son ventre (ce qui laisse à penser que les serpents avaient des pattes avant cet épisode!), et il mangera de la poussière.
La punition de l'être humain est beaucoup plus sévère.
8. La punition : l'exil, le malheur |
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Après la faute, la punition de Dieu est terrible. Elle frappe Adam, Eve et le serpent. Ils sont tous les trois chassés du paradis terrestre (Eden)et condamnés à la mort. Adam doit travailler pour se nourrir, Eve doit souffrir pour enfanter et être soumise à Adam, le serpent perd ses pattes, rampe au ras du sol et mange de la poussière. Laquelle de ces punitions est la plus sévère ? Les conséquences sont tragiques à tous les niveaux d'existence.
1 - Domaine physique, matériel
« Le manque : la terre est devenue stérile "Maudit soit le sol […], ce sont des épines et des chardons qu'il fera germer pour toi." L'homme connaît la faim, la soif, la fatigue. Il doit subvenir lui-même à la satisfaction de ses propres besoins par le travail, conçu comme une activité pénible : "C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain."
« La souffrance physique apparaît : Labeur du travail (déjà vu), souffrance des grossesses de la femme, blessures (par les épines et par les animaux – morsure du serpent-), vieillesse et maladie (puisque l'arbre de vie n'est plus accessible) et par conséquent mort.
2 - Domaine esthétique
Chassé d'un jardin où tout était "beau" à voir et "bon" à manger, l'on peut supposer qu'une terre stérile et pleine de ronces est "laide" à voir et "mauvaise" à manger. Disons plus prudemment, que l'homme s'est éloigné de la beauté, et qu'il a accès à la laideur.
3 - Domaine affectif
* Insécurité : l'homme n'est plus entouré des quatre fleuves symbole d'un amnios maternel.
* Solitude : la communication est brisée à trois niveaux :
- 1) l'homme et la femme sont séparés de Dieu.
- 2) L'homme et la femme entrent dans une relation inégalitaire génératrice de tensions et de solitude réciproque. (Un maître est seul en face de son esclave).
- 3) L'homme et la femme sont dans une relation d'hostilité avec l'animalité.
* Guerre, haine : meurtre d'Abel par Caïn, les enfants d'Adam et d'Eve.
4 - Domaine mental
Le langage n'est plus le signe de l'esprit, il ne sert plus à nommer les êtres, ni à "comprendre" le monde, mais à exprimer la volonté de puissance. La parole est porteuse et semeuse de doute, de soupçon, de négativité. Elle ne "colle" plus au monde, elle le dérange.
L'homme est aliéné (= a perdu sa véritable nature) et devient un étranger dans le monde.
Au moment de la tour de Babel, l'être humain est même privé de son propre langage.
Il est doublement exilé.
5 - Domaine moral
L'innocence est perdue. La transgression emprisonne l'homme dans la culpabilité (notion de péché, de faute) et le remords, mauvaise conscience qui le ronge.
6 - Domaine psychique
* La honte est le signe d'une division intérieure, d'un clivage entre le corps et l'esprit, et d'un refus du corps. D'où la nécessité de "cacher" le corps par des vêtements. Perte de la spontanéité. Début de la duplicité, de l'habitude de ne pas oser se montrer tel que l'on est et de jouer un personnage, ce que plus tard Freud appellera "Faux self", masque et révélateur de la névrose.
* L'Angoisse de la mort. Finitude douloureuse de l'homme. Inquiétude existentielle.
7 - Domaine métaphysique
* Absurdité : Le monde de l'exil est vide de lumière et de Dieu (pas de signes visibles de Dieu, silence de Dieu). Il est incompréhensible du point de vue du sens. Dimension tragique de l'existence. Nihilisme. Désespoir métaphysique. Déréliction.
* Errance : Pas de points de repère, l'homme ne sait qui il est, ni d'où il vient, ni où il va. Symbole du sphinx dans le désert.
Amnios = liquide qui entoure le fœtus dans le ventre de sa mère.
9. L 'énigme du serpent : le mal |
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Le serpent PARLE ! Et cela est très étonnant et incompréhensible. En effet, le serpent est créé par Dieu au sixième jour, sur le mode indirect, il est le produit de la fécondité de la terre. "Que la terre fasse sortir [...] des reptiles. " Il fait partie des "aides" créés pour l'homme, et il est jugé "bon". Il est semblable à l'homme en ce qui concerne sa nature corporelle, comme lui fabriqué de "terre", mais il en diffère foncièrement puisqu'il lui manque l'esprit : "l'haleine de Dieu". C'est pourquoi, en toute logique, le serpent, comme toutes les autres bêtes devrait être muet! Il n'est pas normal qu'il parle.
L'homme se situe entre Dieu, esprit pur et l'animal, pure matière animée. Il a la faculté de parler à cause de sa ressemblance avec Dieu. Mais sa parole ne participe-t-elle pas de ce statut mixte, puisqu'elle utilise le corps pour se manifester ?
Peut-être alors, cette parole typiquement humaine est-elle à la croisée du corps, (c'est-à-dire de l'animalité) et de l'esprit. Elle peut avoir un statut double : exprimer ce qui vient de l'esprit ou ce qui vient du corps.
Dés lors, ce "serpent qui parle" n'est-il pas le symbole de l'animalité humaine qui emprunte le circuit de la parole et, de ce fait, coupe celui de l'esprit. Mais tandis que l'animalité en général est contrainte au mutisme, la voici qui, en parlant, mute. La parole lui donne un degré d'existence qu'elle n'avait pas jusque là dans la création. La voici qui, en parlant, s'enfle, au point de se prendre pour l'esprit. Prendre la parole réservée à l'esprit, devient prendre la place de l'esprit. C'est bien le but visé par le serpent : "Vous serez comme des dieux!". Non plus à la ressemblance de Dieu, mais à la place la plus élevée dans la hiérarchie des êtres, celle de Dieu. Ce qui se dit ici, c'est la volonté de puissance, le désir de placer la force pure au sommet de tout, et finalement de faire en sorte que l'animalité triomphe. Cette parole là est entendue par l'être humain, homme et femme. C'est d'abord Eve qui l'écoute. Ce qui signifie que la volonté de puissance est autant l'apanage de la femme, que celui de l'homme, nous l'avons vu plus haut, (et c'est peut-être la raison qui obligera l'homme à la brimer ?). Mais Adam cède encore plus vite à la tentation, il n'hésite pas comme Eve, il ne discute même pas! Il mange le fruit.
Pourquoi, parmi tous les animaux de la création, poissons, oiseaux, bétail..., pourquoi le serpent et lui seul s'exprime ?.
Si l'on interprète les animaux comme étant les différentes tendances naturelles de l'humain, pourquoi, seule la tendance "serpent", est-elle si puissante et si désastreuse ?
Le serpent est un animal qui peut se redresser verticalement par la force de ses muscles, il a une puissance verticalisante. Au commencement, c'est l'esprit de Dieu qui est "en haut", mais voici que le serpent se met en travers de ce plan et de cet ordre divins. De dia (racine grecque qui signifie à travers), et ballein (en grec : jeter) est formé le mot diable celui qui se jette en travers de la création. Le serpent n'est-il pas en réalité un esprit hostile à Dieu qui se cache derrière la figure du serpent ? Analysons son comportement.
Comment se conduit le serpent ?
1. Il ment. 2. Il dénigre Dieu. 3. Il pousse à transgresser. 4. Il détient "une" vérité.
1. Il ment
Il affirme que ce que Dieu a dit : "Tu mourras!" est faux. "Vous ne mourrez pas!" Or il ment car la mort sera bien la punition de la désobéissance.
2. Il dénigre Dieu
Le serpent dit que Dieu est jaloux de sa propre puissance, qu'il pourrait la partager, mais qu'il préfère l'homme soumis. Le serpent perçoit la relation de Dieu à l'homme comme une relation de force. Il jette le soupçon sur Dieu. Il amorce une rivalité entre l'homme et Dieu.
3. Il pousse l'être humain à la transgression
- a) Au refus de la limite, de "l'ordre" conçu à la fois comme commandement et comme structure, organisation du monde.
- b) Il propose à l'être humain (femme et homme) de changer de niveau dans la hiérarchie de l'univers, de monter un degré plus haut, de s'égaler à Dieu, en devenant "comme des dieux", et finalement de devenir lui-même un Dieu. Est-ce possible ?
Commence à se dessiner une tout autre conception de Dieu, en tout point opposée au Dieu de la Bible, et qui ressemble à s'y méprendre à la figure du serpent : Le Dieu du serpent.
Esprit, subjectivité éclairante, se manifeste
directement au-dessus.
Parole créatrice : donne l'existence, la vie,
l'esprit.
Vie Fusion homme-femme, fécondité,
harmonie, paix, bonheur.
Amour. Tout est "bon" et "béni"
|
Le Dieu vu par le serpent.
Animalité, opacité de la force. Se cache, il est
dit qu'il est "rusé". Il ment. Il vient
d'en bas.
Parole corruptrice. Avide de puissance.
Cherche à prendre.
Mort. Le serpent introduit la discorde, la
séparation, la division et
finalement la mort.
Haine. Le serpent brise l'harmonie, et crée
La méfiance, la suspicion, le
malentendu, l'hostilité entre tous
les êtres. |
En résumé le "Dieu du serpent", il faudrait dire plutôt "le Dieu selon le serpent", est un être avide de puissance et de force qui cache ses intentions, ment à l'homme, le manipule, l'infériorise, le veut soumis, et lui propose un interdit inutile, qui n'a d'intérêt que de protéger sa propre supériorité. Il ressemble à ce "Dieu des armées" invoqué tout au long de l'histoire, et au Dieu de l'Inquisition.
En face d'une telle conception de Dieu ...deux conséquences :
a) Fascination des peuples pour un Dieu qui n'est rien d'autre que la divinisation de leur volonté de puissance. Un être fabriqué à l'image de l'animalité de l'homme. (Cf. Le Dieu de Sepulveda, dans la Controverse de Valladolid).
La Bible signale, en vain, le danger mortel pour l'homme et pour la civilisation, à vouloir refuser les limites et à ne pas respecter l'ordre naturel divin.
L'homme religieux n'échappe pas au piège de l'anthropomorphisme. (= voir les autres êtres du monde à l'image de ce que l'on est soi-même), c'est-à-dire se fabriquer un Dieu à "notre" image d'homme. Spinoza dénonce cette tendance dans toute religion.
b) Le refus légitime d'un tel Dieu, la préférence pour l'athéisme, c'est-à-dire un monde sans Dieu, et se condamner peut-être à l'errance, au désespoir d'un monde absurde. Cf. les univers décrits par Kafka, Beckett, Sartre.
Qui est Dieu ?
En face de ces dérives, l'on comprend mieux, les mises en garde de la Bible : l'interdiction de représenter Dieu en image, et même de le nommer. La définition que Dieu donne de lui dans la Bible : "Je suis celui qui suis", coupe court à toute figuration. Dieu est existence et subjectivité pures. Au moyen-âge, un courant théologique (la théologie est l'étude de Dieu), la théologie apophatique, affirmait que l'être humain n'était pas en mesure de comprendre Dieu. En effet, à chaque fois que l'homme pense ou dit quelque chose sur Dieu il exprime nécessairement une qualité (ou un défaut) de son être à lui (l'homme) qu'il attribue à Dieu. Donc à propos de Dieu, l'homme ne peut absolument rien penser ni dire. (C'est sans doute la raison pour laquelle le Bouddha n'a jamais rien voulu dire à propos de Dieu.)
Le serpent, Seigneur de la division
Après avoir inoculé le soupçon, la rébellion, le serpent a gagné. Il est la première fissure dans la création. A partir de là, le processus de morcellement, division, clivage, séparation est irréversible. Par ces brèches, la souffrance et le malheur entrent dans la création, et chassent l'homme et la femme du paradis auquel ils étaient pourtant destinés, et les conduisent à la mort.
"Leurs yeux se dessilèrent" (=s'ouvrirent). La connaissance de la dualité est immédiatement opératoire ; elle divise l'être sur-le-champ, à plusieurs niveaux.
* L'homme est coupé de son corps. Il se voit nu, or il l'a toujours été, mais subitement, il en a honte. La honte est une sorte de distance méprisante que l'on prend par rapport à soi, elle vient d'un jugement négatif sur soi-même (par rapport au bien et au mal).
* L'homme et la femme sont séparés de Dieu. D'abord ils se cachent, puis ils sont chassés hors du paradis, loin de la présence de Dieu.
* L'homme est séparé de la femme et réciproquement! Adam "dénonce" Eve, la charge de la responsabilité de la faute, et s'en désolidarise. Adam doit désormais dominer Eve, Eve est dans état de soumission. L'égalité et la fusion originelles sont définitivement brisées.
* La femme est coupée de son animalité, ou plus exactement, elle entre dans une relation d'hostilité avec son instinctivité. Le serpent doit "mordre" Eve au talon, elle doit lui "écraser la tête". De la division à l'hostilité, le chemin de la violence et de la guerre est ouvert. Les hommes qui naissent en dehors du paradis deviennent des assassins : Caïn tue Abel, et nous sommes tous les descendants de Caïn!
Après avoir goûté ce fruit du bien et du mal, l'homme ne peut désormais plus voir le monde autrement qu'à travers ces deux catégories du bien et du mal, donc en termes de jugements et de devoirs, "Tu dois, Tu ne dois pas", il a perdu complètement la spontanéité joyeuse qui lui était offerte pour l'éternité. Le serpent, Seigneur de la division, a définitivement barré l'accès au bonheur.
4. Le serpent détient une vérité
Le serpent n'a pas menti, du moins pas complètement.
En effet, après tout ce drame, Dieu dit : "Voilà que l'homme est comme l'un de nous pour la connaissance du bien et du mal!" Genèse 3. 22.
Ce texte est très énigmatique.
a Comment le serpent, être produit par la matière et sans esprit, pouvait-il connaître la nature du savoir divin. Ce que, même l'homme doué pourtant d'esprit, ignorait ?
b Pourquoi ce passage au pluriel : "Comme l'un de nous ? Les dieux sont ils plusieurs ? Un groupe de dieux ? Un peuple de Dieux ? Dieu n'est-il pas unique ? Ou bien s'agit-il des "êtres célestes comme les "chérubins" nommés à la fin du texte ?
c Ou bien, un seul parmi les dieux serait-il détenteur de ce savoir interdit ? Se serait-il fourvoyé dans la création, par ruse, sous la forme du serpent ?
d Certes, l'interdit servait à protéger l'homme de la dualité ou de la division, mais pourquoi avoir créé cet arbre funeste ? Pourquoi ne pas avoir protégé l'homme, et toute la création, du serpent ?
e Qui est ce "serpent", être qui a le pouvoir de s'affronter à Dieu ? Peut-il avoir été créé par Dieu ? Est-il en nous ou hors de nous ?
Un drame cosmique manichéen (= lutte entre les forces de lumière et les forces de ténèbres) se joue-t-il dans les coulisses, et le serpent n'en est-il pas l'acteur principal, "rusé" c'est-à-dire cachant sa vraie nature, nullement animale, mais plutôt "esprit du mal" ?
Dieu a-t-il dans sa propre création un rival puissant, le DIABLE ?
Les religieux répondent que si nous n'avions pas la possibilité de ce choix entre le bien et le mal, entre l'obéissance et la désobéissance, nous ne serions pas des êtres LIBRES.
(Par la suite, le serpent devient le symbole de la "libido" c'est-à-dire du désir sexuel, c'est ce que nous analyserons plus tard avec la psychanalyse de Freud.)
10. Le conflit avec la science |
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Certes, un lecteur du XXI° siècle, a tendance à projeter ses propres grilles venues de la science sur ce texte et à en faire une lecture cosmologique ou darwinienne.
De loin, l'on peut dire que la lumière du commencement ressemble à celle du "Big Bang", et que la succession des règnes correspond aux découvertes de la science.
Cependant, une telle lecture laisse vite découvrir des anomalies, voire des erreurs importantes. - D'abord, au regard de la science, la vie (du 3ème jour) n'a pas pu exister avant l'apparition du soleil (créé au 4ème jour).
- Ensuite, la terre (gè en grec = terre) n'est pas au centre du monde ni au centre du système solaire (comme l'affirme le géocentrisme biblique), mais elle tourne autour du soleil = Héliocentrisme : (hélios en grec = soleil) comme l'a prouvé la science.
- Enfin, l'homme n'apparaît pas directement, constitué d'un seul coup, mais au terme d'une longue complexification d'une espèce animale.
Que penser de ces contradictions ? Le récit biblique est-il faux ? Ou notre grille n'est-elle pas inadéquate pour interpréter un tel texte ?
Est-il illusoire et vain de vouloir plaquer une telle grille sur ce texte ?
Le point de vue religieux est symbolique, il est centré sur l'homme et sa valeur subjective. Chaque conscience se perçoit comme unique et se sent le centre du monde. Il est vrai que pour chacun d'entre nous, c'est le monde qui tourne autour de nous. C'est cette perception et cette valeur que le texte met en relief et à laquelle il donne de l'importance.
Aujourd'hui les philosophes diraient que ce texte exprime une vérité "phénoménologique".
Le point de vue de la science n'a rien à voir avec cette manière de penser, il est objectif, fondé sur le monde matériel, sa réalité objective. La science a pour but de décrire le réel, avec un langage mathématique, d'en comprendre les lois et le fonctionnement, et de prévoir le déroulements des phénomènes.
Conciliation ?
Science et religion ne nous parlent pas du même réel, cependant, dans une perspective plus vaste, ces deux points de vue peuvent coexister.
D'une part, au XX° siècle, l'Eglise catholique a officiellement reconnu l'héliocentrisme (Soleil au centre du système solaire) et le darwinisme (l'être humain descend de l'animal).
D'autre part, de nombreux savants interprètent la Bible au sens large, et expliquent l'évolution cosmique, la "complexité croissante" de l'univers, l'émergence de la conscience, par la présence d'un esprit "divin" au départ et au cœur de la matière. Nous aborderons cette conception : "le principe anthropique", à la fin du cours d'Anthropologie.
Le fragment de texte que nous avons choisi s'achève sur le meurtre d'Abel par Caïn.
Début de la violence de l'homme contre lui-même.
Caïn est laboureur, Abel est berger ?
Pourquoi Dieu préfère-t-il les offrandes du berger à celle du laboureur, donc la civilisation des pasteurs, à celle des agriculteurs ? Nous verrons le point de vue de J.J.Rousseau sur ce problème.
Quel message, quelle leçon ou quelle sagesse nous transmet ce récit ?
Cette analyse est loin d'expliquer le texte, elle en souligne quelques aspects, elle l'interroge surtout, sans en épuiser la richesse ni la complexité.
Est-il possible d'échapper à la violence et au malheur ?
L'être humain peut-il trouver ou retrouver le bonheur ? Nous aborderons ces questions dans les cours sur la VIOLENCE et sur le BONHEUR.
Document : La légende des siècles - Victor Hugo |
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Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva
Au bas d'une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine
Lui dirent : - "Couchons-nous sur la terre, et dormons." -
Caïn ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un œil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l'ombre fixement.
"Je suis trop près", dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l'espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil ; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
"Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes"
Et, comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes
L'œil à la même place au fond de l'horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
"Cachez-moi" cria-t-il ; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l'aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
"Etends de ce côté la toile de la tente."
Et l'on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l'eut fixée avec des poids de plomb ;
"Vous ne voyez plus rien ?" dit Tsilla, l'enfant blond,
La fille de ses fils, douce comme l'aurore ;
Et Caïn répondit – "Je vois cet œil encore !"
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : - "Je saurai bien construire une barrière."-
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit : "Cet œil me regarde toujours !"
Hénoch dit : - "Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle.
Bâtissons une ville, et nous la fermerons."
Alors Tubal Caïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d'Enos et les enfants de Seth,
Et l'on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des nœuds de fer.
Et la ville semblait une ville d'enfer ;
L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l'épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : "Défense à Dieu d'entrer.
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l'aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. – "O mon père !
L'œil a-t-il disparu ?" dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit : - "Non, il est toujours là."
Alors il dit : - "Je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien."
On fit donc une fosse, et Caïn dit : "C'est bien !"
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l'ombre
Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain,
L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.
V.Hugo, La légende des siècles.
D.Desbornes. 2009