Découverte de la philosophie
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La Science

1. Un concept scientifique

2. Formation du concept scientifique

3. Première rupture epistemologique

4. Deuxième rupture épistémologique

5. Les "obstacles épistémologiques"

6. L'esprit scientifique

7. La crise comtemporaine

8. Les limites de la science

9. Conclusion

 

1. Un concept scientifique

Un concept scientifique est autre chose qu'une idée abstraite et générale. C'est un système de propositions mathématiques composé de symboles abstraits, par exemple : E = mc². "L'énergie est le produit de la masse par le carré de la vitesse".   (E =énergie, m = masse, c = vitesse).

La fabrication du concept scientifique implique un choix, un tri, parmi les propriétés physiques d'un phénomène, auquel on fait correspondre par des méthodes de mesure appropriées, des symboles mathématiques. Cela implique un ordre logique, des relations entre ces symboles mathématiques. Il s'exprime par  un langage complètement abstrait, logique, universel, univoque, qui est "déréalisant", cf. Bachelard. Contrairement au langage commun qui est qualitatif et qui renvoie au senti, au vécu, au perçu, à travers les prénotions, chaud/froid, haut/bas, plaisir/ douleur…, le concept scientifique est l'expression d'un rapport entre des quantités.

2. Formation du concept scientifique

Cette formation a toute une genèse, une évolution, une histoire. Le travail de la pensée demande de la durée. Cette élaboration des concepts scientifiques doit s'effectuer à travers une lutte contre des obstacles liés à tous les préjugés, les intuitions sensibles, les idéologies,  les croyances. Ces obstacles, Bachelard les appelle "OBSTACLES EPISTEMOLOGIQUES". On les trouve, selon Bachelard, aussi bien dans le sens commun que dans certains systèmes philosophiques, et même chez les scientifiques. Pour que la science se constitue, il est nécessaire de rompre avec un mode ancien de pensée. C'est ce que Bachelard appelle   "RUPTURE EPISTEMOLOGIQUE". L'acquisition de l'esprit scientifique exige une  mutation de l'esprit. Le scientifique ne voit pas le monde de la même manière que le sens commun.

"Il fallait être Newton pour apercevoir que la lune tombe, alors que tout le monde voit bien qu'elle ne tombe pas". Alain.

Newton "aperçoit", le savant comprend plus loin que les autres. Il se réfère à un système de causalité qui établit des liens entre des phénomènes que personne ne songe à relier. En effet, "tout le monde voit bien", indique que le sens commun se fie à l'évidence sensible, c'est-à-dire à ce que ses yeux voient, sans aller plus loin. Or justement, affirmer, contre l'évidence que " la lune tombe" signifie que la lune obéit, comme tous les autres corps, aux lois de la l'attraction, c'est-à-dire de la gravitation universelle. La lune, tout comme la pomme, est attirée vers la terre, mais à cause de sa masse et de sa distance par rapport à la terre, elle se met en orbite.

3. Première rupture epistemologique

Le scientifique doit absolument se détacher de ses sensations, de l'opinion commune, (= de la doxa), et de la connaissance pré-scientifique c'est-à-dire des théorisations philosophiques [non-scientifiques parce que non quantifiables, donc non exprimable en langage mathématique]. Il doit se détacher des systèmes de pensées (idéologies, croyances), qui sont fondés sur des  images, des symboles reliés entre eux par des relations analogiques (pensée magique), même si elles obéissent aussi quelquefois à la logique.

Exemple de théories non scientifiques  :

* Théorie des atomes de Démocrite. Intuition de minuscules particules de matière insécables

* Théories d'Aristote

a) Hétérogénéité des deux mondes :

Le monde supralunaire (au-delà de la lune) dans lequel le mouvement des astres obéit à un ordre parfait, décrit par la géométrie et le monde sublunaire (en dessous de la lune), la terre dont l'ordre est imparfait, dégradé, imprécis donc non descriptible par les mathématiques.

b) Théorie des "causes finales" : la nature aurait des "intentions".

c) Théorie des "lieux naturels" : "chaque chose va naturellement vers son lieu". Le feu vers le haut, la pierre vers le bas …

* La vision des Poètes

"Si tu coupes un atome, tu trouveras un soleil et des planètes tournant alentour. Et quand cet atome ouvrira sa bouche, il en sortira un feu capable de réduire le monde en cendres" Rumi
Poète mystique afghan du XII° (1273), qui fonde l'ordre des derviches tourneurs (cité dans  Le Tao de la Physique, CAPRA)
 
* L'alchimie ou l'astrologie :
Ce sont des théories qui représentent une perception qualitative des métaux ou des planètes organisés selon un symbolisme analogique. Ces théories ou intuitions ne sont pas scientifiques, elles sont "noyautées" par le psychisme de "l'homme imaginal" (cf.Jung). L'homme voit dans le ciel en fonction de son monde intérieur, il "projette" ses structures psychiques collectives. Les Chinois ne "voient" pas dans le ciel le même zodiaque que nous. Ces systèmes présentent un intérêt pour les psychologues ou les sociologues qui désirent analyser la mentalité d'un peuple. Mais pas pour le scientifique.

La première rupture épistémologique correspond à "l'esprit scientifique concret". Bachelard. Elle consiste à se détacher tout net de toutes ces conceptions. Elle commence avec  les découvertes de Newton, Galilée et leur épistémologie. Leur conception de la science est traduite par Descartes (cf.introduction).

Il ne s'agit plus d'une description de la réalité mais d'une transposition, d'une traduction qui refuse la sensation.

-  Par exemple le poids n'est plus estimé à l'aide d'une sensation musculaire mais résulte de la lecture de la position de l'aiguille sur une balance.

- La force n'est plus estimée par l'intensité d'une douleur mais par la mesure de l'allongement d'un ressort.

- La présence de l'électricité n'est plus perçue par l'électrocution de la peau, l'intensité des picotements mais mesurée à l'aide d'un galvanomètre. La température n'est plus le résultat de l'impression du toucher mais elle est lue à travers la mesure de la dilatation d'une  colonne de  mercure dans un tube transparent : le thermomètre.

L'objectivité passe par la médiation d'instruments. L'instrument est lui-même une connaissance matérialisée, une construction à la fois théorique et pratique. Elle permet une saisie quantitative du phénomène. Le thermomètre à mercure est la matérialisation de la théorie de la dilatation (loi de la dilatation des métaux proportionnelle à la chaleur).  L'élaboration des instruments est de plus en plus complexe. Par exemple au XX° une étoile se définit par son spectre c'est-à-dire sa lumière, d'abord captée par un télescope, puis réfractée à travers un prisme de cristal. Le microscope électronique, tous les instruments scientifiques permettent à la fois un ELARGISSEMENT et en même temps une MUTATION ou métamorphose, de la perception.

Le fait n'est plus perçu, mais construit, fabriqué. Cette transposition de la perception aboutit à une élimination de la subjectivité. Et finalement l'objet dont "parle" le scientifique n'a plus rien à voir avec celui dont parle le sens commun.

4. Deuxième rupture épistémologique

Cf. Le nouvel esprit scientifique, 1905 est défini comme la "possession épurée de la pensée du monde". Par exemple, la mécanique ondulatoire en 1924, la théorie de la relativité en 1905. Relativité restreinte, relativité du Temps (en fonction de la vitesse dans l'espace), relativité de l'espace (en fonction de la vitesse), univers quadridimensionnel…E=mc²…

La théorie de la relativité généralisée 1916, (déviation lumière par la pesanteur, géométrie de Riemann, expansion de l'univers, fini mais illimité (cf. cours sur la cosmologie)

Il n'y a plus aucune image à laquelle se référer, la conception scientifique du monde est totalement épurée, et elle devient impossible à vulgariser. Par exemple la découverte du "Quanton" (qui n'est pas un électron, qui n'a pas d'onde).  "On peut dire ce qu'il n'est pas, mais pas ce qu'il est". Peu de mathématiciens affirment avoir complètement compris la théorie de la Relativité.

5. Les "obstacles épistémologiques"

Ce sont les entraves, lourdeurs, lenteurs, freins à la progression scientifique, toutes les causes d'inertie, de régressions…d'empêchements à la faculté d'abstraire.

Ces obstacles se trouvent dans la société (ils sont d'ordre collectif), les mentalités, préjugés, idéologies…mais  aussi chez le savant.
"Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés" Bachelard.

Cf. Descartes : "Nous avons été enfants avant que d'être hommes". (Donc nous sommes tous  remplis de préjugés).
Rôle des images, des sensations, de ce que Freud appelle "représentations" toujours reliées aux affects donc pas  logiques.
L'obstacle épistémologique est "une contre pensée", "un complexe impur des intuitions premières." Bachelard.

Exemples d'obstacles épistémologiques

1. L'expérience première

Par exemple  "l'explosion au cours de chimie". Bachelard explique à ses élèves la théorie, c'est-à-dire les raisons, les causes pour lesquelles les deux corps mis en présence doivent produire une explosion. L'explosion a lieu. Bachelard lors d'un contrôle demande à ses élèves d'expliquer l'explosion. Il se rend compte que la plupart des  élèves ont tout oublié et sont incapables de théoriser. Pourquoi cet oubli ? Bachelard est un grand lecteur de Freud. Il demande aux élèves de décrire ce que chacun a ressenti pendant l'explosion. A travers leurs réponses, qui décrivent leur frayeur, la surprise du voisin, le désir que le professeur explose lui aussi… Bachelard comprend que cette expérience a suscité un intérêt psychologique. Certaines tendances anarchiques, agressives, antisociales ont pris le dessus. La représentation de l'explosion a été "noyautée" par des forces inconscientes, dans lesquelles l'importance du plaisir l'emportait. La force de l'affect annihilait la faculté de d'abstraire.

2. La connaissance par analogie

Exemple en 1669, la coagulation du sang s'expliquait par une comparaison avec le lait caillé et la graisse figée !

La fermentation avec levain et la digestion relevaient du même processus. En conséquence, il était vivement conseillé de secouer les bébés pour activer leur digestion !

3. L'obstacle verbal : l'éponge.

L'air était comparé à un corps spongieux

L'expression "le soleil se lève"

4. L'obstacle substantialiste : la colle.

Expérience : la poussière colle à une paroi électrique donc l'électricité  est une "colle".

5. L'obstacle de la libido

Par exemple dans les opérations alchimiques, les métaux sont sexualisés. Le fer est "masculin", il attire limaille parce quelle est de "nature féminine".

6. L'obstacle de la mesure

"Il faut réfléchir pour savoir mesurer" et non l'inverse. Par exemple au XIX°, l'interprétation erronée de statistiques sur le suicide. En analysant les résultats, il apparaissait que les Protestants se suicidaient plus que les Catholiques. La religion était-elle en cause ? Si l'on "regardait" plus loin l'on se rendait compte que les Catholiques vivaient en majorité à la campagne dans des structures traditionnelles tandis que les Protestants s'étaient beaucoup plus investis dans le monde de l'industrialisation, dans les grandes villes. Les causes n'ont plus rien à voir avec la religion.

La nécessité d'une mutation brusque chez le scientifique lui demande de renoncer au senti au vécu. Cela implique une ascèse.

6. L'esprit scientifique

1.  "La philosophie du NON" Bachelard. Tout ce que le scientifique doit refuser. Il doit douter, remettre tout en question, développer un véritable esprit critique. Esprit inquiet, méfiant, curieux, le scientifique a le sens des problèmes, il s'interroge, il sait formuler les problèmes. Cf. Descartes, Méditation 1.

Il doit pratiquer une véritable "catharsis" (= purification) sensorielle, affective, et idéologique. Ce qui l'entraîne très loin de la mentalité commune.

2.  Mais il dit  OUI :

- A la curiosité, ouverture sur le monde "la science est fille de l'étonnement" Platon.

- A l'imagination rationnelle c'est-à-dire à une anticipation des solutions, mais qui suppose déjà tout un bagage scientifique. Il faut être déjà bien savant pour se poser les bonnes questions, être en possession d'une culture scientifique, d'un langage mathématique, univoque et d'instruments scientifiques de mesure (objectivité).

- A la raison à la croyance dans le déterminisme. Tout a une cause, tout s'explique logiquement. "Les mêmes causes produisent les mêmes effets".

- A l'humilité : soumission à l'exigence de vérification. Preuves, honnêteté intellectuelle.

- A la patience : volonté, discipline.

- A la solitude : Il est loin de "tout le monde".

7. La crise comtemporaine 

 1.  Perte de la matière

L'atome n'a pas de consistance, il est tantôt particule, tantôt onde. Il est impossible à localiser. "La matière n'appartient pas à un endroit défini, mais présente des tendances à l'existence", Capra. La matière est "turbulence", "tourbillon", "tournoiement d'énergie" dans le vide.
Cf. Russell "on ne sait pas de quoi on parle".

2.  Evanouissement de la distinction sujet/objet

Cette distinction fondait l'épistémologie cartésienne, or, les propriétés d'un phénomène varient en fonction des techniques d'observation. L'observateur modifie voire crée le réel à observer. C'est lui qui pratique une "découpe" dans un champ. Mais en réalité des interconnexions s'établissent entre le champ "extérieur" et le monde "intérieur", entre les électrons extérieurs et ceux du cerveau qui les étudie. Il est désormais impossible de séparer le connaissant (sujet) du connu (objet). Le réel offre une "globalité indivise de l'existence". Le réel est opaque à la conscience qui l'observe et qui en fait partie. Matière et conscience sont peut-être deux aspects, deux faces d'une réalité plus fondamentale.  (Cf. le Congrès de Cordoue).

3.   Perte de la causalité

Le "saut" d'un électron d'une orbite atomique à une autre semble spontané. On ne décèle pas de cause. On est obligé de se fonder sur une "probabilité d'existence ". D'où l'apparition d'une théorie de l'imprévisible : la "théorie du chaos".

4.  Apparition de la notion de synchronicité qui bouleverse tous les schémas logiques. La matière serait "informée" instantanément des événements du réel. Par exemple les molécules d'eau sont "instantanément" informées des explosions solaires, avant que la lumière du soleil n'arrive sur la terre avec cette information. Déjà en 1917, Einstein affirmait la possibilité de l'existence de "signaux plus rapides que la lumière". (cf. Science et conscience, Stock 1978).

5.  Hypothèses et recherches sur l'existence d'un univers super-lumineux

Les "tachyons" de Feinberg 1966. "Positrons" de Dobbs 1967. Le monde serait fait de trois univers :

a) Sous-lumineux : la matière.

b) Lumineux : l'énergie ;

c)  Super-lumineux : la conscience. (Dutheil 1992 /D.Bohm/K.Pribam/Capra. etc.)

 

8. Les limites de la science

Une théorie scientifique n'est pas toujours vraie au sens absolu c'est-à-dire définitive. Elle est toujours relative, approximative, la science est inachevée, en évolution, en construction. Le scientisme, théorie qui affirme que tout s'explique scientifiquement est dangereux et dogmatique. Il reste encore beaucoup d'interrogations. Plus on trouve de réponses, plus les problèmes nouveaux surgissent. Cf. en cosmologie (voir le cours)

1.  Régionalisation de la science

La science exige une séparation des disciplines, la délimitation de différents secteurs, de  frontières. Les concepts forgés à l'intérieur d'une science ne peuvent pas être exportés dans une autre science.
Par exemple il est illicite et dangereux d'utiliser les concepts de la biologie pour les appliquer à la psychologie, comme tentent de le faire les "socio-biologistes". La présence de la conscience modifie les données biologiques.

2.  Limites du code fabriqué par le cerveau humain.

L'intelligence humaine et le code logico-mathématique fabriqué par elle sont-ils seuls adéquats pour comprendre et exprimer le réel ? Problème du cerveau droit : émetteur, et du cerveau gauche : récepteur-radar. Problème du décodage des informations ? (Cf. cours sur biologie).

3.  Limites imposées par "l'inutilisation" du cerveau humain. 1/100e de ses possibilités selon le professeur Lhermite, 1/1000.000 selon les neuro-biologistes allemands.

4. Limites morales

La connaissance à tout prix ? La vérité scientifique est-elle au-dessus des autres valeurs ?

* Cf. budget  USA, environ :  50% défense, 25% espace, 12% atome, 13% amélioration des conditions d'existence.

* Problème des retombées des recherches. Dégradation du potentiel humain, de la santé animale. Expérimentation sur les hommes, sur  les fœtus. Dégradation de la biosphère, des écosystèmes...

* L'objectivité du savant exige la mise entre parenthèses de toutes les valeurs humaines (sentiments, conscience, morale) d'où le risque de déshumanisation.

* Tous les problèmes déjà examinés dans le cours sur la biologie contemporaine. PMA, clonage etc. d'où la création des comités d'éthique (science + conscience).

Importance du "pouvoir thanatocratique" de la science. M. Serres. La puissance de mort de la science qui peut tout détruire en 15 minutes, l'emporte sur son pouvoir de création.

5.  Limites de la communication  c'est-à-dire de la vulgarisation. La connaissance implique la maîtrise de théories tellement abstraites et épurées qu'elles sont incommunicables à un public non savant. Toutes les théories contemporaines sont incompréhensibles pour le public.

D'où l'hermétisme de la science, son élitisme obligé et la solitude de plus en plus grande du savant. Coupée totalement du public, "La science suscite un sentiment d'ignorance et de solitude dont l'intensité est proportionnelle au savoir", Oppenheimer.

6. Le retour de l'obscurantisme

Le public ignore le contenu de la science. Mais il sait quelle est sa puissance, qu'il assimile à une toute puissance. L'ignorance et la peur réactivent l'exacerbation des angoisses, des inquiétudes, de la violence, des passions et favorisent le retour du "refoulé". Il y a là un grand risque de retour à l'obscurantisme et à des comportements archaïques.

Paradoxalement le progrès de la rationalité (science) favorise l'émergence de l'irrationalité.

9. Conclusion

Que pouvait vouloir dire Malraux (athée) quand il affirmait :"Le XXI° siècle sera religieux ou ne sera pas ?"

Peut-être l'idée que si nous n'étions pas capables de sacraliser une valeur (l'humanité), nous sommes condamnés à nous détruire par la science ?

A moins que comme le suggère le mythe de Prométhée, notre maturité et notre prise de conscience nous conduisent à renoncer à la toute puissance et à devenir immortels ?

 

D.Desbornes. 2009