Découverte de la philosophie
Accueil Cours Méthodologie Auteurs Textes Recherche Google Contact

Le Travail

Introduction et problématique

1. Les conceptions traditionnelles du travail

2. Conception hégélienne du travail

3. Conception marxiste du travail

4. Le progrès de l'humanité grâce au travail

Conclusion

Introduction

Le Travail est une activité essentielle dans laquelle l'homme s'affronte au réel, pour y puiser ses moyens d'existence, et pour le transformer. Mais en même temps il demande souvent un effort pénible à l'être humain et semble, sinon lui ôter, du moins paralyser grandement sa liberté. L'origine du mot "travail" est un terme latin tripalium qui était un trépied sur lequel on torturait les suppliciés. Traditionnellement la notion de travail est associée à une punition de Dieu, (voir la Genèse), à un destin auquel nul ne peut échapper puisqu'il émane de la volonté de Dieu. Pourtant très vite des hommes ont compris que faire travailler les autres leur assurait un double bénéfice, d'abord celui d'échapper eux-mêmes au piège du travail, et ensuite celui de s'enrichir. Le travail en effet est créateur de toutes les richesses économiques et sous-tend toute la société :

Verticalement, nous profitons de tout le travail de nos ancêtres, des villes construites, de toutes les infrastructures, de toute la technologie, de ce que nous  appelons le progrès. 

Horizontalement, nous dépendons tous les uns des autres ; en cas de grève, toute notre société est paralysée !

Dans les sujets de Bac, il vous est quelque fois demandé d'analyser les rapports entre le travail et le loisir ou entre le travail et le jeu.
Le loisir est un temps en dehors du travail. Il peut être consacré à l'inactivité totale (paresse ? ou repos nécessaire  ?) ou à une activité sportive, intellectuelle ou ludique.

Le jeu est une activité normative (=  dans laquelle le joueur doit respecter les règles du jeu), libre (= le sujet n'est pas contraint), gratuite (= qui ne produit rien), censée apporter du plaisir.
Voyez si un type de travail peut s'apparenter à un jeu ?

PROBLEMATIQUE

Le travail est-il une nécessité incontournable, voire un "destin" auquel nous ne pouvons pas échapper ? Si l'on appelle travail n'importe quelle activité ne demandant aucune réflexion, aucune intelligence, mais seulement une force physique comme tirer de lourds blocs de pierre ou faire tourner un moulin, activités qu'un animal ou un cours d'eau peuvent réaliser, ce travail abaisse-t-il l'être humain ? Nous prive-t-il de notre liberté ? La répétition du même geste annihile-t-elle la pensée ou au contraire permet-elle son essor ? Le philosophe stoïcien Epictète n'était-il pas  un esclave ?  Le seul moyen d'échapper à l'obligation de travailler est-il de mettre les autres au travail pour soi ? N'y a-t-il pas d'autre alternative que d'être esclave ou esclavagiste ? Faut-il mépriser le travail (mais quel travail ?), et tenter de le fuir ou bien, comme le fait Marx, redéfinir le travail, et bien distinguer ce qui est activité humaine de ce qui est activité inhumaine  de telle sorte qu'il soit une activité noble ? De la confrontation intelligente de l'homme au réel ne peut-il pas résulter une double transformation, celle du réel d'abord, mais aussi celle de l'homme. Le travail que l'homme accomplit ne le sculpte-t-il pas lui-même, ne le grandit-il pas ? Le Travail n'est-il pas libérateur ? Cependant le progrès technique (la robotique en particulier) en remplaçant l'homme dans la plupart de ses tâches ne va-t-il pas, peu à peu, supprimer le travail ? L'homme-sans-travail entre-t-il dans la société des hommes libres, pouvant d'adonner sans limites aux loisirs et à la culture ou dans la société de "homme-déchet" sans aucun moyen de gagner sa vie ? En définitive, le progrès technique ne risque-t-il pas de "dénaturer" non seulement l'homme, mais aussi la nature ? Avons-nous, (mais qui ?) un pouvoir sur le progrès technique ?
 
Le travail peut être perçu sous un angle pessimiste : à l'origine, c'est une punition divine et une servitude liée au besoin. Mais il peut aussi  être perçu  de manière optimiste, c'est,  en effet, le moyen par lequel l'homme peut se libérer de l'emprise de la nature.

Avant Hegel et Marx (XIX°), les philosophes ne s'intéressent pas vraiment au travail, le travail  existe, c'est un fait, on en a une notion (c'est à dire une idée vague), mais pas un concept (c'est à dire une idée clairement définie ).

1. Les conceptions traditionnelles du travail

A) Chez les Indo-européens il y a trois types d'activités attribuées aux trois principales  castes en Inde, les Brahmine (prêtres), les Ksatriya (guerriers), et les Vaisya (éleveurs-artisans), qui correspondent, à peu près, aux trois aux trois classes de la société occidentale (le clergé, la noblesse, et le tiers état.) -(cf. les études de Dumézil)

1. Celle des prêtres : connaissance et transmission du savoir.

2. Celle des guerriers : guerre et exercice du pouvoir, ces deux activités sont des fonctions.

3. Seule l'activité du peuple est considérée comme un travail : élevage, artisanat, et, commerce. Néanmoins les classes dominantes avaient le devoir moral de protection de la classe dominée.

Cette division se retrouve  chez Platon dans La République. (Toujours la même influence  indo-européenne).

B) Pour Aristote, le travail n'est digne d'aucun intérêt et les esclaves sont  "naturellement" destinés au travail.  Ils sont assimilés à des "instruments animés", dont  Aristote espère bien que le progrès technique "nous" (= les Grecs)  libérera :

"Quand les navettes marcheront toutes seules, nous n'aurons plus besoin d'esclaves".

   (Attention n'entendez pas que les esclaves pourraient devenir des libres, dans l'esprit d'Aristote on pourrait les supprimer au sens propre puisqu'ils ne sont pas des hommes !)

   
C) Dans la civilisation judéo-chrétienne, il est dit dans la  Bible, (Cf le texte de la Genèse), que le travail est une punition de Dieu. Adam et Eve ont péché en transgressant l'interdit divin de toucher à l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Dieu  les chasse dans une région désertique où la terre devenue stérile ne produit plus rien. Dieu donne à Adam l'ordre suivant :
" Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front".

Le travail est en même temps ce par quoi l'homme peut se racheter (= gagner sa Rédemption). Mais le septième jour de la semaine l'homme doit se reposer comme Dieu à la fin de la création. Le travail  est à la fois une malédiction, et une vertu. Si l'homme  l'accepte, il le valorise.

Remarquez bien ici qu'on appelle travail n'importe quelle activité (cueillir des fruits, tirer des pierres ou des chariots..), pourvu qu'elle permette de subvenir à ses propres besoins vitaux. (Autrefois on disait : "gagner son pain", plus tard "gagner son beafteck" ! Les hommes s'enrichissent !

Les philosophes en général ne s'intéressent pas du tout au travail. Il semble que pour réfléchir il faille être libéré de cette activité. La plupart des philosophes ont des esclaves (Aristote, Platon ..) ou des domestiques et ne s'occupent pas des tâches matérielles. Pour méditer Descartes se retire de la société et se libère de toute activité.  Le premier philosophe qui s'intéresse au travail, est Hegel. Il n'en donne aucune définition, mais il met en scène la relation du travailleur (qu'il nomme "esclave") et de son maître pour en dégager l'essence et le devenir. A partir de cette analyse on peut dégager une définition de ce qu'il entend par travail. 

2. Conception hégélienne du travail

Idée de base : le travail est un processus libérateur pour le travailleur.

"L'homme en même temps qu'il agit (...) sur la nature extérieure, et la modifie, modifie sa propre nature, et développe les facultés qui y sommeillent".  (Hegel)

L'agriculteur, par exemple, est  obligé d'aiguiser son sens de l'observation, sa mémoire,  son intelligence, sa patience, sa ruse, sa volonté pour discipliner ses efforts et les rendre productifs. Peu à peu,  il progresse et se développe sur tous les plans jusqu'au point de désirer sa liberté et d'être capable de la réaliser.

C'est ce processus qu'analyse Hegel dans : La Dialectique du maître et de l'esclave.

Hegel appelle "dialectique" un processus de transformation qui passe par des phases de négation ( thèse / antithèse / synthèse). Exemple 1) thèse = le bourgeon apparaît. 2) antithèse =la fleur est la négation du bourgeon, elle le détruit pour surgir. 3) Synthèse = le fruit- négation de la fleur – est le produit positif de ce processus de négations. 

Il faut entendre par "esclave" non un individu particulier, mais l'ensemble de toutes les classes sociales qui ont travaillé, les esclaves, les serfs, et par "maître" la classe de ceux qui dominaient, les aristocrates par exemple.

Cf.  La Phénoménologie de l'Esprit.   Rappel des principaux temps :

Les activités des animaux obéissent à deux caractéristiques : 1) L'instinct de survie ou de vie2)  La quête d'un objet réel, concret (nourriture, nid, gîte …)..

Lorsqu'un être se dégage de l'animalité, pour devenir humain, il ne peut le faire que par la négation de ce qui en lui est naturel ou encore animal : le désir de vie et l'objet. Comment ? En désirant "mourir" pour "rien" (en tout cas rien de concret). Qu'est-ce que cela lui apporte ? L'essentiel pour lui : montrer qu'il n'est plus une bête, mais un être tellement au-dessus de la bête, tellement digne qu'on lui doit maintenant le respect, ou plutôt la "reconnaissance", il est un HOMME. La reconnaissance n'est pas un objet. (Hegel parle ici des gens qui préfèrent mourir plutôt que perdre leur honneur). L'analyse qui suit est purement théorique. Elle met en scène deux êtres qui veulent se montrer ou se prouver mutuellement leur "humanité". Leur relation, dans laquelle intervient le travail de l'un au service de l'autre, les modifie peu à peu tous les deux au profit de celui qui travaille. Cette conception est révolutionnaire.

1 - Deux "moi" (= deux consciences) s'affrontent, c'est à dire acceptent de risquer leur vie, justement pour signifier que chacun est plus que la vie .(= relation "agonistique" = de combat)

2 - Pendant le combat, l'un des deux a peur. D'une part, il porte sur la mort un regard de lucidité, mais d'autre part, il est soumis à son propre désir de vivre, comme les êtres naturels, il est esclave de la vie. Donc il se rend, il est vaincu. Il devient l'esclave du maître.

 Le maître est celui qui domine toujours son désir de vivre, il est au-dessus de l'animalité. "C'est seulement en risquant sa vie que l'on conquiert sa liberté" (Hegel), en effet par ce risque "pour rien", la conscience se prouve à elle-même et aux autres qu'elle n'est pas immergée "dans l'océan de la vie", mais indépendante.

3 - Le maître n'est maître que parce que une autre conscience est là pour le reconnaître, on dit qu'il n'est pas maître "en soi", mais par "une médiation", c'est à dire par l'intermédiaire de quelqu'un d'autre. Au début le maître domine les objets du besoin par son courage, ensuite il les domine par la médiation de l'esclave qu'il interpose entre la nature et lui et qu'il oblige à travailler pour lui. L'esclave, par son travail, transforme les objets matériels en objets de consommation et de jouissance pour le maître.

4 - Mais les rapports se renversent bientôt.
En effet, l'existence du Maître est une impasse  car il n'est pas reconnu par un être digne de le reconnaître, (à ses yeux, l'esclave n'est pas son égal). Le temps s'arrête pour le maître : il consomme, il jouit, il joue  (à des jeux "agonistiques" c'est à dire de combats et de stratégies, par exemple :la "guerre", la chasse, les tournois, les cartes, les échecs ...), il est dans un système répétitif. Par ailleurs sa liberté n'est que partielle, puisqu'il est totalement dépendant de l'esclave pour vivre.

Au contraire, l'esclave lui, par son travail transforme la nature en fonction des ordres du maître : (construire un palais, confectionner des vêtements, élever des animaux, les soigner, les transformer en plats de festins ...). Pour accomplir toutes ces tâches difficiles, il est obligé de discipliner ses besoins, d'être adroit, inventif, rusé, intelligent, fort, et de ce fait, il modifie sa propre nature et progresse.

Bref, en maîtrisant la nature, dans un premier temps il lui devient supérieur (à la nature), et peu à peu grâce à ce progrès, il prend conscience de sa liberté idéale (= théorique), comme d'une virtualité à conquérir. Il prend conscience  que, puisqu'il sait subvenir à tous les besoins du maître, il peut subvenir à ses propres besoins et donc s'affranchir de son maître, alors que son maître ne peut pas se passer de lui. Cette idée de liberté est une incitation au dépassement et à la libération effective. Elle est un réel moteur de l'histoire.

Conclusion de cette analyse. La liberté du maître est virtuelle, sa pensée est immobile, conservatrice. Le risque de la vie dépasse le donné sans le transformer. Le travail de l'esclave conduit vers une libération réelle, parce qu'il transforme le donné naturel et sa propre nature, dans un processus qui est évolutif, cumulatif (les produits de son travail s'accumulent au cours du temps). Il est créateur de l'histoire. Seul "l'esclave" peut engendrer une société où chaque individu pourra être reconnu dans son humanité par les autres. (Cf. interprétation du texte de Hegel, par Kojève).

L'événement historique qui illustre parfaitement ce texte est la Révolution de 1789. Ce ne sont pas  les "esclaves" à proprement parler qui en sont les auteurs, mais les Bourgeois qui sont eux les propres artisans de leur richesse et donc de leur liberté grâce à leur travail durant de longs siècles.

La lecture de ce texte est une véritable révélation pour Marx. Elle le conduit à prendre conscience de la véritable importance du travail dans la société où il vit et de la nécessité de révolutionner la conception du travail et la société elle-même.

3. Conception marxiste du travail

Pour Marx  le travail  est ce qui fonde la nature humaine et le point de départ de la société.
En premier, à l'aide de ce qu'il appelle une analyse "scientifique" du travail, il constate, au XIX°, que le travail est dévalorisé. Il montre que les conditions dans lesquelles les ouvriers travaillent sont inhumaines et dégradantes pour lui au point de "l'aliéner" = le rendre étranger à lui-même. Il explique en quoi le système capitaliste est injuste.

Il a le souci de revaloriser le travail, de le réhabiliter, d'en faire une activité NOBLE,

  1. d'une part pour  protéger les travailleurs (par exemple pour qu'on ne puisse plus les utiliser comme on utilisait les bêtes),

  2. d'autre part,  pour en faire un DROIT (= pour que chaque homme ait légalement la possibilité de revendiquer un travail, et que l'Etat ait l'obligation de le lui donner.)

  3. Enfin cette nouvelle conception du travail n'est possible que si une révolution politique a lieu, le passage au communisme.

 

ANALYSE "SCIENTIFIQUE" DU TRAVAIL SELON MARX

Marx a analysé, historiquement, dans Le Capital, comment, dans le passé, le travail s'est organisé, puis s'est dénaturé, et enfin s'est complètement perverti avec l'arrivée de la technologie : le machinisme. (L'arrivée récente  des robots  dans les entreprises rend le problème encore plus tragique pour les ouvriers). Le travail implique, dans son organisation, une répartition des tâches, cette division du travail se fait en plusieurs étapes.
 

Evolution historique du travail

1. La 1ère division est sexuelle

Nous avons vu dans le cours d'anthropologie, comment au moment de la découverte du feu, pour la survie de l'espèce, les premiers hommes ont dû se répartir fonctionnellement  les tâches : les hommes à la chasse et les femmes au "foyer", c'est à dire dans le cercle de feu  au service des enfants et des "faibles" (blessés ou vieillards). Cf. la théorie de Engels.

 2. La 2ème division est la spécialisation : l'artisanat

L'artisan conçoit le produit, achète la matière première, et réalise  (= rend concret) son produit en le fabriquant du début jusqu'à la fin. Soit, il le garde, soit il l'échange contre de l'argent. Il a mis dans son produit l'énergie de son corps, son intelligence, son "art" (= son habileté).

Au Moyen Âge il fallait dix ans d'apprentissage chez un maître et  réaliser son "chef d'œuvre" pour être consacré "artisan". L'artisan a investi une grande partie de lui-même dans son produit, mais ce produit lui appartient. Au Moyen Âge les corporations d'artisans étaient protégées par des règlements très stricts.

 3. La 3ème division :  l'émiettement du travail

Au XIX°, apparaissent  la rationalisation du travail  et le machinisme. Déjà au XVIII°, Smith explique que si l'on divise en 18 opérations différentes la fabrication d'une épingle et que l'on affecte un homme à chaque opération, on économise un temps considérable et on augmente d'autant la production. Au XIX°, les machines automatiques apparaissent,  les hommes deviennent des rouages, des intermédiaires assurant les relais entre les machines. Ils sont considérés eux-mêmes à l'égal des machines. Le travail à la chaîne se généralise. (Cf. Les Temps modernes avec Ch. Chaplin ou encore Métropolis, de F.Lang.)

Le TAYLORISME et le FORDISME sont des systèmes "scientifiques" d'organisation du travail. Le geste du travailleur est décomposé étudié dans ses moindres détails, de telle sorte qu'il agisse le plus automatiquement possible sans avoir à réfléchir. Le travailleur n'exerce plus la souplesse de ses organes, ni sa réflexion, ni son intelligence, ni sa créativité, mais seulement sa force mécanique. Il s'épuise, se déforme, il est dégradé, déshumanisé, rétréci. Les rapports entre les hommes deviennent des rapports entre des choses étiquetées (les ouvriers sont désignés par des numéros, interchangeables), du coup, ils deviennent "idiots, agressifs, brutaux, désespérés" Marx.

 Le travail devient une prison mentale, il

"(...) surexcite le système nerveux, empêche le jeu varié des muscles, comprime toute l'activité libre du corps et de l'esprit ; La facilité même du travail devient une torture en ce sens que la machine ne délivre pas l'ouvrier du travail, mais dépouille le travail de son intérêt". Marx, Capital I.

 En même temps, d'une part les emplois ont diminué puisque la machine a remplacé un grand nombre d'ouvriers, mais d'autre part comme  le travail est devenu très facile au sens où il ne demande aucune spécialisation, il est dégradé, "bête", donc n'a plus de valeur (ni en soi, ni économique). N'importe qui, sans compétence,  peut le faire. On embauche de préférence des femmes et des enfants auxquels on donne un salaire dérisoire. Le chômage augmente à toute allure, la misère parallèlement. Les ouvriers ont été dépossédés et sont aliénés (= sont devenus étrangers à eux-mêmes). Il est nécessaire selon Marx de procéder à une analyse économique scientifique du travail qui fait apparaître la nature de l'injustice dont les travailleurs ont été les victimes.

Valeur économique du travail.

Valeur économique du travail

Ce qui donne de la valeur à un objet c'est le travail. Une table a plus de valeur que le bois dont elle est faite. L'énergie, le temps, l'habileté qu'un homme a transférés dans un objet lui donnent un prix  une "plus-value". Ce prix est estimé en valeur économique et se détermine au "marché". Le marché est le lieu où se confrontent l'offre et la demande jusqu'à ce qu'une entente entre le vendeur et l'acheteur puisse s'établir sur le principe d'une équivalence des objets proposés. Cette entente est un contrat. Il n'est pas fixe car il y a toujours une fluctuation des valeurs. En effet le prix (la valeur économique) d'un objet dépend de plusieurs paramètres :

1. L'offre qui dépend de la  quantité et de la qualité du travail.

2. La demande qui dépend des besoins et des désirs du groupe. Les besoins concernent  l'alimentation, le vêtement, l'habitation, le mode de locomotion etc., ils varient en fonction du lieu, du climat, des coutumes. Les désirs sont beaucoup plus difficiles à cerner, ils relèvent de l'utilité, mais aussi et souvent de la mode et du caprice donc de l'inutilité et de l'imprévisible. Quelquefois il suffit de la présence de l'objet pour faire naître le désir (cf. la bouteille de coca dans le film Les dieux sont tombés sur la tête). C'est justement la fonction de la publicité dans nos sociétés de créer de toute pièce le désir jusqu'à ce qu'il se transforme en besoin.

Mais  revenons au début  et analysons avec Marx les différents types d'échange : le troc, l'échange économique, l'usure, l'échange chrématistique.

L'échange

1 ) le troc

Dans ce cas les deux parties s'accordent  pour échanger des objets matériels dont ils jugent la valeur équivalente, quelquefois même sans s'être vues ; dans les sociétés dites "primitives" les uns déposaient dans un lieu leur offre, les autres venaient plus tard, déposaient ce qu'ils proposaient en échange sans toucher à la marchandise, les autres revenaient, et, s'ils jugeaient l'offre suffisante, ils l'emportaient, sinon ils repartaient en attendant que les autres proposent mieux  le manège pouvait durer longtemps !

2 ) L'échange économique

Très vite, les hommes ont inventé l'usage de la monnaie, c'est à dire d'une valeur conventionnelle, symbolique et abstraite (même si les pièces étaient en or ou en argent, puis en métal sans valeur), mais réelle. La monnaie donne en effet le pouvoir réel d'acheter d'autres objets ou des biens économiques. Ainsi l'artisan pouvait vendre le produit de son travail et donc récupérer le prix de son travail.

3 ) L'usure.  (1er effet pervers de l'argent )

Très vite certains hommes comprennent qu'il est possible de "faire de l'argent avec de l'argent " : il suffit de prêter avec intérêt, sans avoir besoin de travailler soi-même. Le lien entre l'argent et le travail  se relâche. C'est celui  qui a emprunté qui doit travailler pour rembourser ses dettes, l'usurier s'enrichit grâce au travail des autres, il prête à un taux supérieur au taux légal.

4 ) L'échange chrématistique.  (2ème effet pervers de l'argent) : le négoce

Autre moyen encore plus efficace pour s'enrichir : à partir de l'argent, son possesseur peut acheter des matières premières (du bois), y ajouter du travail (le transformer en commode par exemple), et  revendre le produit. Mais pour faire un grand bénéfice il suffit d'utiliser le travail des autres, de le rationaliser, et de le payer au prix le plus bas possible. Telle est selon Marx l'origine du capitalisme. Le capitaliste, parce qu'il possède de l'argent (un "capital"), est en mesure d'acheter des "biens de production" (= des matières premières, et des structures technologiques - machines, usines - ), et les "forces productives" (= le travail des ouvriers), qui deviennent sa propriété. Son but est de s'enrichir en obtenant des bénéfices. Pour cela,  il suffit d'investir le minimum d'argent dans les forces de travail c'est à dire d'acheter le travail des ouvriers à un prix inférieur à ce qu'il vaut sur le marché (donc de récupérer pour lui - le capitaliste- une part importante de la "plus-value"), en baissant le plus possible les salaires. Cela est possible en cassant les anciennes lois de protection des corporations et en instituant des lois nouvelles dites plus "libérales" (par exemple la liberté d'embauche, de concurrence ou celle de fixer les salaires), mais qui ne profitent qu'aux bourgeois capitalistes. Ces lois (superstructure) ne sont que le reflet de ce qui se passe concrètement dans le monde du travail (infrastructure). "La superstructure est le reflet de l'infrastructure". Le prolétaire est un travailleur qui n'a que sa force de travail à vendre. Il n'y a que le prolétaire qui produise et c'est grâce à lui que le propriétaire peut augmenter son "capital", donc être un capitaliste ou un bourgeois.

Cette exploitation des travailleurs est, selon Marx, une injustice et conduit à une contradiction mortelle pour le système. En effet plus le capital s'accroît, donc plus la bourgeoisie s'enrichit, plus la misère augmente, donc la classe prolétarienne s'appauvrit. Cette contradiction devait selon Marx se terminer par une révolte et une destruction du régime. Les bourgeois sont leurs propres "fossoyeurs".
 
Marx propose alors une révolution fondée sur conception nouvelle et plus juste du travail de l'économie et de la société, qui supprimerait la lutte des classes en créant une société égalitaire, dans laquelle la propriété des biens de production ne serait plus privée mais étatique. Ce nouvel état assurerait au travailleur la satisfaction de tous ses besoins, sa dignité, (cf. conception nouvelle du travail  § II ), sa place dans la société par son droit au travail, son égalité avec les autres, et même son pouvoir politique, puisque cet état serait dirigé par les travailleurs eux-mêmes (= dictature du prolétariat), en attendant l'arrivée d'une société parfaitement égalitaire et libre :  le communisme.

C. Nouvelle définition et revalorisation  du travail

Marx propose du travail sa nouvelle définition suivante :

"Le travail est la transformation par l'homme, à l'aide de la technique, d'un objet naturel brut, en produit consommable, vital  ou  intellectuel". Marx.

 Cette définition implique plusieurs remarques importantes :

1 - la transformation par l'homme exclut toutes les transformations et métamorphoses opérées par la nature elle-même (par exemple la transformation de la graine en plante, du pollen en miel, voire de l'embryon en fœtus puis en enfant etc.)

2 - la technique comprend d'une part l'ensemble des instruments et des outils inventés par l'humanité, plus le mode d'emploi c'est à dire l'intelligence et la science. La force de travail humaine comprend l'ensemble des capacités physiques et intellectuelles de l'homme. Il est fondamental que l'intelligence remplace l'automatisme et l'instinct.

3 - l'objet naturel ou brut  c'est, par exemple, la terre, qu'il faut défricher, labourer,  ensemencer, la transformation s'exerce à plusieurs niveaux, le blé ensuite doit être transformé en pain ou en gâteau, mais ce peut être aussi un endroit qu'il faut rendre accueillant.

4 - le produit consommable est celui qui répond  d'abord aux besoins réels de la société, puis par la suite à ses désirs. Cela implique une utilité sociale. Ces besoins sont de deux natures :

a -  vitaux = ceux qui concernent la nourriture, l'habitation, le vêtement, les protections contre les agressions de la nature etc.

b - intellectuels = ceux qui apportent plus d'informations utiles sur la société, le passé, l'économie, le monde c'est à dire la connaissance, la SCIENCE.

Fonction de cette définition

Dans la société marxiste, cette définition permet d'éliminer du statut de "travailleur" tous ceux qui ne produisent rien, (les parasites, les fainéants, les drogués,) ou qui ne produisent pas de produits "utiles", par exemple les patrons, qui selon Marx, se contentent de profiter du travail des ouvriers ou encore, les prêtres dont le produit est "toxique", puisque la religion qu'ils transmettent est "l'opium du peuple" une sorte de drogue qui les endort et les empêche de se révolter contre les injustices dont ils sont victimes ou encore les intellectuels "idéologues" c'est à dire les hommes, les philosophes par exemple, qui spéculent sur des idées abstraites, ou inutiles ou dangereuses parce que contraires aux intérêts du peuple (= au marxisme de Marx).

 Mais alors le footballeur, l'artiste, l'interprète (pianiste, violoniste), le médecin, l'étudiant, le professeur, le balayeur, la prostituée, la "mère-porteuse", sont-ils des travailleurs selon cette définition du travail ?

 Réfléchissez : Lesquels le sont ?    Pourquoi ?   Lesquels ne le sont pas ?  Et pourquoi ? (Cf. discussion en classe).         

Glorification du travail

 Voici ce que pourrait être le travail dans une société idéale (tout le texte est au conditionnel) :

"Supposons que nous produisions comme des êtres humains : chacun de nous s'affirmerait doublement dans sa production, soi-même et l'autre. 1) Dans ma production, je réaliserais mon individualité, ma particularité (La particularité caractérise ce qui n'appartient qu'à un individu par opposition au général) . J'éprouverais en travaillant, la joie de manifester l'individualité de ma vie ; et, en contemplant l'objet que j'aurais produit, je me réjouirais de reconnaître ma propre personne comme puissance (La puissance doit s'entendre comme ce qui est potentiellement et l'actualisation comme ce qui se réalise)qui s'est actualisée, comme quelque chose de visible, de tangible, d'objectif. 2) L'usage que tu aurais de ce que j'ai produit, et le plaisir que tu en retirerais me procurerait immédiatement la joie spirituelle de satisfaire par mon travail un besoin humain, de contribuer à l'accomplissement de la nature humaine, et d'apporter à un autre ce qui lui est nécessaire. 3) J'aurais conscience de servir de médiateur entre toi et le genre humain, d'être éprouvé et reconnu par toi comme un complément à ton propre être et comme une partie indispensable de toi-même, d'être reçu dans ton esprit et dans ton amour. 4) J'aurais la joie que ce que produit ma vie servît à la réalisation de la tienne, c'est à dire d'accomplir dans mon activité particulière l'universalité de ma nature, de ma sociabilité humaine. Alors, nos productions seraient autant de miroirs où nos êtres rayonneraient l'un vers l'autre."                                                      
Marx, Manuscrits de 1844.

Réalisation en soi de sa propre nature humaine, utilité pour l'autre, occasion de joie, communication avec le genre humain… Le travail est ce qui fait de nous des hommes à part entière.

4. Le progrès de l'humanité grâce au travail

a ) ce progrès est une évidence sur le plan collectif

Lorsque l'on compare les conditions d'existence de l'Antiquité avec celles d'aujourd'hui, on constate à quel point l'humanité s'est libérée des contraintes naturelles. (Analysez tous les aspects du confort et de la facilité liés au progrès technique). Aujourd'hui, le progrès technique (robotisation des tâches), est en voie de nous libérer du travail lui-même. ( Voir ce qui a déjà été dit dans le cours sur la Technique)

1) Les machines électroniques sont équipées de mémoires très performantes et de logiciels capables d'effectuer des opérations logiques "intelligentes", elles constituent le domaine de l'informatique avec les prodigieuses capacités de traitement de toutes sortes d'informations, chiffres, textes,  sons, images, vidéo,  et même hologrammes (= images en trois dimensions). Fantastique aide pour la connaissance, et la communication. Elles libèrent l'homme des contraintes de la mémorisation et des calculs fastidieux, pour lui permettre de passer à un mode de pensée plus synthétique et créatif.

2)  Les robots. Ce sont  des outils et des machines automatiques reliées à des machines électroniques. On s'est amusé à donner à certains des formes androïdes =(humaines), la liste des tâches qu'ils peuvent accomplir est immense : ils peuvent remplacer un grand nombre d'ouvriers dans les chaînes de montage de toutes catégories d'usines, effectuer des gestes précis de manipulations dans les laboratoires les salles d'opération ou dans les centrales nucléaires, et même servir de "baby-sitter" aux U.S.A. ! Lorsque les robots remplacent les hommes, il y a beaucoup  moins d'erreurs, aucune fatigue, un rendement au moins décuplé. Ils fonctionnent nuit et jour, sept jours sur sept, n'ont pas besoin de vacances, ni de congés de maladie, ne demandent aucun salaire, mais seulement une énergie artificielle  (électricité le plus souvent ), ne protestent pas et enfin ne se mettent jamais en grève ! D'où l'intérêt,  pour les industriels, de ROBOTISER  leurs entreprises. Finalement l'homme a pu déléguer à la machine presque tous ses attributs et ses fonctions : ses organes, son énergie musculaire et mentale, sa mémoire et sa logique. (D'où la naissance du mythe du robot  qui deviendrait d'abord l'égal de l'homme, puis bientôt son ennemi, et la crainte d'une "révolte des robots". Nous avons critiqué une telle conception dans le cours sur la technique.)

La réduction du temps de travail à 35 heures est l'une des conséquences de cette robotisation. Notre société évolue vers les loisirs.

b ) Sur le plan individuel, la situation est plus complexe. D'un côté la vie de certains d'entre nous est devenue plus facile, mais d'un autre côté, des millions d'hommes et de femmes n'ont plus d'emploi ! Leur insertion dans la société devient problématique, parfois impossible.

Conclusion

Il semble que nous n'ayons nullement à craindre la rivalité des robots, mais qu'au contraire nous devrions nous réjouir de leur invention, puisqu'ils vont "nous" affranchir de toutes les servitudes. "Nous" allons enfin pouvoir entrer en toute sérénité dans le monde des loisirs.  Le souhait d'Aristote est réalisé : les navettes marchent toutes seules !  Le moment où "nous" n'aurons plus besoin de travailler est très proche. Mais n'est-ce pas là une vision  bien utopiste du progrès ? .

Qui serait ce "nous" bénéficiaire ?  Il faut être lucide et prendre conscience des énormes difficultés et problèmes engendrés par les mutations technologiques, d'abord pour l'utilisateur de la technologie, souvent piégé par elle, mais surtout pour le travailleur lui-même, qui risque non seulement d'être aliéné par son travail, mais encore d'en être dépossédé et de tomber dans la misère la plus totale. (Cf. le tragique problème du chômage.)

L 'analyse du travail nous a conduit à cerner son ambiguïté (conceptions pessimiste et optimiste) et sa fonction économique (il est à la fois producteur de richesse et d'inégalités). La gestion de cette richesse relève de la POLITIQUE.
 
(Ce régime politique sera étudié dans le cours sur L'ETAT, et nous nous interrogerons sur les rasons de  l'échec de la solution proposée par Marx.)

 

D.Desbornes. 2009