Découverte de la philosophie
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Culture - Nature : Notions d'anthropologie

Introduction : problématique et enjeux

1. L'Homme dans la conception biblique : le créationnisme

2. La reflexion philosophique sur la notion d'humanité

3. Naissance des "Sciences Humaines" :  l'évolutionnisme

4. Perplexité des penseurs contemporains sur l'avenir de l'homme

5. Conclusion

Document 1 : Réflexion sur la Genèse (Questionnaire et réponses)

Document 2 : La Controverse de Valladolid (Film de J.C. Carrière et commentaire)

Document 3 : J.J. ROUSSEAU - Etude d'un texte tiré de l'Essai sur l'Origine des Langues

Document 4 : L'Enfant Sauvage (Film de F. Truffaut et commentaire)

Document 5 : Texte de C. Lévi-Strauss - Tristes Tropiques

Introduction : problématique et enjeux

L'une des premières vérités que l'homme cherche à savoir le concerne directement. En effet l'un des premiers êtres sur lesquels il s'interroge est lui-même en tant qu'espèce.

PROBLEMATIQUE :

A quoi reconnaît-on qu'un être est humain ?

Sommes-nous vraiment différents des autres espèces qui peuplent l'univers ?

Qu'est-ce qui fait notre spécificité (= le caractère unique de notre espèce) ? Est-ce notre conscience ou notre raison ou un ensemble de caractères comme la parole, les rites, la technique etc. ?

Sommes-nous supérieurs à tout le reste de l'univers ? Si oui, d'où nous vient cette supériorité ? La devons-nous à un Dieu ? Serions-nous des créatures divines, douées d'une "parcelle de divinité", en bref des "infra-dieux" ? Ou sommes-nous le résultat final et original d'une évolution de la nature, d'un extraordinaire processus de complexification, en bref, un super-animal ? "Enfant de singe ou fils de Dieu ?" titrait l'un des derniers numéros de Science et Avenir (septembre 1997).

 Ces deux réponses s'excluent-elles nécessairement ou sont-elles conciliables ? Pourquoi ce conflit est-il aujourd'hui encore si épineux, au point qu'une nouvelle croisade contre Darwin voit le jour, en ce moment aux U.S.A. ? Notre valeur dépend-elle de notre origine ? Est-il plus noble et rassurant de "sortir des mains de Dieu" que d'être un produit de la nature ?

Enfin, si nous sommes au-dessus de toutes les autres créatures, cela nous donne-t-il des droits sur la nature (si oui, lesquels et sont-ils absolus ?), ou avons-nous des devoirs à respecter ? Si oui, où sont-ils inscrits ?

Mais, l'humanité  est-elle vraiment la plus évoluée de toutes les espèces qui peuplent la terre ou n'en sommes-nous qu'au stade embryonnaire de notre développement futur, "en rodage" dit E.Morin?

Sommes-nous des "merveilles" uniques (Sophocle) ? Ou bien ne sommes-nous qu'une "lamentable exception"(Nietzsche), voire, une sorte de "cancer" qui ronge et détruit la planète (Lévi-Strauss) ?

Sommes-nous seuls dans l'univers ou bien existe-t-il quelque part dans les centaines de  milliards de galaxies (contenant chacune plus de cent milliards d'étoiles) d'autres espèces plus évoluées que nous ?  Sommes-nous en mesure de le savoir ?

Naissons-nous humains, l'humanité serait-elle un caractère inné, et dans ce cas, un embryon (de l'espèce humaine) est-il d'emblée humain ? A-t-il une conscience dés son apparition  ? Ou bien devenons-nous humains grâce à une éducation, un apprentissage ? L'humanité serait-elle un caractère acquis ?

Pourquoi, sans aucun contact avec la civilisation, un enfant redevient-il "sauvage", c'est-à-dire dépourvu de toutes caractéristiques humaines ?

Mais comment se peut-il, en revanche, qu'un homme pourvu de toutes les caractéristiques humaines, puisse devenir "inhumain", se conduire comme un monstre d'une cruauté inouïe par rapport à d'autres hommes, et devenir "barbare".

Comment en effet expliquer qu'un être humain puisse ne pas reconnaître l'humanité d'un autre homme, au point de l'exploiter, de le faire souffrir, de le torturer et de le détruire ?

Enfin, qu'est-ce qui caractérise la "culture" ( = civilisation : arts, techniques, mœurs, langages...) que nous avons créée, est-elle dans le prolongement de la nature ou bien s'oppose-t-elle à elle ou la dépasse-t-elle ? La civilisation s'oriente-t-elle dans une direction qui a un sens, un avenir ou bien se condamne-t-elle elle-même à disparaître ? L'humanité a-t-elle le pouvoir de contrôler sa propre évolution ? Peut-elle se perdre ?

Allons-nous sombrer, progresser, muter ?

Devons-nous prendre conscience de notre propre fragilité ou nous enorgueillir de notre puissance ?

L'être humain  est-il en mesure de se comprendre lui-même ?   Ou bien sa propre complexité lui est-elle à tout jamais incompréhensible ? L'homme n'est-il pas une énigme pour lui-même?

Voici quelques uns des problèmes que nous allons aborder dans notre cours sur l'ANTHROPOLOGIE, sans être surs de pouvoir y répondre.

ENJEU

Comprendre le sens et les raisons de notre existence sur la terre, fixer nos droits nos devoirs par rapport au monde et à nos semblables, savoir dans quel sens orienter nos actions :  Respecter l'ordre de la nature ? Mais pour les croyants, l'ordre de la nature reflète-t-il les lois de Dieu ? ou devenir "Maîtres et possesseurs du monde" Descartes ?

 

Les religieux, les philosophes, les scientifiques proposent des réponses, bien différentes, à ces problèmes, et souvent en contradiction. Aujourd'hui le problème est loin d'être résolu, et nous errons dangereusement.

ANTHROPOS, en grec, signifie l'être humain en général. LOGOS, signifie discours.

L'anthropologie, est l'ensemble des discours sur l'être humain et ce dont il est indissociable, la civilisation ou encore la culture.

Ces discours ou réflexions peuvent être de plusieurs natures, mythique, religieux philosophique ou scientifique. De nombreuses disciplines collaborent pour étudier:

-  Les restes des fossiles humains c'est la paléontologie.

-  La différence entre les squelettes des primates, des singes, et ceux des hommes, c'est l'objet de l'anthropologie physique.

-  Les comportements des animaux pour les comparer à ceux des hommes = l'éthologie.

-  Les différents rites  coutumes et langages des autres civilisations, c'est l'ethnologie.

1. L'Homme dans la conception biblique : le créationnisme

Etude de la Genèse. 1.2.3.4 - Voir Document 1

1 - Dieu existe, il est pur esprit, s'exprime par son "verbe" parole créatrice.

2 - L'univers est créé par Dieu pour l'homme.

3 - L'être humain est directement créé par Dieu, à son image.

4 - Il est le maître de la création dans un univers hiérarchisé :              

Divin
Humain
Naturel

5 - L'homme a des devoirs à respecter : dominer, (attention au double sens de ce terme), se multiplier, garder et cultiver le jardin, suivre un régime végétalien, donner des noms aux choses créées, ne former qu'une seule chair (= monogamie).

 6 - Il a UN interdit à respecter s'il veut rester dans le bonheur : ne pas toucher à l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal.

 7 - Il existe au paradis un "tentateur", figuré par le serpent, la volonté de puissance.

 8 - Eve, puis Adam désobéissent.

 9 - Le malheur est la punition de leur transgression, nous en supportons tous le poids.

 10 – La violence. Caïn tue Abel. Le désir de meurtre est-il inscrit en nous?

Le texte de la Bible répond à la double interrogation de l’homme devant l’existence du monde et l’énigme de sa propre existence, il lui "révèle" des vérités:

Le monde a un sens.

L'homme est divin, il est créé par Dieu à son image, il est supérieur à tout le reste de la création, il doit la dominer.

Il doit respecter les lois divines.

Son malheur actuel vient de sa désobéissance aux lois de Dieu.


2. La reflexion philosophique sur la notion d'humanité

A la question de l'essence de l'homme, les réponses de philosophes sont variées.

Il faut distinguer les philosophies classiques, et les philosophies modernes qui ont des conceptions parfois très opposées.
 
Pour les philosophes classiques, en général :

Ce qui fait l'humanité de l'homme, c'est une faculté particulière, que les philosophes appellent l'âme, la conscience ou encore la raison... Cette faculté s'exprime par la PAROLE.

Cette humanité est une ESSENCE innée, cela signifie qu'elle est présente dés la naissance :  (=théorie essentialiste).

1 - La philosophie grecque

a) Selon PLATON, l'essence de l'homme  c'est son âme, c'est-à-dire  une substance immatérielle qui contient tous ses caractères et qui s'incarne dans l'univers matériel.

Cette théorie est essentialiste. L'essence de l'homme, c'est-à-dire son âme, existe avant qu'il ne s'incarne dans un corps, (Revoyez l'Allégorie de la Caverne.) Platon dit même que l'âme peut s'incarner dans des existences animales ! (cf. Le Mythe d'ER).

Il va sans dire que Platon est contre l'esclavage. Lorsqu'il décrit le "Tartare", (toujours dans le Mythe d'Er), la région la plus terrible de l'enfer, celle d'où l'on ne ressort jamais et où l'on souffre le plus, il y place, entre autres, ceux qui "ont réduit des hommes en esclavage". En outre, Platon est le premier à réclamer pour les femmes une éducation semblable à celle des hommes, et un droit égal à participer au pouvoir politique. 

b) En revanche, la pensée d'ARISTOTE, sur ce point est beaucoup plus ambiguë en effet :

ARISTOTE  définit certes l'homme comme un   "ANIMAL RAISONNABLE".

La raison est une faculté supérieure qui permet de PENSER, de juger du vrai et du faux, et du bien et du mal et de décider. Elle s'exprime à travers le "LOGOS", (= l'intelligence capable de théoriser) qui sous-tend  la PAROLE. C'est elle qui nous distingue des animaux. Mais ce n'est pas n'importe quelle parole !

Cependant, pour Aristote, tous les "hommes" ne sont pas des hommes à part entière :
Il existe selon lui, différentes catégories d'âmes, inégales, et qui sont ordonnées selon la hiérarchie suivante : 1) l'âme sensible,  2) l'âme végétative qui assure la nutrition, la croissance et la reproduction,  3) l'âme sensitive (sensation),  4) l'âme pensante (= raisonnable)  5) l'âme divine (premier Moteur immobile).

- D'abord les esclaves ne sont que des "instruments animés".
    
"Quand les hommes diffèrent entre eux autant qu'une âme diffère d'un corps et un homme d'une brute (...), ceux-là sont par nature des esclaves pour qui il est préférable de subir l'autorité d'un maître. Est, en effet, esclave par nature celui qui est apte à être la chose d'un autre et qui a la raison en partage dans la mesure où elle est impliquée dans la sensation, mais sans la posséder pleinement." Aristote Politique, Vrin, 1982, p. 40-41

- Ensuite les femmes représentent dans l'espèce humaine, un "écart spécifique", ce qui revient à dire qu'elles sont moins humaines que les hommes.

- Enfin chez les enfants, la raison n'est pas mûre, ils ne sont pas tout à fait humains.

Pour le sens commun, chez les GRECS, le seul discours intelligent, c'est le grec ! Selon eux, les autres peuples qui ne parlent pas le grec, ne PARLENT PAS, ils "baragouinent", c'est pourquoi les Grecs les nomment "BARBARE". (BA est une racine indo-européenne qui signifie émettre des sons, et que l'on retrouve dans bavarder, baratiner, babiller...). "BARBARE"  signifie pour les Grecs "infra-humain" ou encore "sous-homme". Cette conception fonde par conséquent en DROIT, et en FAIT l'esclavage. Elle autorise les Grecs à traiter des hommes (étrangers vaincus pendant les guerres) comme des instruments ou des animaux c'est-à-dire :

1 - à les posséder comme des objets, les acheter, les vendre ( marché d'esclaves).

2 - à les exploiter, et à les utiliser sexuellement ( y compris les enfants).

3 - à les détruire. Tuer un esclave n'est pas considéré comme un meurtre.

4 - le statut des femmes en Grèce est à peine supérieur.

On imagine aisément toutes les dérives possibles (et réelles) de cette conception, chez les Grecs eux-mêmes, (puis plus tard, chez quelques théologiens du Moyen Âge - ceux qui ont adopté le point de vue d'ARISTOTE -), enfin au vingtième siècle, nous constatons que cette conception est loin d'être enterrée !

2 La philosophie du Moyen Âge : la scolastique

 Au Moyen Âge, la philosophie est une synthèse de la réflexion sur les textes de la Bible, (Ancien, et Nouveau Testaments), à l'aide des concepts de Platon et d'Aristote. La pensée philosophique est essentiellement dominée par l'Eglise. Elle essaie de concilier la révélation telle qu'elle est donnée dans la Bible, et la raison humaine. Elle utilise la méthode de la logique formelle et du syllogisme (= techniques de raisonnement fondées sur des systèmes de déductions.)

Elle est essentialiste, spiritualiste, dans sa conception de l'homme. Mais sous l'influence d'Aristote, elle insiste très souvent sur l'idée de domination, au sens politique du terme.

Nous voyons un exemple de ce type de pensée chez le philosophe et théologien Sepulveda, dans la Controverse de Valladolid. 
3 La controverse de Valladolid   (1550) - Voir Document n° 2

A quoi reconnaît-on qu'un être est humain ?

"Qui sont ces créatures emplumées ? Méritent-elles le nom d'hommes ? Ont-elles seulement une âme? Sont-elles accessibles à la raison ? (...) Comment les traiter ?..."

Hanté par ces questions (qui n'ont certes pas empêché l'Espagne de porter le fer et le feu dans le Nouveau Continent), Charles Quint ordonne, le 16 avril 1550, la suspension de toutes les explorations, et il convoque une junte, c'est-à-dire une grande controverse théologique, afin de 'prendre les mesures propres à satisfaire la raison et la justice dans les conquêtes futures' ".
A. Finkielkraut, l'Humanité perdue, Seuil, 1996

"La controverse de Valladolid est un événement historique, mais elle ne s'est pas déroulée comme je la raconte ici. Si elle opposa avec beaucoup d'âpreté, le Dominicain Las Casas et son adversaire Sepúlveda, il n'est  pas sûr qu'ils se rencontrèrent et débattirent en public. On sait qu'ils échangèrent des textes, lesquels furent discutés. (...) Les conclusions n'en furent jamais officiellement proclamées."
Note de Jean-Claude Carrière dans l'introduction de son livre qui porte le même titre : La Controverse de Valladolid, Le pré aux clercs, 1992.

Le problème posé :

"Les Indiens d'Amérique ont-ils une âme" ? Ce qui revient à se demander s'ils sont des hommes.

Questions

1 - Quel est l'enjeu de la question ? (= Qui se pose cette question ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il  y a à gagner ou à perdre ?)

2 - En quoi les points de vue de Las Casas et de Sepúlveda s'opposent-ils ?

3-  En quel sens ce débat illustre-t-il l'expression :  "Nos jugements nous jugent." ?

4 - Que penser du choix de Sepúlveda pour prouver sa thèse ? (Le serpent.)

5 - Le cri de Las Casas est-il entendu ?  Peut-on en tirer un enseignement ? Lequel ?   

4.   Descartes

L'homme est certes à l'image de Dieu, mais ce qui est reflet de Dieu, c'est sa RAISON que tous les hommes possèdent, "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée", mais qu'ils ne savent pas tous utiliser correctement . Mais quand l'homme raisonne bien, fait des mathématiques et trouve l'ordre de l'univers, il se conduit en créature divine. La science en nous permettant de comprendre l'univers, nous en rendra comme "maître et possesseur".  Mais il n'y a pas d'égalité entre les hommes dans la maîtrise de la raison. 
 
  
 5    Le tournant philosophique : J.J. Rousseau - Voir Document n°3.

Au dix-huitième siècle, la science a remis en question la religion à propos de l'héliocentrisme. La réflexion se tourne vers le problème de l'origine de l'homme. Si les écrits religieux ne sont pas fiables concernant l'astronomie, le sont-ils sur la nature de l'homme ?  L'Académie de Dijon propose un débat sur l'origine de l'homme.
La position de Rousseau sur ce problème est double.

- Dans une partie de son œuvre, il est essentialiste. Cf. le mythe de Glaucus, emprunté à Platon : (Platon raconte que l'on avait trouvé, dans le port du Pirée, une statue informe, couverte d'algues et de scories. Mais, une fois débarrassée de ses scories, elle laissa apparaître la forme pure et magnifique du dieu de la mer : Glaucos). Cette statue, que Rousseau nomme "Glaucus", est pour lui l'image de l'homme dans la société. Il est déformé, et rendu méconnaissable par les "scories" que la société a déposées sur lui, mais, au fond de lui-même il est naturellement "bon" et pur, comme il est sorti des "mains de Dieu". C'est la société (la société civile) qui le corrompt.

- Dans une autre partie de son œuvre, Rousseau est précurseur de l'existentialisme. Il défend la thèse selon laquelle ce sont les conditions d'existence qui expliquent et conditionnent l'apparition de l'homme, et déterminent ses caractères. (Cf. Sartre au vingtième siècle.)
Dans le texte : Essai sur l'Origine des Langues, Rousseau propose l'hypothèse (la "conjecture") selon laquelle l'humanité serait apparue à cause d'un changement dans les relations. En effet, dans les pays arides, il a fallu construire des puits. Des jeunes, issus de familles étrangères, s'y rencontrent. Alors qu'ils n'étaient habitués qu'aux contacts avec les membres de leur propre famille, et qu'ils se reproduisaient en pratiquant l'inceste (si Rousseau n'emploie jamais ce terme, il le signifie par de nombreuses périphrases), autour du puits, ils découvrent l'amour. Ils sont obligés d'inventer un langage nouveau pour exprimer leurs émotions, et du coup, ils passent d'un langage qui n'était que gestuel, à un langage oral : la PAROLE. C'est là l'origine de la transformation de "l'homme naturel" en homme civilisé, l'apparition de rites et d'institutions, et donc l'origine de la civilisation.

Résumé des différentes étapes du texte sous forme de tableau :

     1  Etat de Nature

  2 Transformation

 3  Société Naturelle

  4  Société Civile

6 La découverte des "enfants sauvages" - Voir Document n° 4

Jusqu'au dix-neuvième siècle, on croyait au mythe des "robinsonnades". Idée selon laquelle, un enfant abandonné dans la nature, élevé par des animaux, (tels Rémus et Romulus, ou même beaucoup plus tard, Mowgli et Tarzan) deviendrait "naturellement" plus tard un "homme" à part entière.

Au vingtième siècle, Lucien Malson, publie un recueil d'histoires vécues, réelles, "d'enfants sauvages"  = abandonnés dans la nature dés leur plus jeune âge, ayant vécu sans aucun contact avec la civilisation.

Lorsqu'on les retrouve, l'étonnement est de constater qu'ils n'ont rien d'humain ! Ils se déplacent à quatre pattes, n'ont pas de rites, ne rient pas, ne pleurent pas, et surtout ne parlent pas. Les tentatives pour les civiliser ont toutes échoué !

L. Malson, dans son livre : Les Enfants Sauvages, publie le "Mémoire" du docteur ITARD, qui pendant plusieurs années a essayé d'éduquer VICTOR, un "enfant sauvage" trouvé dans les forêts de l'Aveyron, à la fin du dix-huitième siècle, en 1798.

Truffault a tiré de ce mémoire un excellent film, en respectant scrupuleusement le texte.
Nous essayerons de l'analyser. 

Questions :

- En quoi Victor n'est-il pas humain au moment où on le découvre ?

- Quels caractères humains acquiert-il au cours de son éducation ?

- A votre avis, à la fin du film, Victor est-il humain à part entière, ou non ?

- Critique (positive et négative) de la pédagogie d'Itard.

  
7 L'homme dans la philosophie contemporaine

 

1L'existentialisme de Sartre :
 
Thèse : "L'EXISTENCE précède L'ESSENCE"

L'existence = les conditions de vie concrètes, matérielles ou événementielles.

Précède = sont là "avant", donc sont causes de, déterminent.

L'essence ou  la "nature" = ici l'ensemble des caractéristiques d'un être, ce qui permet de le définir

Il est désormais, selon Sartre, impossible de croire que les caractéristiques de l'humanité, et de la civilisation existeraient dans un univers abstrait à l'extérieur de l'homme. Il faut affirmer, au contraire, qu'elles sont le produit du contact avec la vie. L'homme n'est donc pas déterminé avant son existence, mais c'est son existence concrète qui le fait être ce qu'il est, qui le détermine. Donc, en changeant ses conditions d'existence, l'humanité peut se transformer.

Nous sommes en effet, grâce à notre conscience, capables de prendre du recul (Sartre emploie l'expression "néantiser") par rapport à ces déterminations, et à chaque instant nous pouvons "réorienter" notre devenir personnel et collectif par nos "pro-jets" (Voir, un peu plus tard, le cours sur la Conscience ).

Si donc l'homme n'a pas de "nature",  il est le résultat de son histoire, mais cependant, il se fabrique lui-même. L'homme est LIBRE et RESPONSABLE. Sartre nie l'existence d'un Dieu qui aurait pensé et fabriqué une essence de l'homme avant de le créer. Dieu n'existe pas. 

Cette conception existentialiste se retrouve en

- Anthropologie = dans le culturalisme,

- Politique = dans le marxisme,

- Psychologie = dans la psychanalyse.

Pour Sartre, "l'existentialisme est un humanisme". Cette théorie valorise l'homme dans sa liberté, le responsabilise et le pousse à s'engager par rapport à la collectivité.

CRITIQUE :  
Aujourd'hui, les études scientifiques menées sur des centaines de jumeaux "monozygotes" (= issus d'un même œuf et ayant donc la même hérédité) semblent contredire la théorie existentialiste. Il apparaît, en effet, que l'hérédité conditionne la manière dont le vécu est appréhendé et, en quelque sorte, le milieu. Chez les vrais jumeaux, même séparés depuis la naissance, les neurones "s'allumeraient" en même temps et déclencheraient les mêmes événements existentiels.

2   Le structuralisme de Lévi-Strauss

Lévi-Strauss est un ethnologue de "terrain", qui a vécu plus de vingt ans chez des Indiens d'Amérique du sud, (les Bororos, et les Nambikwaras) dans des sociétés dites "primitives", pour étudier leurs langages, mythes, rites, coutumes... A son retour, il a enseigné au Collège de France, tout en continuant ses recherches sur les mythes.

Lévi-Strauss affirme que tout fait  humain obéit à une structure (= un modèle, des règles logiques et systématiques) qui s'exprime par un code. Le langage, les relations de parenté, la cuisine, l'architecture, la musique, les mythes... sont tous des langages au sens large et sont codés. L'on peut analyser n'importe lequel de ces domaines, et déchiffrer son code. Ce code obéit à des lois logiques ou mathématiques rigoureuses.

Chaque homme est, à son insu (= sans qu'il le sache), "structuré", "modelé", fabriqué par ce code, (un peu comme une gaufre est structurée par son moule à gaufre. Pardon pour cette comparaison !). Chaque homme est donc un "système codé" et à son tour, un "système codant", c'est-à-dire qu'il perçoit la société, les choses, l'univers... à travers ses propres codes, mais il l'ignore.

Il n'y a donc pas de place pour un SUJET PENSANT par lui-même. Notre propre pensée est le résultat de cette structure. Le sujet pensant n'est pas une unité, une subjectivité constituante, mais le résultat d'une intrication très complexe de codes et de symboles qui lui préexistent, et qui lui sont transmis par la société dans laquelle il vit. En ce sens, le MOI est en réalité un NOUS, c'est-à-dire une expression de la société. C'est ce que veut dire Lévi-Strauss lorsqu'il parle de la "mort de l'homme".

Contre Sartre qui privilégie l'HISTOIRE  (= la DIACHRONIE),

Lévi-Strauss privilégie le jeu des STRUCTURES  (= la SYNCHRONIE).

* Deux exemples d'analyses structuralistes :

 Les relations de parenté : LA PROHIBITION de L'INCESTE.

La prohibition de l'inceste est l'interdiction des relations sexuelles consanguines (= à l'intérieur d'une même famille, entre fils et mère, frère et sœur...). Cette prohibition de l'inceste est universelle, dans la société humaine. En sont "dispensés" ceux qui ne sont pas des hommes, les animaux, et ceux qui se considèrent au-dessus des hommes, comme des dieux, les pharaons, ou certains empereurs.

Cette interdiction implique un choix obligatoire du partenaire sexuel, (époux, épouse), à l'extérieur de la famille (= exogamie). La prohibition de l'inceste engendre ce qu'on appelle des "règles de parenté". Pour éviter l'inceste, il faut logiquement, au minimum  trois familles, et imposer un sens de circulation des partenaires.
En bref, la prohibition de l'inceste implique selon Lévi-Strauss :
 
   a) - UN ECHANGE TRIANGULAIRE

Famille A, famille B, famille C. Seuls les hommes du groupe A peuvent épouser les femmes du groupe B, seuls les hommes du groupe B peuvent épouser les femmes du groupe C, et ainsi de suite...
S'il y a plus de trois familles, les liens de parenté permis et les liens de parenté interdits, deviennent d'une complexité extrême. Pour un groupe de 500 personnes, il nous faut un logiciel informatique pour clarifier la situation. Or Lévi-Strauss constate, qu'à l'intérieur du groupe, chacun "sait" qui est permis, et qui est interdit, ce qui suppose un fonctionnement logique parfait de leur pensée.

   b)- UN TRIPLE ECHANGE.    (C'est à dire, à trois niveaux) :

         1- social : circulation des individus dans les différentes familles, d'où liens entre les familles.

         2 - économique : pour compenser la perte du jeune homme (qui est producteur de richesse), invention de la "dot" de la part de la famille de la jeune fille.

         3 - linguistique : nécessité de s'entendre, de communiquer pour gérer ces relations, sur la base d'un code particulier : la PAROLE.

C'est ce triple échange qui est fondateur de la société humaine (Cf. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté.)

Les codes culinaires    (Théorie structuraliste de Lévi-Strauss)

La cuisine et les techniques de cuisson sont en réalité des codes et elles ont des significations sociales et symboliques.

Le "cru", le "pourri", et le "cuit" s'articulent selon un axe et une logique, qui distinguent non seulement la nature et la culture, mais aussi toute une hiérarchie sociale.

3. Naissance des "Sciences Humaines" :  l'évolutionnisme

1. L'EVOLUTION DE L'ESPECE HUMAINE    (Données de la paléontologie)
                

- 16 Milliards d'années

BIG BANG.    Naissance de notre univers.

- 5 Milliards d'années

Naissance de la TERRE.

- 4 Milliards d'années

Naissance de la LUNE

- 3,2 Milliards d'années

Premières traces de vie dans la mer : sortes d'amibes.

- 0,5 Milliards d'années

Premiers vertébrés.

- 200 Millions d'années

Premiers mammifères

- 70 Millions d'années

Apparition des primates : naissance de "purgatorius", un lémurien, notre ancêtre !

- 25 Millions d'années

Séparation des grands singes (sillon  molaire en X),    et des hominidés     (sillon
molaire en Y).

- 15 Millions d'années

Australopithèques. (en grec, pithecos signifie "singe") : découverte
du "Kenyapithèque" en Afrique et du "Ramapithèque" en Inde.
(crâne = 400 à 600 cm3 taille = 1,20 )      
Outils au 1er degré = utilisation d'objets naturels pour chasser ou autre activité.
 Séparation des "ROBUSTUS", frugivores, qui restent dans les forêts et des
 "GRACILIS", omnivores, et qui partent dans la savane.

- 5 Millions d'années

période d'adaptation des GRACILIS : chasse "civilisatrice". Voir plus loin.
    verticalité, techniques de chasse contre les grands prédateurs....

- 4 Millions d'années

HOMO HABILIS.  (On l'appelait autrefois Homo faber.)    
Outils au deuxième degré.  = utilisation d'objet fabriqués.
Découverte de "Man1470", "Omo1972" puis de "Lucy", dans les failles des
grands lacs d'Afrique.                                                    
(crâne = 700 à 800 cm3 taille = 1,30 à 1,40m)   

- 2 Millions d'années

HOMO HABILIS sort d'Afrique et va vers la Chine et vers Java.

- 1,5 Millions d'années

HOMO ERECTUS. = qui se tient debout.
station verticale, vers cette époque, descente du larynx, d'où la possibilité
de commencer à prononcer des sons articulés = parole.
(crâne = 900 à 1200 cm3 taille = 1,50m)

 de  -700.000 ans
 

 

 à   -200.000 ans

                             ( fin des australopithèques)
Conquête et maîtrise du FEU. è Très importantes transformations sur tous les plans:
1) Acquisition du rythme circadien è Rêve èbrèche ouverte sur le monde invisible 
    è naissance de la religion et de la magie èapparition de rites funéraires.
2) Inversion de la sélection naturelle (les plus faibles et les blessés restent au "foyer")
3) Cuisson des aliments è hygiène alimentaire è progrès démographique. Modification de la denture, donc du crâne, et du cerveau.
4) Sociogenèse = début de la société humaine et du clivage masculin / féminin.
5) Régression de la pilosité ? è apparition d'un embryon de vêtement.
6) Perte de la NYCTALOPIE (= de la vision nocturne.)

- 130.000 /- 80.000 ans

HOMO SAPIENS                                                      
(crâne = 1300 à 1600 cm3 taille = 1,70m)
Art, sépultures, pensée
(tentes, abris, peaux de bêtes...très proche de l'homme moderne.)
Disparition inexpliquée de l'homme de Néanderthal ?)

- 50.000 ans

HOMO SAPIENS-SAPIENS = identique à nous morphologiquement.
- 30.000 ans : homme de "Cromagnon".

- 10.000 ans

Découverte de l'AGRICULTURE. (C'est l'ADAM de la Bible.)

    
(D'après Y.Coppens. Le singe, l'Afrique et l'homme ,  et E.Morin. Le paradigme perdu: La Nature Humaine Seuil)   

2 Commentaire de ce tableau

La conception de l'évolution représentée dans ce tableau est d'inspiration lamarkienne.
 (J.B. Lamarck 1744-1829, est un naturaliste français qui énonça pour la première fois une théorie de l'évolution des espèces. Pour lui, c'est l'usage constant d'une fonction qui crée et développe l'organe correspondant, et, ce caractère acquis se transmet dans les générations suivantes. Pour résumer Lamarck, on peut dire que la fonction crée l'organe.)

L'on voit très bien ici que l'évolution semble causée par des changements dans les conditions d'existence : La chasse d'abord, la maîtrise du feu ensuite.

La chasse, selon E.MORIN est "civilisatrice.

En effet, une fois exilés dans la savane, livrés en proies aux grands prédateurs, les petits "GRACILIS", confrontés à des dangers nouveaux, ont du s'adapter, et inventer des aptitudes nouvelles. Ils ont su les créer et faire face, sinon ils auraient disparu. Quelles sont ces aptitudes vitales ? 

La pratique de la chasse, que Morin appelle "praxis cynégétique", dans un premier temps les a contraints à devenir bipèdes (meilleure surveillance du territoire au-dessus des grandes herbes, et possibilité de tenir dans les mains en permanence les quelques "outils au premier degré" (= les pierres ou les bouts de bois) qui leur servaient d'armes.

Elle a en outre développé le courage, la force, mais surtout la vigilance, l'intelligence (il a fallu développer des stratégies plus rusées que celles déjà élaborées des prédateurs), la mémoire (retenir les solutions efficaces, mais aussi les échecs pour ne pas les recommencer), une communication rudimentaire pour transmettre cette technique, enfin une solidarité (en groupe ils avaient beaucoup plus de chance de vaincre et de survivre que tout seuls.)

La maîtrise du feu

     Implique de très importantes transformations sur tous les plans :

1) Acquisition du rythme circadien (on dort la nuit, on s'active le jour).

Comme le sommeil est plus profond, [il existe quatre niveaux de sommeil  1) le sommeil "aveugle",    2) Le sommeil "sourd",  3) Le  sommeil "paralysé",   4) Le sommeil "paradoxal " durant lequel apparaît le RÊVE, (au sens freudien du terme : retour et réorganisation de souvenirs anciens.] Ce type de rêve est une brèche ouverte sur le monde invisible, (on rêve d'ancêtres qui étaient morts, on croit que leur esprit revient) elle engendre la croyance en un monde d'esprits. 

- naissance de la religion et de la magie, pour se relier à ce monde et agir sur lui.

- Apparition de rites funéraires.

2) Inversion de la sélection naturelle (les plus faibles et les blessés restent au "foyer")

3) Cuisson des aliments è hygiène alimentaire, la viande cuite est plus digeste)

- progrès démographique.

- Modification de la denture, donc du crâne, et du cerveau.

4) Sociogenèse = début de la société humaine et du clivage masculin / féminin.

5) Régression de la pilosité ? è Apparition d'un embryon de vêtement.

6) Perte de la nyctalopie (= de la vision nocturne.)

3 Réflexion critique sur ce tableau :

D'une part, il existe ce qu'on appelle des "chaînons manquants", mais aussi des spécimens inclassables, des découvertes atypiques, par exemple l'espèce Néanderthal.

Il y aurait non pas comme ce tableau semble le laisser apparaître, une branche unique, mais un polycentrisme. C'est-à-dire que l'humanité apparaît plusieurs fois, dans des temps différents et à des endroits différents, comme s'il existait une force "anthropique", (= une tendance de la nature à produire la complexité humaine, voir plus loin.)

Enfin, cette conception de l'évolution n'explique absolument pas pourquoi le cerveau humain est infiniment plus complexe que l'usage qu'on en a fait. Il existe des milliards de neurones qui resteront inutilisés toute la durée de la vie, et dont on ignore à quoi ils servent.

Les biologistes expliquent l'évolution par des mutations de l'A.D.N
Mais le problème de l'origine et de la cause de ces mutations reste entier ?

4 Les critères de l'humain

 Le mot humain a deux sens : il signifie :
 
a) l'appartenance à l'espèce humaine. (On dit "hominisé")
 
b) la possession d'une qualité de tolérance voire de bonté par rapport aux autres membres de l'espèce humaine, et même envers toutes les autres espèces. (On dit "humanisé")

Nous emploierons deux termes différents pour ces deux sens.

HOMINISATION = le processus d'acquisition d'un ensemble des caractères grâce auxquels le primate se transforme en un homme "civilisé".

HUMANISATION = l'acquisition d'un ensemble de valeurs morales ou éthiques grâce auxquelles l'homme "civilisé" se conduit en vrai Civilisé, c'est-à-dire avec respect et dignité.

Les huit critères de l'hominisation.

Ces 8 critères sont reconnus par l'ensemble des anthropologues, ils doivent exister simultanément. (Un critère est un signe distinctif, un caractères qui permet de juger si un être appartient bien à telle catégorie.)

1 - Verticalité (Homme se tient debout, est bipède).

2 - Mains libres pendant la locomotion.

3 - Poids du cerveau important par rapport à celui du corps (importance de l'aire 44).

4 - Fabrication d'outils au 2ème degré.

5 - Pratique de rites (surtout funéraires, mais aussi alimentaires, vestimentaires etc.).

6 - Utilisation d'un langage à double articulation (Très différent de celui des animaux).

7 - Prohibition de l'inceste.

8 - Reconnaissance dans le miroir ("relation spéculaire")


5 Relativité de ces critères : Critique

En réalité il est possible de discuter sur chacun de ces critères.

- Certaines espèces sont naturellement bipèdes ! Les autruches et tant d'autres. Elles n'ont pas de mains !

- Nous ne sommes pas les "champions" du développement du néo-cortex.

Par exemple - chez le kangourou, le néo-cortex constitue 69 % de son cerveau.

- chez le chimpanzé, 92 %

- chez l'homme 96 % 

- chez le dauphin et le cachalot... 98 % du cerveau.

Que veulent dire ces chiffres ?

- Si les animaux ne savent pas fabriquer des techniques, néanmoins, ils savent s'en servir. Des singes utilisent des distributeurs automatiques, et commencent à jouer avec des ordinateurs.

- Il existe aussi, dans le monde animal, des sortes de rituels. (Danses d'accouplement chez certaines espèces d'oiseaux, silence lorsque l'un des leurs est mort chez les chimpanzés...)

- D'autres espèces animales sont très proches de nous dans l'évolution.

- Le problème du langage des dauphins se pose. Toute recherche scientifique sur ce domaine est sous le secret militaire. Que cache ce secret ? De quelle nature est ce langage ?

- Les singes semblent commencer à maîtriser un langage assez proche du nôtre. Une chimpanzé, Washoe, est capable d'articuler, de combiner des symboles pour signifier ce qu'elle veut. Les linguistes affirment que ce langage est un langage à une seule articulation, donc à mi-chemin entre le langage animal et le nôtre.

- Toujours chez les singes, l'inceste  mère / fils, n'existerait pas.

- Enfin, cette même Washoe serait capable de se "reconnaître" dans un miroir.

6 L'inhumanité de l'homme

Le paradoxe, c'est que pourvus de tous ces critères (ou caractères), des hommes peuvent se conduire d'une manière totalement inhumaine.

Des humains peuvent être inhumains.

Toutes les espèces animales se reconnaissent entre elles, alors que l'homme ne reconnaît pas son semblable !  

"L'homme est un loup pour l'homme" écrivait Hobbes.

Ce qui signifie que les hommes non seulement ressemblent aux loups, mais qu'ils sont bien pires qu'eux. En effet jamais un loup ne s'attaque directement à sa propre espèce  –sinon à travers des comportements ritualisés -,   alors que les hommes s'entre-tuent, se martyrisent, se torturent avec une monstruosité qui n'a pas de limite. En définitive l'être humain est un monstre, dont l'agressivité est pire que celle des animaux en général. La violence humaine a des caractères qui n'existent pas dans la nature.

Pour qualifier ce type d'humanité, Edgar MORIN sociologue, invente l'expression : SAPIENS-DEMENS.  Cette humanité a quelque chose de dément et de démoniaque.

Voir le tableau de Fromm :

7 La violence humaine selon Erik Fromm

Erik Fromm (psychanalyste) propose une analyse comparative de ces violences dans La Passion de Détruire. Il nomme "agressivité bénigne" la violence que l'on trouve habituellement chez les animaux dans la nature, et "agressivité maligne" celle que l'on rencontre dans la société humaine.

L'AGRESSIVITE  BENIGNE.

On la trouve dans la NATURE.

 

L'AGRESSIVITE MALIGNE.

On la trouve dans la CULTURE.

1 - Elle est génétiquement programmée, cela  signifie qu'elle relève de l'instinct de l'espèce. = elle est "phylogénétique"

1 - Elle est produite par l'inventivité
humaine, l'intelligence. Elle est requiert des artifices techniques. (extrême raffinement de la cruauté, en relation avec les progrès techniques.) =elle n'est pas instinctive

2 -  Elle est au service de la conservation de la vie, c'est-à-dire biologiquement  adaptative
(tuer pour survivre, alimenter ses petits,
défendre son territoire...)

2 - Elle est biologiquement nocive. Elle ne vise qu'à détruire ou à faire souffrir.
(massacrer, torturer, humilier...)

3 - Elle est réactionnelle, c'est-à-dire produite par une nécessité de se nourrir, ou par une menace. Elle n'est pas spontanée.

3 - Elle est gratuite, c'est-à-dire spontanée, elle fonctionne comme un réflexe culturel.

4 - Elle cesse quand le besoin est satisfait.
(En général, un animal rassasié n'attaque pas.)

4 - Elle produit une jouissance sans fin. Elle est inextinguible. (les hommes violents ont toujours soif de plus en plus de cruauté)

Il apparaît clairement que pour définir l'homme à part entière, il faut ajouter un neuvième critère :

Le processus d'humanisation est loin d'être achevé, il n'en est qu'à son début.

8 Le critère de l'humanisation  (9ème critère)

Est Humain au sens plein du terme, un être hominisé, et humanisé = qui reconnaît en un autre être appartenant à l'espèce humaine, une PERSONNE, c'est-à-dire un être doué de conscience, digne de RESPECT,  qui lui accorde des droits et se sent obligé à son égard par des devoirs. Cette définition implique une attitude de TOLERANCE.

9 Les mot-pièges  (en anthropologie)

1 - Civilisé

a) sens commun : Poli, courtois, éduqué, on encore, "occidental" qui a une technologie de pointe, (= sens colonialiste).

b) sens anthropologique :

i) Qui possède les 8 critères d'hominisation. Il y a plusieurs types de civilisations :

- les sociétés dites "primitives", elle possède les 8 critères, mais à la différence des autres civilisations, elle ne possède pas l'écriture. Donc elle est fondée sur une transmission orale. Sa technologie est peu développée.

- les sociétés "traditionnelles". Possèdent l'écriture, mais une technologie peu développée.

- les sociétés dites "modernes". Ecriture, mais surtout niveau technologique très développé.

ii) Qui possède le neuvième critère : l'humanisation.

 

2 - "Primitif"

a) sens commun : naïf, simple grossier, ou semblable au premiers hommes.
    
b) sens anthropologique : appartenant à une civilisation très complexe, obéissant à des codes  invisibles pour nous, à des rites incompréhensibles à première vue.

-  le cannibalisme peut avoir une signification "mystique" : incorporation de ceux que l'on aime pour ne pas les laisser "pourrir" dans la terre.

-  des pratiques "magiques" de prédictions peuvent être fondées sur des schémas symboliques construits depuis des siècles pour "mémoriser" des souvenirs, ou des recettes.

Par exemple le cercle dans lequel le sorcier "jette" ses cailloux pour "prédire" le résultat de la chasse future, peut fonctionner en réalité comme une "prothèse" de type informatique, chaque caillou représentant un paramètre, et placé dans une zone ayant une "valeur" numérique bien précise. 

Cf. toutes les analyses de Lévi-Strauss. Les sociétés primitives sont aussi loin que nous, dans le temps,  des sociétés originelles. Aujourd'hui on parle de "peuples Premiers".

 

3 - Originel

a) sens commun : Adam et Eve !
      
b) sens anthropologique : = les premiers hommes.

ATTENTION ! Lesquels ?  Il y a plusieurs étapes donc plusieurs types d'hommes originels !

1) HABILIS,        2) ERECTUS,        3) SAPIENS,      4) SAPIENS-SAPIENS.

(Adam et Eve appartiendraient à la catégorie SAPIENS-SAPIENS)

 

4 - Sauvage

a) sens commun :

1) qui ne respecte pas selon nos coutumes, ni nos rites.

2) farouche et solitaire, qui n'aime pas le contact social.

3) Violent et cruel.
      
b) sens anthropologique : être (minéral, végétal, animal), ou petit d'homme qui n'a jamais eu de contacts avec la civilisation. Quand il s'agit d'un petit d'homme, l'expérience montre qu'il n'a aucune caractéristique humaine.

 

5 - Barbare

a) chez les Grecs : celui qui ne parle pas le grec.

b) sens commun : souvent confondu avec sauvage au sens a).
      
c) sens anthropologique : être hominisé, mais qui se comporte par rapport à d'autre hommes d'une manière cruelle, violente, méprisante. Pratique la torture, et la destruction des autres hommes. En bref, celui qui n'a pas le neuvième critère : celui de la reconnaissance de l'autre et de sa dignité.

Pour Lévi-Strauss le barbare est "d'abord celui qui croit à la barbarie".

 ATTENTION : Ne pas confondre "barbarisme"  faute de langage qui consiste à utiliser un mot qui n'existe pas dans la langue en question, avec "barbarie" qui est le fait  de torturer et de massacrer d'autres hommes !!

4. Perplexité des penseurs contemporains sur l'avenir de l'homme

Que penser  de l 'humanité ? Tout est-il possible ?

A) Les réponses pessimistes

A la suite de Pascal et de Rousseau qui voyaient l'humanité corrompue (l'un par le péché, l'autre à cause de la société civile) et de Nietzsche, pour qui  l'humanité n'est qu'une "exception lamentable" au sein de l'univers,  Lorenz, Lévi-Strauss et Finkielkraut prennent la relève. L'humanité n'est pas "sage", elle va s'auto-détruire.

 Selon  Konrad Lorenz, (éthologiste et zoologiste autrichien, né en 1903, qui s'interroge sur les fondements biologiques de notre société, à travers l'étude de nombreux comportements d'animaux en liberté ou en captivité, prix Nobel de médecine),  huit "péchés mortels" condamnent l'humanité moderne :

1 -  La surpopulation qui engendre haine et conflits.

2 -  Le saccage de la planète (pollution, déséquilibre écologique).

3 -  La course à l'argent (= société fondée exclusivement sur des valeurs mercantiles, sur "l'avoir", et qui est en train de perdre toutes ses autres valeurs.) D'où l'égoïsme et l'indifférence et la solitude des individus.

4 -  Le dépérissement de l'affectivité qui conduit à l'ennui, donc à la consommation de toutes sortes de drogues.

5 -  Le déclin génétique, névrose, infantilisme.

6 -  Le rejet systématique de la tradition, et le culte de la "noophilie" (= passion et préférence  pour tout ce qui est "nouveau", engouement pour les "modes").

7 -  Massification par endoctrinement, conformisme et perte de la liberté.

8 -  Culte de la volonté de puissance, l'homme se conduit comme un apprenti sorcier !

C. Lévi-Strauss pense que l'humanité est un accident dans l'univers, elle a été produite par hasard. Elle n'a pas toujours existé, et elle va disparaître parce que sa fonction est de fabriquer de l"entropie" : l'entropie est la tendance de tout système à évoluer vers le désordre et l'inertie, donc vers la mort. La société humaine désagrège, détruit tout ce qui vit et se reproduit, pour construire des structures, complexes certes, mais qui elles, ne se reproduisent pas. Elle n'est donc qu'une "efflorescence passagère", condamnée comme les fleurs du printemps à périr. Il est le théoricien de la mort de l'homme.

"Le monde a commencé sans l'homme et il s'achèvera sans lui. Les institutions, les mœurs et les coutumes que j'aurais passé ma vie à inventorier et à comprendre, sont une efflorescence passagère d'une création par rapport à laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut être celui de permettre à l'humanité d'y jouer son rôle. Loin que ce rôle lui marque une place  indépendante et que l'effort de l'homme - même condamné-  soit de s'opposer vainement à une déchéance universelle, il apparaît lui-même comme une machine peut-être plus perfectionnée que les autres, travaillant à la désagrégation d'un ordre originel, et précipitant une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive."

(Voir Document 5 :  texte de Lévi-Strauss Tristes Tropiques)

 

                                

 

Alain Finkielkraut, philosophe contemporain, titre l'un de ses derniers livres : L'humanité Perdue, Seuil, 1996.
 
Il constate que le XX° siècle aura été celui du retour de la BARBARIE HUMAINE, cause d'une souffrance infinie et inutile, un siècle infernal ponctué de massacres gigantesques.

Malgré les fondements judéo-chrétiens de notre société qui affirment haut et clair l'égalité des hommes devant Dieu, malgré la Déclaration des Droits de l'homme, malgré les tentatives de l'UNESCO, des centaines de millions d'êtres humains ont été humiliés, déportés, torturés, massacrés, exterminés, dans toutes les parties du monde, dans tous les régimes politiques, (en Europe, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud, par le nazisme, le fascisme, le maoïsme, les Khmers rouges, la liste est immense...)

Au nom de quoi ce déchaînement de telles violences ? Au nom de "l'Homme", ou plutôt, au nom d'une certaine IDEE de l'HOMME !  Toutes les idéologies dites "humanistes" ont dévié vers un anti-humanisme pervers. On tue les hommes existants, on fait une "omelette humaine" au nom d'une conception abstraite, quasi sacralisée, de l'HOMME en général.

Nietzsche avait vu juste, en prévoyant que le XX e siècle serait le théâtre d'une guerre pour la domination du monde.

A. Finkielkraut cite quelques auteurs affectés de stupeur devant la monstruosité des horreurs de ce siècle.

- Primo Lévy, qui décrit dans son livre, Si c'est un Homme, le processus de déshumanisation par l'humiliation pratiqué dans les camps de concentration nazis.

"Si je pouvais résumer tout le mal de notre temps en une seule image, je choisirais cette vision qui m'est familière : un homme décharné, le front courbé et les épaules voûtées, dont le visage et les yeux ne reflètent nulle trace de pensée." (=Des hommes qui ne sont plus des Hommes, des sortes de cadavres vivants).

   
- Hannah Arendt, qui dénonce "l'empire du ressentiment" qui envahit tous les totalitarismes et la "banalisation du mal".
   
- Lévinas, qui se demande comment l'on peut passer à côté de la "révélation du visage", de la "lumière qui l'éclaire" et "interdit de tuer".

Comment redonner à l'ensemble de l'humanité son humanité, c'est-à-dire son caractère unique, exceptionnel, absolu ?  Comment sortir de notre conception rigide, étroite, métallique, chosifiante de l'humain ?  Comment dilater notre conscience pour y englober l'autre comme être conscient et établir une relation en miroir ?

La CONSCIENCE est-elle ce qui constitue l'homme ou ce qui lui manque ?

B) Les réponses optimistes

Teilhard de Chardin : (Jésuite et paléontologue français, 1881-1955) célèbre par sa découverte du "Sinanthrope" (homme de Chine), propose une vision synthétique, et  philosophique du déroulement universel de l'évolution. Il a écrit, entre autres, Le Phénomène Humain. Dans cette œuvre, il explique que l'univers est traversé par une "force" qui le  spiritualise.

- Du minéral au végétal, il s'est produit un "saut qualitatif" très complexe. La fleur accomplit une synthèse des éléments minéraux qu'elle transforme en un être vivant, ayant une forme particulière, des couleurs, un parfum qui ne sont pas dans le minéral.

- Du végétal à l'animal, la synthèse est encore bien plus complexe. L'animal transforme les éléments minéraux et végétaux dont il se nourrit, en un être doué de mobilité, d'instincts divers, et d'affectivité.

- De l'animal à l'humain la synthèse est prodigieuse, elle aboutit à la complexification cérébrale du phylum (= caractères d'une espèce donnée) humain qui permet le surgissement de la conscience de soi. L'activité humaine transmute toute l'énergie qu'elle reçoit des règnes "inférieurs" en art, en technologie, et surtout en pensée. Teilhard de Chardin nomme "Noosphère" ce stade d'évolution. (Lorsque vous faites une dissertation, vous transformez en réflexion l'énergie qui vous a été fournie par l'oxygène, les minéraux, les fruits et légumes, les viandes et poissons dont vous vous êtes nourris !!) Ainsi l'humanité à sa façon "travaille" au processus de transformation de l'univers en règnes de plus en plus subtils.

- D'autres chaînons apparaîtront, qui finiront par métamorphoser la totalité de l'univers en ESPRIT.

De  l' alpha (première lettre de l'alphabet grec = le commencement) à  l'oméga (dernière lettre de l'alphabet grec = la fin), la totalité du monde sera divinisée.

Ainsi, l'entropie apparente de l'univers est le résultat de sa transmutation invisible.

Teilhard de Chardin a eu d'énormes difficultés, de son vivant, avec l'Eglise. Ses théories n'étaient pas en accord avec la conception de l'Eglise. Ses œuvres n'ont été publiées qu'après sa mort en 1955.

- E. MORIN, sociologue, (1921- toujours vivant).

L'espèce humaine est en rodage, elle n'est pas terminée, il faut lui faire confiance et la guider.

L'être humain est beaucoup plus complexe que la définition donnée par les anthropologues, il est MULTIDIMENSIONNEL. Ses différentes dimensions (à se représenter en dans un schéma en étoile) peuvent se concevoir de la manière suivante. (Il n'y aucun ordre de valeur dans ce schéma).

L'homme est à la fois :

* Un animal  (pole pulsionnel commun aux animaux)

* Un être sexué désirant.

* Un Homo Habilis, doué d'une intelligence pratique, du sens du "bricolage", un technicien.

* Un "animal RAISONNABLE", capable de réfléchir, doué d'une intelligence théorique, logique.

*  Un animal Loquax  qui s'exprime par la PAROLE et a besoin de communiquer.

* Un "animal métaphysique", doué d'une curiosité insatiable, désireux de trouver ou de donner un sens à son existence et au monde. 

* Un Homo Ludens, ayant le sens du jeu, activité gratuite.

* Un Homo Economicus, apte à la production de richesses par son travail.

* Un être de passions, et d'amour, capable de s'enthousiasmer, de s'enflammer et de se brûler à ses illusions.

* Un Homo Ridens, un être qui éclate de rire, qui a le sens de l'humour et de la dérision, mais qui sait aussi pleurer.

* Un rêveur, qui s'évade par l'imagination, l'utopie, l'idéal.

* Un Homo Religiosus, qui a le sens du sacré, un besoin de se relier à un absolu.

* Un artiste, capable de s'exprimer et de créer la beauté à l'état pur.

* Un Homo Politicus, soucieux d'organiser sa vie en société, mais aussi désireux de pouvoir, d'ambition, de toute puissance.

* Un Homo Sapiens, capable de choisir ses valeurs, et d'être LIBRE.

* Un Sapiens-Demens, hélas capable des pires atrocités.

 La liste n'est pas close, l'humanité est en devenir, elle a d'autres dimensions cachées, encore inconnues à cultiver.

L'humanité a un avenir immense devant elle, elle n'est qu'au début de son évolution.

Nécessité absolue d'augmenter son niveau de conscience pour guider sa propre évolution.                                    

Découvertes allant dans le sens de cet optimisme :

Biogénétique: la complexité de notre molécule d'A.D.N. est supérieure à celle des autres espèces (10 puissance 12 informations codées), mais l'A.D.N. est loin d'être arrivé au sommet de sa complexité possible. Il peut encore se complexifier d'avantage, l'humanité a toutes les chances de "muter" dans l'avenir. cf. Monod, La Hasard et la Nécessité. (Nous reverrons ce problème dans le cours sur la Connaissance du Vivant.)

Neurobiologie : Notre cerveau n'est utilisé qu'à 1/1.000.000 de ses possibilités.

Pédagogie : Aux U.S.A., Glenn Doman, a créé une "Ecole du développement du potentiel".

Il montre et prouve que de zéro à quatre ans, les possibilités cérébrales d'un tout petit enfant peuvent être considérablement améliorées et rentabilisées. A 4 ans, les enfants de son école  savent parler plusieurs langues, jouer aux échecs, résoudre des problèmes de mathématique, lire le solfège et jouer d'un instrument de musique, et enfin utiliser avec compétence quelques logiciels d'ordinateur. La manière dont on éduque les petits enfants ne tient pas compte de leur étonnantes et prodigieuses capacités d'adaptation et d'acquisition. La société actuelle laisse en jachère leur potentiel cérébral. Mais c'est la totalité du système éducatif qu'il faudrait revoir...!

Cosmologie : Brandon Carter, Trinh Xuan Thuan,  et d'autre savants américains, pensent qu'il existe un "principe ANTHROPIQUE" c'est-à-dire une force dans l'univers qui conduit nécessairement à l'apparition de l'humanité. Autrement dit l'univers serait "programmé" pour produire l'homme. (Nous en reparlerons dans le cours sur la cosmologie.)

5. Conclusion

L'être humain est à la fois d'une immense puissance et d'une immense fragilité. Il a actuellement tous les moyens technologiques de se détruire en 15 minutes (cf. H. REEVES). Est-il maître de son avenir ? Est-il en mesure d'orienter son "progrès" ? Le sphinx poseur d'énigmes, n'est-il pas lui-même un symbole de l'homme ?

Peut-être une réflexion sur la conscience qui est le noyau central de l'homme, et qu'il a tendance à dénier aux autres hommes, nous éclairera-t-elle un peu plus. 

Bibliographie succincte

L'Ethnologie. (La Pléiade)
Bible : La Genèse.
Platon. République.
Aristote. Politique.
Rousseau. Essai sur l'Origine des Langues. Discours sur le Fondement de l'Inégalité.
E. Morin. Le Paradigme perdu : La Nature Humaine.
Y Coppens. Le Singe, L'Afrique et L'homme.
L. Malson. Les Enfants Sauvages.
Lévi-Strauss. Tristes Tropiques, Mythologiques.
G. Torris. Essai sur l'Hominisation.
Leroi-Gourhan. Le Geste et la Parole.
Marcuse. L'homme Unidimensionnel.
Malinowski. Vie et Moeurs en Océanie.
E. Fromm. La Passion de Détruire.

Articles divers de Science et Vie, et du Courrier de l'Unesco.

 

Document 1 : Réflexion sur la Genèse (Questionnaire et réponses)

1  La Genèse

La création du monde.  Traduction L Segond
 
Les origines du monde et de l'humanité.

Premier récit de la création.

1 Au commencement Dieu créa le ciel et la terre.

2 Or la terre était un chaos, et il y avait des ténèbres au-dessus de l'Abîme, et l'esprit de Dieu planait au-dessus des eaux.

3 Dieu dit : "Que la lumière soit", et la lumière fut.

4 Dieu vit que la lumière était bonne ; et Dieu sépara la lumière des ténèbres.

5 Dieu appela la lumière "jour", et les ténèbres, il les appela "nuit". Il y eut un soir, il y eut un matin :  premier jour.

6 Dieu dit : "Qu'il y ait un firmament entre les eaux, et qu'il sépare les eaux d'avec les eaux." Il en fut ainsi :

7  Dieu fit le firmament et il sépara les eaux qui sont au-dessous du firmament d'avec les eaux qui sont au-dessus du firmament. 8 Dieu appela le firmament "ciel". Il y eut un soir, il y eut un matin : deuxième jour.

9  Dieu dit : "Que les eaux de dessous du ciel s'amassent un seul lieu, et qu'apparaisse ce qui est sec." Il en fut ainsi :

10  ce qui était sec, Dieu l'appela "terre" et l'amas des eaux, il appela "mers". Dieu vit que cela était bon.

11 Dieu dit : "Que la terre produise de la verdure, de l'herbe portant semence, des arbres fruitiers don­nant, selon leur espèce, des fruits qui ont en eux leur semence, sur la terre." Il en fut ainsi : 

12 La terre fit sortir de la verdure, de l’herbe portant semence selon son espèce, et des arbres donnant des fruits qui ont en eux leur semence,  selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.

13 Il y eut un soir,  il y eut un matin :  troisième jour.

14 Dieu dit : "Qu'il y ait des luminaires au firmament du ciel, pour séparer le jour de la nuit ; qu'ils servent de signes pour les époques, les jours et les années,

15 et qu'ils servent de luminaires dans le firmament du ciel pour éclairer la terre." Il en fut ainsi :

16 Dieu fit les deux grands luminaires, le grand luminaire pour présider au jour, le petit luminaire pour présider à la nuit, et aussi les étoiles.

17 Dieu les plaça au firmament du ciel pour éclairer la terre,

18 pour présider au jour et à la nuit, et pour séparer la lumière des ténèbres.  Dieu vit que cela était bon.

19 Il y eut un soir, il y eut un matin : quatrième jour.

20 Dieu dit : "Que les eaux pullulent d'un pullulement d'êtres vivants, et que des oiseaux volent au-dessus de la terre à la surface du firmament du ciel."

21 Dieu créa les grands monstres marins et tous les êtres vivants qui se meuvent et dont les eaux pullulent, selon leur espèce, et toute la gent ailée, selon son espèce. Dieu vit que cela était bon.

22 Dieu les bénit, en disant : "Fructifiez et multipliez-vous, remplissez les eaux dans les mers, et que les oiseaux se multiplient sur la terre." 

23 Il y eut un soir,  il y eut un matin : cinquième jour.

24 Dieu dit : "Que la terre fasse sortir des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, reptiles, bêtes sauvages, selon leur espèce." Il en fut ainsi :

25 Dieu fit les bêtes sauvages selon leur espèce, les bestiaux selon leur espèce et tous les reptiles du sol selon leur espèce. Dieu vit que cela était bon.

26 Dieu dit : "Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les bestiaux, sur toutes les bêtes sauvages, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre." 

27 Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa.

28 Dieu les bénit, et Dieu leur dit : "Fructifiez et multipliez-vous, remplissez la terre, et soumettez-la ;  dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout être vivant qui rampe sur la terre."

29 Dieu dit : "Voici que je vous donne toute herbe portant semence à la surface de toute la terre, et tout arbre qui a en lui fruit d'arbre  portant  semence ; cela vous servira de  nourriture.

30 Et à toute bête sauvage, à tout oiseau du ciel, et à tout ce qui rampe sur la terre, et qui a en lui âme vivante, [je donne] toute herbe verte en nourriture."  Il en fut ainsi.

31  Dieu vit tout ce qu'il avait fait, et voici que cela était très bon. Il y eut un soir, il y eut un matin : sixième jour.
                                                   
2

1 Ainsi furent achevés le ciel et la terre, et toute leur armée.

2 Dieu acheva, le septième jour, le travail qu’il avait fait  ; et il chôma, le septième jour, après tout le travail qu'il avait fait.

3 Dieu bénit le septième jour et le sanctifia, parce qu’en ce [jour] Dieu avait chômé, après tout le travail qu'il avait fait en créant.

4a Telle fut la genèse du ciel et de la terre quand ils furent créés.
        
Deuxième récit de la création

Le paradis terrestre
 
4b  Au jour où Yahvé Dieu fit la terre et le ciel,

5 il n'y avait encore sur la terre aucun buisson  des champs, et aucune herbe des champs n'avait encore poussé ; car Yahvé Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d'homme pour cultiver le sol.

6 Mais un flot    montait de  la  terre et arrosait toute la surface du sol.     

7 Yahvé Dieu façonna l'homme, poussière tirée du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie, et l'homme devint un être vivant.

8 Yahvé Dieu planta un jardin en Eden, à l'orient, et il y mit l'homme qu'il avait façonné.

9 Yahvé Dieu fit pousser du sol toutes sortes d'arbres désirables à voir et bons à manger, ainsi que l’arbre de vie au milieu du jardin et l’arbre de la connaissance du bien et du mal.

10 Un fleuve sortait d'Eden pour arroser le jardin et de là se divisait pour former quatre bras.

11 Le nom du premier est Pichôn ; c'est lui qui contourne tout le pays de Hawila, où il y a    l'or,

12 et l'or de ce pays est bon ; là se trouve le bdellium et la pierre d'onyx.

13 Le nom du deuxième fleuve est Guihôn ; c'est lui qui contourne tout le pays de Kouch.

14 Le nom du troisième fleuve est Tigre ; c'est lui qui coule à l'orient d'Assour. Le quatrième fleuve, c'est l'Euphrate.

15 Yahvé Dieu prit l'homme, et l'installa dans le jardin d'Eden pour le cultiver et pour le garder.

16 Et Yahvé Dieu donna cet ordre à l'homme : "De tous les arbres du jardin tu peux manger, 

17 mais de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n'en mangeras pas; car le jour où tu en mangeras, tu mourras sûrement.

La  formation de la femme

18 Yahvé Dieu dit : "Il n'est pas bon que l'homme soit seul ;  je veux lui faire une aide qui lui soit assortie."

19 Yahvé Dieu façonna du sol toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l'homme pour voir comment il les appellerait : le nom que l'homme donnerait à tout être vivant serait son nom.

20 L’homme appela de leur nom  tous les bestiaux, les oiseaux  du ciel et toutes les bêtes des champs ; mais, pour l'homme, il ne trouva pas d'aide qui lui fût assortie.

21 Alors Yahvé Dieu fit tomber une torpeur sur l'homme, qui s'endormit. Il prit une de ses côtes, et referma la chair à sa place.

22  Yahvé Dieu bâtit en femme la côte qu'il avait prise de l'homme, et il l'amena à l'homme.

23  L'homme dit : "Celle-ci, cette fois, est l'os de mes os et la chair de ma chair ; celle-ci  sera appelée femme,  car  c'est d'un homme qu'elle a été prise, celle-ci!"

24 C’est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair.

25 Or tous deux étaient nus, l'homme et sa femme, et ils n'en avaient pas honte.

        
3 La chute
1 Le serpent était la plus rusée de toutes les bêtes des champs que Yahvé Dieu avait faites. Il dit à la femme : "Alors, Dieu a dit : Vous ne mangerez d'aucun arbre du jardin ?"

2  La femme dit au serpent : "Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin,

3 mais  du fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit : Vous n'en mangerez pas et vous n'y toucherez pas, sinon, vous mourrez."

4 Le serpent dit à la femme : "Pas du tout ! vous ne mourrez pas ; 

5 mais Dieu sait que le jour où vous en mangerez, vos yeux se dessilleront et  vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal."

6 La femme vit que l'arbre était bon à manger,  qu'il était agréable aux yeux, et qu'il était, cet arbre, désirable pour acquérir l’intelligence. Elle prit de son fruit et mangea, elle en donna aussi à son mari qui était avec elle, et il mangea.

7 Alors, se dessillèrent leurs yeux, à tous deux, et ils connurent qu'ils étaient nus ; et  cousant des feuilles de figuier, ils se firent des pagnes.

8 Ils entendirent le bruit [des pas] de Yahvé Dieu, qui se promenait dans le jardin, à la brise du jour, et ils se cachèrent, l'homme et sa femme,  de devant Yahvé Dieu, parmi les arbres du jardin.

9  Yahvé Dieu appela l'homme, et lui dit : "Où es-tu ?" 

10 Il dit : "J'ai entendu le bruit [de tes pas] dans le jardin, et j'ai eu peur, parce que je suis nu, et je me suis caché."

11  Il dit : "Qui t'a appris que tu étais nu ? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t'avais ordonné de ne pas manger ?"

12 L'homme dit : "C'est la femme que tu as placée près de moi qui m'a donné de l’arbre, et j'ai mangé."

13 Yahvé Dieu dit à la femme : "Qu'as-tu fait là!"  La femme dit : "C'est le serpent qui m'a dupée, et j'ai mangé."

14 Yahvé Dieu dit au serpent : "Parce que tu as fait cela, maudit sois-tu entre tous les bestiaux et toutes les bêtes des champs ! Sur ton ventre tu marcheras, et poussière tu mangeras  tous les jours de ta vie.

15 Je mettrai de l'inimitié entre toi et la femme, entre ta descendance et sa descendance : celle-ci te visera à la tête, et toi, tu la viseras au talon."

16 A la femme il dit : "Je multiplierai ta peine et tes grossesses, c'est dans la peine que tu enfanteras des fils ;  vers ton mari [se portera] ton désir et lui dominera sur toi."

17 Et à l'homme il dit : "Parce que tu as écouté la voix de ta femme, et que tu as mangé de l'arbre au sujet duquel je t'avais donné cet ordre :  "Tu n'en mangeras pas, - maudit soit le sol à cause de toi! Dans la peine tu t'en nourriras tous les jours de ta vie.

18 Ce sont des épines et des chardons qu'il fera germer pour toi, et tu mangeras de l’herbe des champs.

19  C'est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain jusqu'à ton retour au sol, car de lui tu as été pris. Car poussière tu es et à la poussière tu retourneras."

20. L'homme appela sa femme du nom d'Eve, parce qu'elle a été la mère de tout  vivant.

21 Yahvé Dieu fit à l'homme et sa femme des tuniques de peau et les [en] revêtit.

22 Yahvé Dieu dit : "Voilà que l'homme est comme l’un de nous  pour la connaissance du bien et du mal ! Et maintenant il ne faudrait  pas qu'il avance la main et qu'il prenne aussi de l'arbre de vie, qu'il en mange et vive à jamais."

23 Yahvé Dieu le renvoya du jardin d’Eden pour cultiver le sol, d'où il avait été pris. 24 Il chassa l'homme et posta à l’orient du jardin d’Eden les chérubins et la flamme du glaive tournoyant, pour garder le chemin de l'arbre de vie.

4 Caïn et Abel

1 L'homme connut Eve, sa femme ; elle conçut et enfanta Caïn, et elle dit : "J'ai acquis un homme de par Yahvé." 

2 Elle enfanta encore son frère, Abel. Abel fut berger, tandis que Caïn  cultivait le sol.

3 Or, au bout d'un certain temps, Caïn présenta des fruits du sol en oblation à Yahvé ;

4  Abel, de son côté, présenta des premiers nés de son troupeau, ainsi que de 1eur graisse. Yahvé porta ses regards vers Abel et vers son oblation, 

5 mais vers Caïn et vers son oblation il ne les porta pas. Caïn entra en grande colère et eut le visage abattu.

6 Yahvé dit à Caïn : "Pourquoi es-tu en colère et pourquoi as-tu le visage abattu? 

7  Si tu agis bien, ne te  relèveras-tu pas?  Mais si tu n'agis pas bien, le péché n'est-il point tapi à la porte? Vers toi [se porte] son désir, mais à toi de dominer sur lui."

8 Caïn dit à Abel, son frère : "Allons dehors." Or, tandis qu'ils étaient dans la campagne, Caïn se  dressa contre Abel, son frère, et le tua.

9 Yahvé dit à Caïn : "Où est AbeI, ton frère?" Il dit : "Je ne sais pas ; suis-je le gardien de mon frère, moi?"

10 [Yahvé] dit : "Qu'as-tu fait! La voix du sang de ton frère crie vers moi du sol.

11 Maintenant donc, maudit sois-tu de par le sol, qui a ouvert sa bouche pour prendre de ta main le sang de ton frère.

12 Lorsque tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa vigueur. Errant et fugitif tu seras sur la terre."

13 Caïn dit à Yahvé : "Mon châtiment est trop lourd à porter.

14 Voici que tu me chasse aujourd'hui de dessus la face du sol, et de ta face je dois me cacher. Je serai errant et fugitif sur la terre, et alors, quiconque me rencontrera me tuera."

15 Yahvé lui dit : "Eh bien! Quiconque tuera Caïn, sept fois subira la vengeance." Et Yahvé mit un signe sur Caïn pour que ne le frappe pas quiconque le rencontrerait.

16 Caïn se retira loin de la face de Yahvé, et il habita au pays de Nod, à l'est d'Eden.

Document 2 : La Controverse de Valladolid (Film de J.C. Carrière et commentaire)

"Qui sont ces créatures emplumées ? Méritent-elles le nom d'hommes ? Ont-elles seulement une âme? Sont-elles accessibles à la raison ? (...) Comment les traiter ?...

"La controverse de Valladolid est un événement historique, mais elle ne s'est pas déroulée comme je la raconte ici. Si elle opposa avec beaucoup d'âpreté, le Dominicain Las Casas et son adversaire Sepúlveda, il n'est  pas sûr qu'ils se rencontrèrent et débattirent en public. On sait qu'ils échangèrent des textes, lesquels furent discutés. (...) Les conclusions n'en furent jamais officiellement proclamées."
Note de Jean-Claude Carrière dans l'introduction de son livre qui porte le même titre : La Controverse de Valladolid, Le pré aux clercs, 1992.

Le problème posé : "Les Indiens d'Amérique ont-ils une âme ? Ce qui revient à se demander s'ils sont des hommes.

Répondez par écrit à ces questions, sur une feuille à part, en respectant la numérotation.

1 - Quel est l'enjeu de la question ? (= Qui se pose cette question ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il  y a à gagner ou à perdre ?)

2 - En quoi les points de vue de Las Casas et de Sepúlveda s'opposent-ils ? Répondez dans un tableau à deux colonnes, en développant les idées et les arguments de chacun, et en les opposant si possible terme à terme).

3 -  En quel sens ce débat illustre-t-il l'expression : "Nos jugements nous jugent." ?

4 - Que pensez-vous du choix de Sepúlveda pour prouver sa thèse ? (Le serpent).

5 - Le cri de Las Casas est-il entendu ?  Peut-on en tirer un enseignement ? Lequel ? 

6 - Qu'est-ce que la barbarie ? Exemples?  Qui est barbare ?  Comment y mettre fin ? Qu'est-ce qu'un acte inhumain? Sujet de Bac T.L. 1998.

Document 3 : J.J. ROUSSEAU - Etude d'un texte tiré de
l'Essai sur l'Origine des Langues.

"Combien de pays arides ne sont habitables que par les saignées et par les canaux que les hommes ont tirés des fleuves! La Perse presque entière ne subsiste que par cet artifice : La Chine fourmille de peuples à l'aide de ses nombreux canaux ; sans ceux des Pays-Bas, ils seraient inondés par les fleuves, comme ils le seraient par la mer sans leurs digues. L'Egypte, le plus fertile pays de la terre, n'est habitable que par le travail humain : dans les grandes plaines dépourvues de rivières, et dont le sol n'a pas assez de pente, on n'a d'autre ressource que les puits. Si donc les premiers peuples dont il soit fait mention dans l'histoire n'habitaient pas dans les pays gras ou sur de faciles rivages, ce n'est pas que ces climats heureux fussent déserts; mais c'est que leurs nombreux habitants, pouvant se passer les uns des autres, vécurent plus longtemps isolés dans leurs familles et sans communication : mais
dans les lieux arides où l'on ne pouvait avoir de l'eau que par les puits, il fallut bien se réunir pour les creuser, ou du moins s'accorder pour leur usage. Telle dût être l'origine des sociétés et des langues dans les pays chauds.

se formèrent les premiers liens des familles, furent les premiers rendez-vous des deux sexes. Les jeunes filles venaient chercher de l'eau pour le ménage, les jeunes hommes venaient abreuver leurs troupeaux. Là, des yeux accoutumés aux mêmes objets dés l'enfance, commencèrent d'en voir de plus doux. Le cœur s'émut à ces nouveaux objets, un attrait inconnu le rendit moins sauvage, il sentit le plaisir de n'être pas seul. L'eau devint insensiblement plus nécessaire, le bétail eut soif plus souvent: on arrivait en hâte, et l'on partait à regret. Dans cet âge où rien ne marquait les heures, rien n'obligeait à les compter : le temps n'avait d'autre mesure que l'amusement et l'ennui. Sous de vieux chênes, vainqueurs des ans, une ardente jeunesse oubliait par degré sa férocité : on s'apprivoisait peu à peu les uns avec les autres ; en s'efforçant de se faire entendre, on apprit à s'expliquer. se firent les premières fêtes: les pieds bondissaient de joie, le geste empressé ne suffisait plus, la voix l'accompagnait d'accents passionnés; le plaisir et le désir confondus ensemble, se faisaient sentir à la fois : fut enfin le vrai berceau des peuples ; et du pur cristal des fontaines sortirent les premiers feux de l'amour.

Quoi donc ! avant ce temps les hommes naissaient-ils de la terre? Les générations se succédaient-elles sans que les deux sexes fussent unis, et sans que personne s'entendît ? Non: Il y avait des familles, mais il n'y avait point de nations; il y avait des langues domestiques, mais il n'y avait point de langues populaires; il y avait des mariages, mais il n'y avait point d'amour. Chaque famille se suffisait à elle-même et se perpétuait par son seul sang : les enfants, nés des mêmes parents, croissaient ensemble, et trouvaient peu à peu des manières de s'expliquer entre eux : les sexes se distinguaient avec l'âge ; le penchant naturel suffisait pour les unir, l'instinct tenait lieu de passion, l'habitude tenait lieu de préférence, on devenait mari et femme sans avoir cessé d'être frère et sœur. Il n'y avait là rien d'assez animé pour dénouer la langue, rien qui pût arracher assez fréquemment les accents des passions ardentes pour les tourner en institutions : et l'on peut en dire autant des besoins rares et peu pressants qui pouvaient porter quelques hommes à concourir à des travaux communs ; l'un commençait le bassin de la fontaine, et l'autre l'achevait ensuite, souvent sans avoir eu besoin du moindre accord, et quelquefois même sans s'être vus. En un mot, dans les climats doux, dans les terrains fertiles, il fallut toute la vivacité des passions agréables pour commencer à faire parler les habitants: Les premières langues, filles du plaisir et non du besoin, portèrent longtemps l'enseigne de leur père; leur accent séducteur ne s'effaça qu'avec les sentiments qui les avaient fait naître, lorsque de nouveaux besoins introduits parmi les hommes, forcèrent chacun de ne songer qu'à lui-même et de retirer son cœur au dedans de lui".

Document 4 : L'Enfant Sauvage (Film de F. Truffaut et commentaire)

Mémoire du Docteur Itard

Jusqu'au dix-neuvième siècle, on croyait au mythe des "robinsonnades". Idée selon laquelle, un enfant abandonné dans la nature, élevé par des animaux, (tels Rémus et Romulus, ou même beaucoup plus tard, Mowgli et Tarzan) deviendrait "naturellement" plus tard un "homme" à part entière.

Au vingtième siècle, Lucien Malson, publie un recueil d'histoires vécues, réelles, "d'enfants sauvages"  = abandonnés dans la nature dés leur plus jeune âge, ayant vécu sans aucun contact avec la civilisation.

Lorsqu'on les retrouve, l'étonnement est de constater qu'ils n'ont rien d'humain ! Ils se déplacent à quatre pattes, n'ont pas de rites, ne rient pas, ne pleurent pas, et surtout ne parlent pas. Les tentatives pour les civiliser ont toutes échoué !

L. Malson, dans son livre : Les Enfants Sauvages, publie le "Mémoire" du docteur ITARD, qui pendant plusieurs années a essayé d'éduquer VICTOR, un "enfant sauvage" trouvé dans les forêts de l'Aveyron, à la fin du dix-huitième siècle, en 1798.

Truffault a tiré de ce mémoire un excellent film, L'Enfant Sauvage, en respectant scrupuleusement le texte, il joue lui-même le rôle du Dr Itard.

Nous essayerons de l'analyser.
 

Questions :

1 - En quoi Victor n'est-il pas humain au moment où on le découvre ?

2 - Quels caractères humains acquiert-il au cours de son éducation ? Dans quel ordre?

3 - A votre avis, à la fin du film, Victor est-il humain à part entière ou non ?

4 - Quels sont les aspects positifs de la pédagogie d'Itard, quelles sont ses erreurs?

5 – Quelle serait votre conduite dans un cas pareil?


Document 5 : Texte de C. Lévi-Strauss - Tristes Tropiques

"Le monde a commencé sans l'homme et il s'achèvera sans lui. Les institutions, les mœurs et les coutumes que j'aurais passé ma vie à inventorier et à comprendre, sont une efflorescence passagère d'une création par rapport à laquelle elles ne possèdent aucun sens, sinon peut être celui de permettre à l'humanité d'y jouer son rôle. Loin que ce rôle lui marque une place indépendante et que l'effort de l'homme - même condamné-  soit de s'opposer vainement à une déchéance universelle, il apparaît lui-même comme une machine peut-être plus perfectionnée que les autres, travaillant à la désagrégation d'un ordre originel, et précipitant une matière puissamment organisée vers une inertie toujours plus grande et qui sera un jour définitive. Depuis qu'il a commencé à respirer et à se nourrir jusqu'à l'invention des engins atomiques et thermonucléaires, en passant par la découverte du feu  - et sauf quand il se reproduit lui-même - l'homme n'a rien fait d'autre qu'allègrement dissocier des milliards de structures pour les réduire à un état où elles ne sont plus susceptibles d'intégration. Sans doute a-t-il construit des villes et cultivé des champs ; mais quand on y songe, ces objets sont eux-mêmes des machines destinées à produire de l'inertie à un rythme et dans une proportion  infiniment plus élevés que la quantité d'organisation qu'ils impliquent. Quant aux créations de l'esprit humain, leur sens n'existe que par rapport à lui, et elles se confondront au désordre dés qu'il aura disparu. Si bien que la civilisation prise dans son ensemble, peut être décrite comme un mécanisme prodigieusement complexe où nous serions tenté de voir la chance qu'a notre univers de survivre, si sa fonction n'était de fabriquer ce que les physiciens  appellent entropie, c'est-à-dire de l'inertie. Chaque parole échangée, chaque ligne imprimée, établissent une communication entre deux interlocuteurs, rendant étale un niveau qui se caractérisait auparavant par un écart d'information, donc une organisation plus grande. Plutôt qu'anthropologie, il faudrait écrire "entropologie" le nom d'une discipline vouée à étudier dans ses manifestations les plus hautes ce processus de désintégration."

 Pourtant, j'existe. Non point, certes comme individu ; car que suis-je, sous ce rapport, sinon l'enjeu à chaque instant remis en cause de la lutte entre une autre société, formée de quelques milliards de cellules nerveuses abritées sous la termitière du crâne, et mon corps, qui lui sert de robot ? Ni la psychologie, ni la métaphysique, ni l'art ne peuvent me servir de refuge, mythes  désormais passibles, aussi par l'intérieur, d'une sociologie d'un nouveau genre  qui naîtra un jour et ne leur sera pas plus bienveillante que l'autre. Le moi n'est pas seulement haïssable : il n'y a pas de place entre un nous et un rien. Et si c'est pour ce nous que finalement j'opte, bien qu'il se réduise à une apparence, c'est qu'à moins de me détruire  - acte qui supprimerait les conditions de l'option-  je n'ai qu'un choix possible entre cette apparence et rien. Or il suffit que je choisisse pour que, par ce choix même, j'assume sans réserve ma  condition d'homme : me libérant par là d'un orgueil intellectuel dont je mesure la vanité à celle de son objet, j'accepte aussi de subordonner ses prétentions aux exigences objectives de l'affranchissement d'une multitude à qui les moyens d'un tel choix sont toujours déniés.

Pas plus que l'individu n'est seul dans le groupe et que chaque société n'est seule parmi les autres, l'homme n'est seul dans l'univers. Lorsque l'arc-en-ciel des cultures humaines aura fini de s'abîmer dans le vide creusé par notre fureur, tant que nous serons là et qu'il existera un monde   - cette arche ténue qui nous relie à l'inaccessible demeurera : montrant la voie inverse de celle de notre esclavage et dont, à défaut de la parcourir, la contemplation procure à l'homme l'unique faveur qu'il sache mériter : suspendre la marche, retenir l'impulsion qui l'astreint à obturer l'une après l'autre les fissures ouvertes au mur de la nécessité et à parachever son œuvre en même temps qu'il clôt sa prison ; cette faveur que toute société convoite, quels que soient ses croyances, son régime politique et son niveau de civilisation ; où elle place son loisir, son plaisir, son repos et sa liberté ; chance vitale pour la vie, de se déprendre et qui consiste  - adieu sauvages ! adieu voyages!-   pendant les brefs intervalles où notre espèce supporte d'interrompre son labeur de ruche, à saisir l'essence de ce qu'elle fut  et continue d'être, en deçà de la pensée et au delà de la société : dans la contemplation d'un minéral plus beau que toutes nos œuvres  ; dans le parfum, plus savant que nos livres respiré au creux d'un lis ; ou dans le clin d'œil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque qu'une entente involontaire permet parfois d'échanger avec un chat."
                                           
 Lévi-Strauss Tristes Tropiques. éd.10-18, 1955, p.374-375


Efflorescence : épanouissement, floraison.

Entropie : tendance d'un système à évoluer vers le désordre, l'inertie, la mort.

"Entropologie" est un mot inventé par Lévi-Strauss = étude de l'entropie.

D. Desbornes. 2009