L'Imagination
Introduction
1. Les "faiseurs" d'images
2. Les pouvoirs de l'image
3. Le danger des images
4. Ambivalence de l'image
L'imagination est définie comme la faculté de produire des images.
L'image
- au sens strict, est la représentation mentale (invisible comme le rêve) ou concrète (visible comme le tableau d'un peintre) de ce qui a déjà été perçu par la vue. Cette restitution dépend en partie de la mémoire.
- au sens large, l'image n'est pas seulement fondée sur le code visuel, mais concerne les différents sens. Il existe en effet, des images visuelles, auditives, tactiles, olfactives, gustatives, kinesthésiques etc. La technique vise aujourd'hui à fabriquer des univers virtuels en fabriquant toutes ces images simultanément.
L'image est donc un analogon (= un équivalent) de l'objet. Elle renvoie à un objet absent, comme le signe linguistique. Elle peut fonctionner comme signe ou comme symbole. Elle se situe dans la dialectique présence/absence.
Mais cette définition est beaucoup trop limitative. Il existe en effet de nombreuses images qui ne correspondent à aucune perception réelle. Ce sont justement ces images irréelles qui sont produites par l'imagination.
L'imagination est la faculté qui permet :
- de produire, volontairement ou involontairement, des images, à partir de la mémoire des perceptions antérieures, (= imagination reproductrice),
- mais elle est avant tout la faculté qui permet d'inventer de nouvelles images par la combinaison d'images existant déjà ou de créer des images absolument originales, n'existant nulle part, appartenant à l'irréel, ( =imagination créatrice). Elle permet l'évasion hors du monde réel et d'une certaine manière elle est donatrice de liberté, en même temps elle est le signe de notre liberté. Telle est la thèse de Sartre dans L'Imaginaire.
"Pour qu'une conscience puisse imaginer il faut qu'elle échappe au monde par sa nature même, il faut qu'elle puisse tirer d'elle-même une position de recul par rapport au monde. En un mot, il faut qu'elle soit libre." Sartre, L'Imaginaire.
C'est cette capacité à créer des images uniques, originales qui caractérise le génie artistique, des peintres, poètes, sculpteurs, musiciens…
"On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images." Bachelard, L'air et les songes.
L'imagination peut être fantaisiste et irrationnelle, perturber l'exercice de la raison et devenir "maîtresse d'erreur et de fausseté", comme le disait Pascal. Mais elle peut aussi suppléer à la raison et se manifester sous une forme rationnelle. Les scientifiques, mathématiciens, géomètres, astrophysiciens utilisent leur imagination rationnelle pour fabriquer des modèles d'univers.
L'imaginaire est l'ensemble des images inventées par l'imagination
Imago est un terme inventé par Jung pour désigner la représentation inconsciente qui organise le modèles des relations réelles ou fantasmatiques de l'enfant avec ses parents.
Imaginal (terme inventé par Jung) : lieu où se fabriquent les archétypes (voir cours sur l'inconscient.)
1. Les "faiseurs" d'images
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1. Le plus grand producteur d'images est de loin l'inconscient. L'inconscient collectif et l'inconscient personnel fonctionnent par "déplacement et condensation", de signes certes mais aussi et surtout d'images. L'inconscient produit les rêves, scénarios d'images, et les fantasmes.
2. Les artistes. peinture, dessin, sculpture, photographie, cinéma …
3. Les poètes, les écrivains, les conteurs, les prophètes traduisent des images en paroles, textes récits, mythes, légendes… Ils nous obligent à inventer à notre tour les images. La lecture d'un conte ou l'écoute d'un récit stimule beaucoup plus notre imagination que la simple lecture d'une bande dessinée.
4.. Les scientifiques produisent des images abstraites (modèles cosmologiques), mais ils sont en train de créer toute une technologie de l'image virtuelle capable de concurrencer le réel par sa puissance d'illusion !
2. Les pouvoirs de l'image |
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Les images ont une très grande force parce qu'elles sont directement reliées à l'affect, donc au monde des sentiments et à l'inconscient. Elles permettent d'échapper au filtre critique de la raison et au contrôle de la volonté. Elles ont donc une action immédiate sur le psychisme.
Les psychanalystes savent que le rêve a une fonction vitale. Lors de certaines expériences scientifiques sur le sommeil, on a découvert que les gens que l'on empêchait de rêver devenaient fous.
D'où la manipulation possible et réelle des psychismes par un jeu adroit d'images.
1. La société assure un contrôle très efficace de la consommation par des images publicitaires. Mais le conditionnement par les images déborde de loin la sphère économique. Les images véhiculées par la société ont un pouvoir coercitif. Elles modèlent l'image du corps, de la féminité, de la virilité, du couple, de la famille, de la réussite, du bonheur…. Elles sont, en grande partie introjectées dans le Surmoi. Elles deviennent normatives, coercitives voire répressives.
2. La magie fonctionne à partir d'une manipulation symbolique d'images ou de symboles représentant le sujet (à guérir ou à envoûter ou à détruire…). Nous avons analysé dans le cours sur la religion l'efficacité symbolique de ces procédés. Pour la pensée magique posséder l'image, c'est posséder la forme donc l'être de quelqu'un c'est-à-dire son esprit. D'où dans certains pays le refus de se faire photographier.
3. Les religieux sont très partagés sur l'utilisation des images dans le culte.
Les Hindouistes, les Bouddhistes, les Chrétiens considèrent les images visuelles comme des tremplins vers le divin, ou encore comme un moyen d'enseignement des "vérités religieuses".
Elles auraient une fonction médiatrice entre l'homme et le divin.
4. Les psychologues et les psychanalystes insistent sur la fonction thérapeutique de l'image. Mettre en image, dessiner ses fantasmes permettraient de s'en libérer. Freud pense que la création esthétique est une forme de thérapie.
5. Les artistes ont le pouvoir d'enchanter et de fasciner les spectateurs par la beauté de leurs images. Cf. L'histoire de Wang-Fo racontée par M.Yourcenar.
1. L'iconoclasme. Le refus des images par les religieux. Les Juifs et les Musulmans respectent le commandement divin qui interdit des images et l'idolâtrie (= le culte des images).
"Tu ne te feras point d'image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. Tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point." Bible
C'est le deuxième des dix commandements, placé avant le "Tu ne tueras pas."
Pour ces croyants, Dieu est un absolu, un existant pur, un être irreprésentable. Toute représentation de Dieu par l'homme implique nécessairement une projection de ses propres caractéristiques (celles de l'homme), donc un inévitable anthropomorphisme. L'image de Dieu abaisse Dieu, trahit son essence, dénature sa spiritualité. Se représenter Dieu est une offense à Dieu. Dieu le Père peint par Michel Ange sur le plafond de la chapelle Sixtine a une forme humaine et porte une "liquette" rose courte qui laisse voir les muscles de ses jambes… Le divin est infiniment au-dessus de toutes les représentations que l'on peur s'en imaginer. Il convient d'être iconoclaste, c'est-à-dire briseur d'images.
2. L'idolâtrie. C'est l'amour immodéré de l'image elle-même et non plus de ce qu'elle représente. Il y a déplacement du culte du signifié vers le signifiant. On adore l'objet représentant le divin et non plus le divin lui-même. C'est une dérive fréquente de l'utilisation de l'image dans les religions.
3. Le fétichisme. Préférer l'image d'un être vivant à l'être vivant. Tomber dans le culte de l'objet. Freud classe le fétichisme dans les perversions.
4. L'hallucination. Les images produites involontairement, débordent le champ de conscience et se font prendre pour des perceptions réelles. Perte du principe de réalité. Bascule dans la "folie".
5. La "folle du logis". C'est ainsi que les penseurs classiques (Montaigne, Pascal, Descartes) nommaient l'imagination. Ils la concevaient comme une faculté "maîtresse d'erreur et de fausseté", que la raison devait supplanter.
6. "L'obstacle épistémologique". Bachelard insiste sur la nécessité pour le scientifique, pendant son activité scientifique, de se méfier des images, d'éliminer tout ce qui vient de son imagination visuelle, pour purifier sa pensée, la rendre abstraite, et lui permettre d'accéder à un statut scientifique. En revanche, il existe une imagination "rationnelle", inventive, créatrice de structures et de formes à l'état pur (axiomatique, géométrie, modélisation…)
4. Ambivalence de l'image |
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Le statut de l'image pose le problème des relations entre l'être et l'apparaître. Pour Platon les images (reflets dans l'eau) ne sont pas le réel, néanmoins elles traduisent les formes intelligibles, elles sont à leur ressemblance. Elles servent d'intermédiaires dans l'allégorie de la caverne.
L'imagination de l'artiste dans ses dessins, ses tableaux semble déformer le réel, mais elle exprime en même temps sa propre réalité intérieure.
Les psychologues qui étudient les dessins d'enfants malades découvrent que les enfants symbolisent, à travers des codes imagés, le savoir exact qu'ils ont sur leur propre maladie. Cf. les travaux de S.Bach dans la clinique universitaire de Zurich.
L'imagination filtre le réel extérieur et nous en protège par une mise à distance. En même temps elle exprime la subjectivité humaine. Elle fonctionne comme une synthèse de l'homme et du réel.
Selon Shakespeare, la vision du réel et l'imaginaire sont taillés dans la "même étoffe".
Les spécialistes de la vie prénatale affirment que le fœtus rêve. Quelle peut être la nature des images de son rêve s'il n'a jamais perçu aucune image du monde réel ? Reçoit-il des images venant de la perception, voire de l'imagination de sa mère, ou de sa propre imagination ?
L'on peut se demander dans quelle mesure notre perception du monde réel extérieur est conditionné par ces images originelles.
Notre imagination à la fois ouvre notre accès au réel et en même temps le voile.
"Un être privé de la fonction de l'irréel est un névrosé, aussi bien que l'être privé de la fonction du réel." Bachelard.
D.Desbornes. 2009