Etat - Société - Pouvoir
Introduction et problématique
1. La sociéte humaine
2. Le pouvoir
3. L'Etat
Conclusion
Notions de philosophie politique.
Le mot "Politique" a deux sens :
Sens général : "politique" vient polis (en grec = cité), en ce sens la "politique" est l'ensemble de tout ce qui concerne l’art de vivre ensemble, en groupe donc tout ce qui concerne la collectivité. Politique = public = social. C'est en ce sens qu'Aristote affirme : "L'homme est un animal politique", il veut dire que l'homme est fait pour vivre en collectivité, et non tout seul.
Sens particulier : "Politique" vient aussi de Politeia (en grec = pouvoir, ETAT, gouvernement). En ce sens est "Politique" tout ce qui touche le pouvoir et ses différents rouages.
Introduction et problématique |
|
Nous avons vu dans le cours sur l'ANTHROPOLOGIE la nécessité pour les hommes de vivre ensemble afin de s'humaniser. L'homme est "un animal politique" comme le dit Aristote, c'est à dire un être qui ne peut vivre que parmi ses semblables, en société. Mais chaque homme éprouve en même temps une grande difficulté à vivre avec les autres, voir les cours sur l'INCONSCIENT et sur AUTRUI.
Kant parle de "l'insociable sociabilité" de l'homme. Notre volonté de puissance, notre désir de possession, notre agressivité naturelle, notre égoïsme enfin nous dressent les uns contre les autres dans une incessante rivalité, qui nous conduit à des rapports de domination et soumission, ou de servitude, douloureux et aliénants pour les dominés surtout, (voir le cours sur le TRAVAIL). En bref cette rivalité engendre le malheur du plus grand nombre.
Problématique
Est-il possible de trouver une forme d'organisation qui permette (ou oblige ?) les hommes à vivre ensemble en paix et dans la justice ? Un système qui assure au minimum leur bien-être, voire leur bonheur ? Mais au sein d'une humanité imparfaite, la justice peut-elle régner sans l'appui de la force ? Or le règne de la force, (fut-elle une force juste), ne compromet-il pas notre liberté ? Comment concilier les exigences de l'individu et celles de la vie en société ?
Nous allons d'abord analyser les caractères de la société humaine, puis les différentes sortes de pouvoirs réels qui s'y exercent et circulent dans des sens divergents ou convergents, et enfin ce pouvoir institutionnel et abstrait (= que l'on ne peut voir nulle part), mais pourtant bien réel puisque c'est lui qui gère toutes nos sociétés modernes : L'ETAT.
Il existe plusieurs conceptions de l'Etat, qui donnent lieu à différents types de régimes politiques : monarchie, aristocratie, démocratie, socialisme, communisme, anarchisme…et toutes sortes de combinaisons entre eux.
a) Le fait social
L’Homme est un être social, (voir tout le cours d'ANTHROPOLOGIE). C’est dans la civilisation, au contact des autres que l’on s’hominise. Il n'y a pas d’homme en dehors de la société. Les enfants "sauvages" abandonnés loin de leurs semblables ne sont pas humains. Les besoins rassemblent les hommes. Fragilité, vulnérabilité, si l'homme est seul. Le groupe, accroît sa force et son pouvoir sur nature au cours de la chasse par exemple. Le grégarisme (de gregs ,latin = troupeau) est le désir de se rassembler.
La sexualité, la crainte, la peur, réunissent les hommes.
En même temps l'égoïsme, (la faim, l'instinct du territoire…) les sépare et les dresse en situation de rivalité.
Dans tout groupe humain il existe deux forces antithétiques (=opposées) : des forces de cohésion et de dispersion, (centripètes et centrifuges). D'où les inévitables conflits entre les individus eux-mêmes, et la société et l'individu. Les contraintes, les règles, les interdits, (la prohibition de l'inceste, etc.) impliquent des sacrifices, des renoncements, de la souffrance, et comme le dit Freud une immense frustration. En même temps, les hommes ont une adhésion sentimentale à une partie de la société, famille, pays (patrie) dont ils partagent les coutumes, la langue, la religion et tout le passé. Cette communauté tisse des liens, et crée une identité par rapport à laquelle les hommes se repèrent.
L'homme qui se place en dehors société, risque de perdre son humanité de deux manières : en se mettant au-dessus il peut se prendre pour un dieu, en dessous de la société, il est un animal.
b) Société humaine et société animale.
Il existe des sociétés animales remarquablement organisées. Chez les abeilles, par exemple, la ruche est un modèle d'organisation sociale parfaite. La société des fourmis est un modèle de société tout aussi exemplaire. En réalité, l’ordre de ces sociétés est géré par l'instinct. Il est immuable et vient d’un programme génétique, inné, naturel. Il engendre des comportements automatiques, stéréotypés. Les théories de la sociobiologie qui présentent ces modèles comme valables en politique, oublient la différence fondamentale entre une fourmi et l'homme : la conscience et le désir de liberté.
Les sociétés humaines (voir les neuf critères spécifiques de l’humanité dans le cours sur l'Anthropologie) sont gérées par des institutions, des manières de faire, des formes de comportement (choix partenaires, règles de parenté, rituels de cuisson), manières de sentir, de se vêtir, de s’alimenter, d’agir, de parler, de rire, de marcher, de se coucher, les "us et coutumes", puis principes, règles, lois, interdits, normes qui ne sont pas naturelles. Deleuze dit que les institutions sont des "satisfactions obliques de l’instinct", inventées par l’homme, elles sont conventionnelles et varient par rapport à chaque société.
Quelques sociétés simples, de structure communautaire fonctionnent grâce à leurs institutions. Les conventions sont acceptées, respectées par tous. Par exemple dans les sociétés dites "primitives" il n'y a nul besoin d'un Etat. Le chef est désigné selon les coutumes. Il n’a pas de réel pouvoir, il doit respecter et faire respecter la coutume. Son rôle est purement représentatif. Le plus souvent, il prend un nom générique et n’exerce qu’un temps limité, défini par les institutions.
a) Définitions du pouvoir.
Sens commun plusieurs sens (cf. anglais et allemand).
- Possibilité : il se peut qu'il pleuve demain.
- Faculté, capacité : il peut nager, = il a appris, il sait le faire.
- Puissance, force en réserve, (pas forcément mise en action) : cette voiture peut rouler à 300 à l'heure.
- Permission, autorisation, légalité (par rapport au droit, aux lois) ou par rapport à la conscience.
- Passage à l’acte, efficience, réalité de l’action.
Sens politique = Exercice de la puissance ou du commandement en droit, ou en fait = par la force.
Le pouvoir n'implique pas nécessairement l'existence d'un Etat.
Le pouvoir implique la capacité de contraindre, c’est-à-dire de faire agir ou d’empêcher d’agir l’autre, ou les autres. Il implique nécessairement l'usage d'une force voire d'une violence (briser les résistances), donc une hiérarchie, une inégalité, un clivage social. Celui qui a le pouvoir est "plus fort que" donc au-dessus, il domine. Des relations de domination se créent, le dominant sur le dominé, le maître sur l'esclave.
Il existe différents degrés d’intensité de pouvoir. (Père, maître, leader, chef, prince, roi, empereur, tyran, dictateur…)
Différentes nuances : influence, contrainte, conditionnement, hypnose…
Différentes extensions : pouvoir sur un seul homme, 25 hommes, 500.000 hommes, 10 millions d'hommes,
Différents domaines : la politique, la philosophie, la science, le sport etc.
b) Les différents types de pouvoir (en désordre, à développer)
- Pouvoir musculaire, la force brute, physique (Goliath, le boxeur).
- Pouvoir technologique = aussi la force mais artificielle ex. : un enfant + revolver.
- Pouvoir de l’argent = pouvoir économique = tout ce qu’on peut "obtenir" par l’argent par rapport aux conduites de l’Homme
- Pouvoir du sexe : "sex appeal", Cléopâtre, extraordinaire pouvoir de la séduction. Le rôle des femmes dans l'histoire et par rapport aux hommes politiques.
- Pouvoir psychique : Force du caractère, autorité. (// hypnose) qui obtient le ce qu’il veut.
- Pouvoir du savoir : par exemple : "ce" que les savants peuvent faire ou obtenir grâce à leurs connaissances. Cf. pouvoir des physiciens, des biologistes.
- Pouvoir charismatique : rayonnement particulier d’une personnalité qui provoque l’amour des foules, et l’adhésion totale à sa volonté. Ex. : des personnalités aussi diverses que Bouddha, le Christ, Jeanne d’Arc, Napoléon, Nasser, etc.…
- Pouvoir idéologique, celui de la foi, de la religion, du sacré.
Ces pouvoirs circulent, se réfractent, se disséminent, s’annulent, se cumulent. (Le pouvoir du sexe peut annuler une fortune et inversement…). Il y a une convergence possible de tous ces pouvoirs dans le pouvoir politique.
Le pouvoir politique est un mélange confus et mouvant de tous ces pouvoirs. Le pouvoir appelle le pouvoir. Par exemple : on offre au "Prince", sa fille, sa fortune, sa "vie", sa force pour combattre.
Il existe même un "pouvoir des faibles".
Aujourd'hui, l'on distingue quatre pouvoirs :
- Le pouvoir de l'état.
- Le pouvoir économique.
- Le pouvoir de l'organisation des masses.
- Le pouvoir des médias.
Comment se constitue le pouvoir politique? Quelle est sa finalité ? L'ambition ? L'intérêt public ? Qui est compétent ? Qui prend le pouvoir ? et pour quelles raisons ? Comment le " Prince" se maintient-il au pouvoir ?
En philosophie politique on appelle "prince" celui qui exerce le pouvoir quel que soit son nom (roi, empereur, président de la république). Princeps en latin signifie le "premier" celui qui est à la tête donc le chef.
c) Origine du pouvoir politique
Etonnement des sociologues et des politologues. Il n’y a pas de portrait type du "Prince". Les "princes" obéissent à n’importe quelle typologie. Le "prince" n’est pas forcément fort, ni armé, ni riche, ni "sexy", ni intelligent, ni sage, ni moral, ni savant, ni rayonnant, ni même compétent !…
En effet, le pouvoir est neutre, il prend la "couleur" de celui qui l’a pris. La prise du pouvoir exige de la force et surtout la complicité ou le consentement d’un groupe qui est fort, (l'armée, ou les riches ou le peuple…). Le prince se porte, et est porté au pouvoir, par un groupe. Le groupe manifeste par là son besoin d’un chef, = désir d’un père ? = désir de sécurité ? = expression de l'immaturité du groupe ?
Seul un peuple éduqué, mûr et sage pourrait se passer de chef. D'où la nécessité absolue de l'éducation politique du peuple pour assurer sa liberté.
d) Bénéfices du Pouvoir politique
L'exercice du pouvoir donne la satisfaction de pouvoir réaliser :
- sa volonté (idéal altruiste, ou égoïste),
- tous ses désirs (Eros et Thanatos = désirs sexuels, et puissance de donner la mort), richesse jusqu'au luxe, célébrité… Dans le pouvoir politique convergent tous les autres pouvoirs d'où sa force, et l'amplification d'un sentiment de puissance sans limite. Le "prince" occupe un poste de commande d’où tout ordre (constructif ou destructif) se concrétise immédiatement comme par "magie". L'exercice du pouvoir situe le "prince" dans un lieu atypique, panoramique, exceptionnel, en dehors et au-dessus de la société. Il vit dans un monde d’exclusion. Il ne peut pas ne pas éprouver le vertige de la puissance. Confondu avec le divin par le peuple, il se prend pour un Dieu. Il finit par prendre sa volonté pour celle de Dieu. Voir le statut de la royauté au Moyen Age.
Le moi s'hypertrophie et perd toute notion de limite (dont Freud nous dit qu'elle est constitutive de la personnalité). Voir Louis XIV : " l’Etat c’est moi ". Cette sacralisation de l'ego est favorisée par la "dialectique des regards". Les autres se font humbles, obséquieux, flatteurs, ils "rampent" devant le "prince". Son image de soi lui est renvoyée magnifiée, glorifiée, dans le miroir de l’autre.
e) Les dangers de l’exercice du pouvoir politique : il est "vénéneux" Jankélévitch.
1. La solitude du Prince est le leitmotiv des confidences des chefs d'Etat. Voir dans le texte : Comment Wang-fo fut sauvé, de M. Yourcenar, la description de la solitude absolue et tragique de l’empereur de Chine. Les autres ne sont jamais ses pairs (= ses égaux).
2. Le danger : une épée de Damoclès est constamment suspendue au-dessus de la tête du prince. En effet, le pouvoir est désiré par de nombreux rivaux. Il est unique, précieux donc toujours convoité comme un absolu, un trésor à prendre. D'où les incessantes luttes pour sa conquête, son maintien, son agrandissement. Combats, luttes à mort, trahisons, crimes, rien n'est épargné pour prendre le pouvoir. Le pouvoir est le "lieu", où se concentrent le plus de désirs, de jalousie, d'énergie, d'ambitions, de force, de violence. Une vision pessimiste de l’histoire met en relief les rivalités éternelles pour le pouvoir, les guerres et massacres sans nombre.
3. L'aliénation : le pouvoir absolu "corrompt", "rend fou", c'est la théorie de Platon, très souvent reprise par les penseurs successifs. L'absence de limite au désir empêche la personnalité de se structurer. "Le tyran ose tout", Platon. Importance des limites pour structurer le psychisme. Voir plus tard, ce que dit Freud sur le lien entre l'absence de limites et la désagrégation du moi. Le "prince" peut facilement devenir une bête. Si l'exercice solitaire du pouvoir est dangereux et aliénant, sans doute convient-il de le partager ?
4. Enfin, l’exercice du pouvoir implique l'immoralité. C'est la thèse de Machiavel, diplomate, vivant à Florence en Italie, (1469-1527). Il écrit Le Prince, ouvrage dans lequel il dresse l'inventaire des techniques pour prendre et garder le pouvoir. Ses conseils : pratiquer l'audace, la prudence, l'opportunisme, l'hypocrisie, être un virtuose du mensonge, de la trahison, du crime froid, se faire lion parmi les lions, renard au milieu des renards, savoir jouer, tricher, se battre, rester le plus fort pour gagner. Le pouvoir est le lieu où se concentrent les passions les plus fortes, les plus troubles, les plus violentes, il faut savoir en rester le maître quoiqu'il arrive et toutes les dompter. (Thème repris par SARTRE : dans Les mains sales).
f) L'arbitraire du pouvoir :
1. Le pouvoir est fondé sur l'égoïsme et l'intérêt d'un seul homme.
Critique du pouvoir dans la Bible :
Les Israélites demandant un roi.
Lorsque Samuel devint vieux il établit ses fils juges sur Israël. Son fils premier-né se nommait Joël, et le second Abija ils étaient juges à Beer-Schéba. Les fils de Samuel ne marchèrent point sur ses traces ; ils se livraient à la cupidité, recevaient des présents, et violaient la justice. Tous les anciens d'Israël s'assemblèrent, et vinrent auprès de Samuel à Rama. Ils lui dirent : Voici, tu es vieux, et tes fils ne marchent point sur tes traces ; maintenant, établis sur nous un roi pour nous juger, comme il y en a chez toutes les nations. Samuel vit avec déplaisir qu'ils disaient :
Donne-nous un roi pour nous juger, et Samuel pria l'Eternel. L'Eternel dit à Samuel : écoute la voix du peuple dans tout ce qu'il te dira ; car ce n'est pas toi qu'ils rejettent, c'est moi qu'ils rejettent, afin que je ne règne plus sur eux. Ils agissent à ton égard comme ils ont toujours agi depuis que je les ai faitmonter d'Egypte jusqu'à ce jour ; ils m'ont abandonné, pour servir d'autres dieux. Ecoute donc leur voix ; mais donne-leur des avertissements, et fais-leur connaître le droit du roi qui régnera sur eux.
Samuel rapporta toutes les paroles de l'Eternel au peuple qui lui demandait un roi. Il dit : Voici quel sera le droit du roi qui régnera sur vous. Il prendra vos fils, et il les mettra sur ses chars et parmi ses cavaliers, afin qu'ils courent devant son char ; il s'en fera des chefs de mille et des chefs de cinquante, et il les emploiera à labourer ses terres, à récolter ses moissons, à fabriquer ses armes de guerre et l'attirail de ses chars. Il prendra vos filles, pour en faire des parfumeuses, des cuisinières, des boulangères. Il prendra la meilleure partie de vos champs, de vos vignes et de vos oliviers, et la donnera à ses serviteurs. Il prendra la dîme du produit de vos semences et de vos vignes, et la donnera à ses serviteurs. Il prendra vos serviteurs et vos servantes, vos meilleurs bœufs et vos ânes, et s'en servira pour ses travaux. Il prendra la dîme de vos troupeaux, et vous-mêmesserez ses esclaves. Et alors vous crierez contre votre roi que vous vous serez choisi, mais l'Eternel ne vous exaucera point.
Le peuple refusa d'écouter la voir de Samuel. Non dirent-ils, mais il y aura un roi sur nous, et nous aussi nous serons comme toutes les nations ; notre roi nous jugera, il marchera à notre tête et conduira nos guerre. Samuel, après avoir entendu toutes les paroles du peuple, les redit aux oreilles de l'Eternel. Et l'Eternel dit à Samuel : Ecoute leur voix, et établis un roi sur eux. Et Samuel dit aux hommes d'Israël : Samuel, 8
2. Pour Machiavel, le pouvoir est une manipulation qui relève d'une habileté technique. Il est impossible de fonder le pouvoir sur une rationalité ou sur une morale quelconques. Les hommes sont bêtes et méchants, le prince doit rester froid et lucide. Pour être efficace, il faut être habile et utiliser n'importe quel moyen pour prendre et conserver le pouvoir. Le pouvoir n'est ni de nature divine, ni de nature raisonnable, il n'est qu'une simple technique, qui utilise à l'envi, le caprice, l'immoralité, la tyrannie.
"Vous devez donc savoir qu'il y a deux manières de combattre, l'une avec les lois, l'autre avec la force. La première est propre aux hommes, l'autre nous est commune avec les bêtes; mais lorsque les lois sont impuissantes, il faut bien recourir à la force; un prince doit savoir combattre avec ces deux espèces d'armes; c'est ce que nous donnent finement à entendre les anciens poètes dans l'histoire allégorique de l'éducation d'Achille et de beaucoup d'autres princes de l'Antiquité, par le centaure Chiron, qui sous la double forme d'homme et de bête apprend à ceux qui gouvernent, qu'ils doivent employer tour à tour l'arme propre à chacune de ses deux espèces, attendu que l'une sans l'autre ne saurait être d'aucune utilité durable. Or, les animaux dont le prince doit savoir revêtir les formes sont le renard et le lion. Le premier se défend mal contre le loup, et l'autre donne facilement dans les pièges qu'on lui tend. Le prince apprendra du premier à être adroit, et de l'autre à être fort. Ceux qui dédaignent le rôle de renard n'entendent guère leur métier; en d'autres termes un prince prudent ne peut ni ne doit tenir sa parole, que lorsqu'il le peut sans se faire tort, et que les circonstances dans lesquelles il a contracté un engagement subsistent encore.
Je n'aurais garde de donner un tel précepte, si tous les hommes étaient bons; mais comme ils sont tous méchants et toujours prêts à manquer à leur parole, le prince ne doit pas se piquer d'être plus fidèle à la sienne; et ce manque de foi est toujours facile à justifier. J'en pourrais donner dix preuves pour une, et montrer combien d'engagements et de traités ont été rompus par l'infidélité des princes, dont le plus heureux est toujours celui qui sait le mieux se couvrir de la peau du renard. Le point est de bien jouer son rôle, et de savoir à propos feindre et dissimuler. Et les hommes sont si simples et si faibles que celui qui veut tromper trouve aisément des dupes. (…)
Il n'est donc pas nécessaire à un prince d'avoir toutes les bonnes qualités dont j'ai fait l'énumération, mais il est indispensable de paraître les avoir; j'oserai même dire qu'il est quelquefois dangereux d'en faire usage, quoiqu'il soit toujours utile de paraître les posséder. Un prince doit s'efforcer de se faire une réputation de bonté, de clémence, de piété, de fidélité à ses engagements, et de justice; il doit avoir toutes ces bonnes qualités, mais rester assez maître de soi pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient.
Machiavel, Le Prince, ch. XVIII.
Attention : il y a deux lectures de Machiavel.
L’une "machiavélique" : la fin, elle-même est immorale, elle relève de l'ambition personnelle. Le pouvoir pour le pouvoir, à tout prix.
L’autre "machiavélienne" : la fin est justifiée, elle a une valeur morale : sauver le peuple.
3. Le scepticisme politique de Pascal sur le pouvoir :
a. Le pouvoir repose sur une confusion entre la force et le droit :
"Il est juste que ce qui est juste soit suivi, il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante ; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants ; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort ou que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fit que ce qui est fort fût juste."
Pascal, Pensées, V, 298.
"Ne pouvant faire qu'il soit force d'obéir à la justice, on a fait qu'il soit juste d'obéir à la force ; ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien."
Pascal, Pensées, V, 299.
b. Le pouvoir repose sur la double illusion de la "grandeur naturelle" :
Celle des princes, dont la position sociale et la fortune dépendent d'une longue série de hasards, et qui croient que leur condition supérieure est une "grandeur naturelle"
"Vous ne vous trouvez au monde que par une infinité de hasards. Votre naissance dépend d'un mariage ou plutôt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais d'où ces mariages dépendent-ils ? D'une visite faite par rencontre, d'un discours en l'air, de mille occasions imprévues.
Vous tenez vos richesses de vos ancêtres; mais n'est-ce pas par mille hasards que vos ancêtres les ont acquises et qu'ils les ont conservées. Vous imaginez-vous aussi que ce soit par quelque loi naturelle que ces biens ont passé de vos ancêtres à vous ? "
Pascal, Traité de l'éducation d'un prince, premier discours.
Celle du peuple qui lui aussi, à sa façon croit que la noblesse est une grandeur réelle.
Pascal, Traité de l'éducation d'un prince, Premier discours.
Or, il existe deux sortes de grandeurs (= de valeurs ou de supériorités) : les "grandeurs naturelles" et les "grandeurs d'établissement".
"Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans des qualités réelles ou effectives de l'âme ou du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable comme les sciences, la lumière de l'esprit la vertu, la santé, la force".
Les "grandeurs d'établissement", sont inventées "par la volonté des hommes qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects".
Pascal, Traité de l'éducation d'un prince, Second discours.
Le pouvoir n'est qu'une "grandeur d'établissement".
c. Le pouvoir est fondé sur le vide de la "concupiscence" :
"Je veux vous faire connaître, Monsieur, votre condition véritable; (…) Qu'est-ce à votre avis, d'être grand seigneur ? C'est être maître de plusieurs objets de la concupiscence des hommes. (…) Vous êtes de même environné d'un petit nombre de personnes, sur qui vous régner en votre manière. Ces gens sont plein de concupiscence. Ils vous demandent les biens de la concupiscence; c'est la concupiscence qui les attache à vous. Vous êtes donc proprement un roi de concupiscence. Votre royaume est de peu d'étendue; mais vous êtes égal en cela aux plus grands rois de la terre; ils sont comme vous des rois de concupiscence. C'est la concupiscence qui fait leur force, c'est-à-dire la possession des choses que la cupidité des hommes désire." Pascal, Traité de l'éducation d'un prince, Troisième discours.
g) Qu’est-ce qu’un pouvoir légitime ?
Ambiguïté de la notion de "légitimité"
Est légitime ce qui est valable en droit, conforme à des valeurs reconnues justes par la société. Mais dans la société les hommes ne sont pas d'accord sur ce qui est "juste" !
Max Weber propose trois types de légitimité :
- La tradition : ce qui s’est toujours fait dans le passé, ici la transmission du pouvoir par hérédité. On est prince parce que fils de prince.
- Le charisme : l’amour du peuple, celui que le peuple reconnaît comme son "prince" par un choix affectif.
- La légalité : la conformité aux lois.
Les trois fondements de la légitimité selon Max Weber.
Il existe en principe (...) trois raisons internes qui justifient la domination, et par conséquent il existe trois fondements de la légitimité. Tout d'abord l'autorité de "l'éternel hier", c'est-à-dire celle des coutumes sanctifiées par leur validité immédiate et par l'habitude enracinée en l'homme de les respecter. Tel est le " pouvoir traditionnel" que le patriarche ou le seigneur terrien exerçait autrefois. En second lieu l'autorité fondée sur la grâce personnelle et extraordinaire d'un individu (charisme) ; elle se caractérise par le dévouement tout personnel des sujets à la cause d'un homme et par leur confiance en sa seule personne en tant qu'elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l'héroïsme ou d'autres particularités exemplaires qui font le chef. C'est là le pouvoir "charismatique" que le prophète exerçait, ou - dans le domaine politique - le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le grand démagogue ou le chef d'un parti politique. Il y a enfin l'autorité qui s'impose en vertu de la "légalité", en vertu de la croyance en la validité d'un statut légal et d'une "compétence" positive fondée sur des règles établies rationnellement, en d'autres termes l'autorité fondée sur l'obéissance qui s'acquitte des obligations conformes au statut établi. C'est là le pouvoir tel que l'exerce le moderne, ainsi que tous les détenteurs qui s'en rapprochent sous ce rapport. (…) Ces représentations ainsi que leur justification interne sont également d'une très grande importance pour la structure de la domination. Il est certain que dans la réalité on ne rencontre que très rarement ces types purs." Max Weber, Le Savant et le Politique. (1959)
Conflits nécessaires
En tout cas, ce qui n’est pas légitime, c’est le pouvoir de fait, fondé sur la force. "Le droit" du plus fort, n’est en aucun cas un droit c'est un fait naturel.
Refus des penseurs, des philosophes politiques, de fonder le droit sur le fait.
Le Droit implique adhésion à une valeur.
Dernier type de légitimité
La justice : le pouvoir en conformité avec les lois de la conscience morale. Cf. Kant. Nécessité de respect universel Ü problème de la constitution d’un tel pouvoir ?
Il apparaît nécessaire de contrôler les pouvoirs, d’en fixer les structures, les limites, les applications, c'est le rôle de l'Etat
a) Définition
- Sens géographique : un lieu. L’Etat du Levant…
- Sens commun : passivité, manière d’être, "état d’âme"…
- Sens politique :
ORGANE d’un pouvoir politique, séparé de la société, situé au-dessus des individus, dont la fonction est de GOUVERNER c'est-à-dire d’organiser la société, d’arbitrer les différends, de préserver l’intérêt public.
Cet organe implique un ensemble d’institutions, politiques, juridiques, policières, militaires, administratives et économiques, par lesquelles le pouvoir politique exerce son autorité. Le pouvoir d'un état lui donne une capacité à choisir et à modeler les structures dans différents domaines : - économique, - scientifique, - contrôle de la violence. L'Etat ne se voit pas il est un pouvoir abstrait, institutionnalisé. Mais il crée des fonctions, des rôles, à exercer par des personnes réelles. Ce que l'on voit de l'Etat, ce sont les gendarmes, l'armée, les ministres etc.
L'Etat implique un modèle de société, un régime politique, des lois, des organes d’exécution. Il centralise les pouvoirs.
Le terme de gouvernement est emprunté à la marine : Gubernator (en latin = pilote du navire). Platon, dans la République, utilisait déjà cette métaphore, et affirmait que le "chef" devait avoir les qualités d'un bon pilote de navire.
1.Connaître son but, sa destination, savoir "voir de loin", se fixer un itinéraire juste : le bien de la société.
2. Savoir conduire, piloter son navire, en connaître la mécanique et les rouages.
3. Savoir comment prévoir et éviter les dangers qui surgissent de l'extérieur et de l'intérieur.
4. Savoir commander l’équipage.
C'est selon Platon le "métier" qui exige le plus de compétences. Or dans la plupart des cas, il est exercé par des hommes incompétents.
Problématique : si la finalité de l’Etat est intérêt public, la protection de la société, le progrès des conditions d'existence, qui est le plus apte à gouverner ? Quels sont les critères de la compétence en politique ? Faut-il confier le pouvoir à un seul homme ? Au peuple tout entier ? Qui peut décider de l’organisation d’un état ? Où trouver un législateur compétent ? Sur quels critères ou quelles valeurs établir les lois ?
b) Les conceptions idéalistes de l'Etat.
Chez les philosophes :
Ces conceptions sont fondées sur des "concepts" ou "idées", elles définissent ce que devrait être l'Etat idéal. Le mot "idéal" a deux sens : parfait, et irréel.
1. L'Etat le plus parfait, le meilleur à tout points de vue. Il serait fondé sur des valeurs universelles : ORDRE - RAISON – JUSTICE. Plusieurs philosophes en ont proposé des modèles différents.
2. Ces "Etats" n'existent que dans le monde des idées, ils sont irréels, seulement "pensés" par des philosophes ou des utopistes
A. PLATON propose son modèle politique idéal dans La République. Sa conception de l'Etat est fondé sur sa métaphysique. De même que l'univers obéit à une hiérarchie, et qu'il existe trois types d'âmes (les âmes d'or, les âmes d'argent et les âmes de fer), la République de Platon est constituée de trois classes, sur le modèle d'une pyramide :
1. Les chefs : ce sont les "philosophes". Ceux, (hommes et femmes à partir de 50 ans), qui ont atteint le sommet du savoir dans la "dialectique contemplative", (revoir l'allégorie de la caverne). Ils ont reçu une éducation sportive, guerrière, littéraire et musicale jusqu'à 20 ans. Ils ont étudié les mathématiques jusqu'à 30 ans et enfin la métaphysique jusqu'à 35 ans. Ils mènent une vie de guerriers de 35 à 50 ans, période durant laquelle ils sont l'objet de tentations (argent, trahison et pouvoir). S'ils ont su résister à toutes ces tentations, alors, ils méritent d'exercer le pouvoir. Ainsi, les chefs sont les plus savants sur tout, les plus sages et les plus vertueux. Ils doivent mener une vie d’ascète, ne rien posséder en particulier, être sobres (alimentation réglementée, viande "grillée") et vivre en communauté (et non en famille ou en couple). Ils exercent collectivement le pouvoir. Ils doivent faire régner l'ordre et la justice dans la cité.
2. Les guerriers : ceux (hommes et femmes) qui ont reçu jusqu'à 20 ans la même éducation (sportive, guerrière, littéraire, musicale) que les chefs. Ils sont courageux, et cultivés. Ils vivent en communauté (pas de familles ni de couples). Ils ne possèdent rien en propre. Ils protègent et défendent la cité.
3. Les artisans : ceux qui entretiennent et font vivre la cité. Leur vie est plus facile que celle des autres classes. D'abord, ils ont le droit de vivre en famille dans des maisons particulières, de posséder de l'argent (sans être trop riches, car pour Platon, une trop grande richesse entraîne nécessairement des inégalités et des injustices). Leur alimentation est libre. Ils doivent être tempérants c'est-à-dire savoir maîtriser leurs désirs.
Cette organisation politique ne laisse pas de place à l'esclavage.
Comment la reproduction est-elle assurée ?
Pour les chefs et les guerriers, des moments privilégiés sont prévus par les chefs, les "hyménées" (=fêtes de l'amour) durant lesquelles les hommes et les femmes se choisissent pour s'accoupler. Tous les enfants de la cité sont élevés ensemble par des spécialistes de l'éducation. Chaque groupe comprend dix enfants, (nés à la même période, dans les trois classes), leurs dix pères et leurs dix mères (eux aussi appartenant à des classe différentes). Les mères et les pères sont les parents des dix enfants. Ainsi chaque membre de la cité a des frères et sœurs, pères et mères à tous les niveaux de la société. Chacun est donc relié à la société tout entière par des liens solides de parenté. A sept ans, l'enfant choisit, soit de devenir guerrier, soit de devenir artisan, en fonction de ses goûts et de ses capacités. Plus tard il choisit encore, en fonction de ses compétences d'apprendre à devenir un chef.
Ce régime politique est une ARISTOCRATIE, c'est-à-dire un gouvernement exercé par les meilleurs. Celui dans lequel "les rois sont philosophes". C'est le système politique le plus juste qui soit réalisable, selon Platon.
Si cet ordre n'est pas parfaitement respecté, alors commence un processus de désagrégation que Platon appelle la dégénérescence des cités.
Résumons par ordre de valeur les différents régimes politiques selon Platon.
Qui exerce le pouvoir : |
Nom : |
Caractéristiques du régime: |
Le divin, (vérité, bien, beauté).
|
théocratie |
Gouvernement le plus parfait, mais irréalisable. |
Un seul homme, un sage.. |
monarchie |
Gouvernement impossible à réaliser, l'exercice du pouvoir "rend fou", il corrompt celui qui l'exerce. |
Un groupe d'hommes sages et
vertueux : "les rois-philosophes". |
aristocratie |
Justice, ordre, harmonie.
Ce qui empêche ce gouvernement de se réaliser : les rois ne sont pas philosophes. |
Les guerriers prennent la place des chefs. |
timocratie
timarchie |
= Règne de la "crainte". Leurs valeurs sont celles de la force, de la violence, du courage. Ils prônent la guerre.
(Leurs conquêtes rapportent des esclaves et de l'argent. Leurs fils sont élevés dans le luxe et la paresse). |
Les riches, en petit nombre |
oligarchie.
ploutocratie |
= Gouvernement d'un petit nombre.
= Pouvoir de la richesse.
Ils achètent tout, du coup, le nombre de pauvres augmente. |
Le peuple victime d'injustices. |
démocratie
égalitaire. |
= Gouvernement par le peuple.
Le peuple se révolte contre les injustices, et forme un nouveau gouvernement fondé sur la satisfaction des besoins de tous et l'égalité de l'avoir. |
A partir de là, la pyramide bascule en sens inverse |
|
|
Le peuple dont les besoins sont satisfaits. |
démocratie
licencieuse |
Le peuple décide de supprimer toutes les lois. Chacun peut faire ce qu'il désire = licence. |
Plus personne ne gouverne. |
anarchie |
Désordre total.
Violences de toutes sortes, injustices, chaos. |
L'homme le plus violent et le plus corrompu, proche de la bête. |
tyrannie |
Il fait régner l'ordre par la terreur. Il commet contre le peuple tous les crimes et toutes les pires injustices.
règne de la bestialité. |
Ce tableau est censé montrer les différents degrés de dégradation des régimes politiques, du divin à la bête !
B. SPINOZA (1632-1677), Hollande
Le meilleur état est celui qui est fondé sur les lois de la raison.
"La fin de l'Etat n'est pas de faire passer les hommes de la condition d'êtres raisonnables à celle de bêtes brutes ou d'automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s'acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu'eux-mêmes usent d'une Raison libre, pour qu'ils ne luttent point de haine de colère ou de ruse, pour qu'ils se supportent sans malveillance les uns les autres. La fin de l'Etat est donc la liberté.
Spinoza, Traité théologico-politique.
Dans un Etat et sous le commandement pour lesquels la loi suprême est le salut de tout un peuple, non de celui qui commande, celui qui obéit en tout au souverain ne doit pas être dit un esclave, inutile en tout à lui-même, mais un sujet. Ainsi, cet Etat est le plus libre, dont les lois sont fondées en droite Raison, car dans cet Etat, chacun, dés qu'il le veut peut être libre, c'est à dire vivre de son entier consentement sous la conduite de la Raison." Spinoza.
C. Hegel
L'histoire est le "théâtre" où évolue et se manifeste la Raison universelle. La fin de l'histoire est la réalisation objective de l'Etat parfait, révélation de la rationalité universelle, de l'Esprit absolu. Cet Etat est incarné par la souveraineté d'un "prince", un être singulier, capable, au sein de l'Etat, de concrétiser l'universalité du droit.
On ne peut pas dire qu'Hegel ait été un grand prophète !
Les UTOPISTES
Ce ne sont pas de véritables conceptions politiques, mais des conceptions imaginaires fondées sur les désirs, et les rêves de leurs auteurs :
- Th. MORE, 1515, anglais, imagine son "Utopie" située sur une île comprenant 54 villes de 100 000 habitants. Utopus est le chef de l'île. Un magistrat est nommé pour 50 familles. Le "prince", Utopus est élu à vie. La propriété est collective. L'argent n'existe pas, personne n'en possède donc, ni rien en propre. Les maisons n'ont pas de serrures. Il faut en changer et déménager tous les dix ans pour ne pas s'habituer à l'idée de possession. Chaque "Utopien" doit travailler 6 heures par jour, dormir 9 heures, et consacrer 9 heures à ses loisirs. Des uniformes différents selon le sexe, l'âge, la fonction, doivent obligatoirement être portés…
Les boucheries et les hôpitaux sont à l’extérieur des villes. Ce sont les esclaves qui y travaillent. Les esclaves sont tous ceux qui ne reconnaissent pas que lois de la cité sont les meilleures et les transgressent. Ils sont enchaînés par des chaînes en or !
- L'Abbaye de Thélème (inventée par Rabelais, 1532) est un palais magnifique, rempli de miroirs pour que ses habitants puissent contempler leur jeunesse et leur beauté… Seules les jeunes filles de 10 à 15 ans et les jeunes hommes de 12 à 18 ans y sont admis, à condition d'être "libres, nobles, cultivés et beaux". La règle d'or est : "Fais ce que voudras"…
- "L’harmonie" de Fourier. 1822. (Aller chercher des informations complémentaires dans les différentes encyclopédies).
- L’Icarie de Cabet. 1840.
La ferme d’Otto Muehl. 1970, (Autriche). (Utopie de 1968).
La ferme de GASKIN. 1970, (USA). (Utopie de 1968).
c) Les conceptions classiques de l'état.
1/ Les tendances.
L’absolutisme
Conception selon laquelle l'Etat, représenté par le souverain a un pouvoir sans limite et arbitraire fondé sur la "raison d’état". Le pouvoir est divin, il vient de la volonté de Dieu. Seul le souverain "sait" comment il doit gouverner. Le peuple est par essence ignorant, et par conséquent il n’a rien à dire, il ne doit qu'obéir. Hobbes (1588-1679) affirme que tous les hommes sont bêtes et méchants "L’homme est un loup pour l’Homme". Les hommes sont naturellement en guerre perpétuelle. Pour éviter le désordre social, les hommes ont intérêt à renoncer à tout pouvoir et à se mettre sous dépendance exclusive du prince. L'intérêt du prince est la survie de son royaume. Donc il doit faire régner l'ordre par tous les moyens y compris par l'exercice de la violence. Un ordre injuste est infiniment préférable au désordre. La théorie du despotisme affirme que l'ordre politique est supérieur à la justice.
Le libéralisme
a. Le libéralisme politique
Locke, Montesquieu, Rousseau ont une conception de l’état qui cherche à préserver les libertés individuelles et à limiter la souveraineté de l’Etat.
MONTESQUIEU (1689-1755), propose la "séparation des trois pouvoirs".
- Le pouvoir législatif qui consiste à faire les lois.
- Le pouvoir exécutif qui est chargé de faire exécuter les lois, de veiller à la sécurité intérieure et extérieure de l'Etat (par exemple décider de la paix ou de la guerre).
- Le pouvoir judiciaire dont la fonction est d'appliquer les lois, (punir les crimes par exemple).
"La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d’esprit qui provient de l’opinion que chacun a de sa sûreté ; et pour qu’on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu’un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n’y a point de liberté ; parce qu’on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.
Il n’y a point encore de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire : car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur."
Montesquieu, De l’esprit des lois. Ed. Garnier P. 164
b. Le libéralisme économique. Théorie selon laquelle dans la libre concurrence, un équilibre s’établit nécessairement entre la production, la distribution et la consommation. Cette théorie suppose la propriété privée des moyens de production et la liberté de l'initiative privée. Elle implique nécessairement une "lutte" économique, donc des gagnants et des perdants. Elle est source d'inégalités.
Le Totalitarisme = toute puissance d’une collectivité, parti, race, classe. Ü contrôle autoritaire, armé des personnes, des activités, des biens des individus qui composent la société. Fusion des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Ex : fascisme, nazisme, stalinisme.
2/ Les différents REGIMES POLITIQUES (quelques exemples)
Il existe une grande variétés de régimes politiques. Ils peuvent refléter des tendances différentes, et même se combiner entre eux. Par exemple un régime socialiste peut coexister avec la monarchie. Un régime démocratique peut élire un "tyran" à la tête de l'Etat…
La monarchie : forme de gouvernement fondée sur le pouvoir (le plus souvent héréditaire) d'un seul chef : le roi. Il existe de nombreuses conceptions de la monarchie :
monarchie absolue, théocratique (autorité de droit divin), despotique…despotisme éclairé, monarchie parlementaire…
La démocratie : régime politique dans lequel la souveraineté est exercée par le peuple. Il existe une très grande diversité de démocraties. Par exemple, la démocratie antique (celle d'Athènes) se fonde sur une définition très étroite du peuple. En effet, le "peuple" athénien est constitué d'hommes libres, adultes, masculins. En sont exclus, tous les esclaves, les "métèques" (c'est-à-dire les étrangers), les femmes et les jeunes. Au sens strict c'est une aristocratie.
Rousseau, (1712-1778), dans le Contrat Social, trace les grandes lignes du régime démocratique idéal.
"L'homme est né libre et partout il est dans les fers." Contrat Social, (1762). Comment résoudre ce problème ?
Le droit n'a pas sa source dans la nature. Dans la nature n'existent que des rapports de force, donc d'inégalité. Il faut inventer une convention, un pacte, ou un contrat, non pour rassembler les hommes, mais pour les unir. Pour passer de l'instinct à la justice, il faut accepter de perdre la spontanéité instinctive que Rousseau appelle "liberté naturelle". Celle-ci n'obéit qu'à la loi du plus fort. C'est seulement en respectant un pacte collectif que l'homme peut accéder à la "liberté civile".
Le but de l'état est de réaliser le bonheur des individus. L'état est le moyen de réaliser ce but. Le peuple sait où est son bonheur. Il convient donc d'organiser des assemblées du peuple pour arriver à dégager une "volonté générale". La volonté générale n'est pas la somme des intérêts particuliers, des impulsions, ou de l'égoïsme de chacun, mais la prise de conscience collective de l'intérêt supérieur du peuple. Rousseau pense que la volonté particulière est capable de s'effacer devant l'intérêt général et que les hommes peuvent être guidés par une force raisonnable. Il a confiance en "l'homme bon", et en son bon sens, son "instinct divin". Les lois seraient écrites au fond de son cœur. Si les hommes se rassemblent afin de trouver ce qui est bon pour eux, (protection de leur vie, de leur intégrité physique, de leur biens etc.), un consensus devrait se dégager à un niveau supérieur. Il suffirait à un législateur de codifier cette volonté du peuple sous forme de lois : le "contrat social". Ainsi, chaque homme, en obéissant au contrat social, deviendrait libre. En effet, de "sujet" (celui qui obéit à une loi étrangère à lui-même, la loi du monarque), il deviendrait "citoyen" libre parce qu'il n'obéirait qu'à une loi émanant de sa propre volonté, et "sujet" de l'Etat républicain. Le peuple en élisant des députés, en ratifiant leurs décisions par référendum, acquiert un "pouvoir inaliénable, indivisible, infaillible, absolu".
En réalité, plusieurs difficultés ternissent cette conception idéale.
1. Si l'unanimité n'est pas obtenue, il faut accepter la majorité, (c'est-à-dire au moins la moitié des votants plus un). C'est là le ver dans le fruit. En effet, le risque de voir triompher les intérêts de classe est inévitable : "tyrannie de la majorité".
2. Sont exclus de ces assemblées du peuple : "les enfants mineurs" (= de moins de 21 ans), "les femmes" (leur place est le foyer où elles ont un statut de reines selon Rousseau), "les salariés" (= ceux qui ne sont pas autonomes économiquement, les serviteurs et domestiques), "les imbéciles", (ceux qui ne possèdent pas tout leur bon sens, ou les marginaux). Il apparaît que la conception de la démocratie idéale chez Rousseau, est idéaliste, et très élitiste !
En réalité il existe plusieurs types de démocraties, selon le mode d'élection et la constitution.
1. Démocratie parlementaire. Le peuple élit ses représentants. Ceux-ci défendent l'intérêt de la nation. Le peuple perd vite le contrôle de ses élus.
2. Démocratie concurrentielle. L'égalité politique existe au moment du vote. Seul l'intérêt du plus grand nombre est pris en compte, d'où l'inégalité réelle (la concurrence) qui en résulte. C'est le modèle de la plupart des démocraties occidentales.
3. Démocratie bonapartiste ou plébiscitaire. Un seul chef est désigné par le peuple au suffrage universel. Son pouvoir est d'autant plus fort qu'il est fondé sur le choix du peuple. Mais selon sa personnalité, il a la "liberté" d'exprimer la volonté du peuple (démocrate) ou sa propre volonté de puissance (démagogue).
4. Démocratie totalitaire, de gauche ou de droite. L'égalité du peuple est à construire pour le futur. En attendant, le peuple est pris en charge par un "parti" qui "sait" comment organiser le progrès, et qui a un pouvoir absolu, y compris celui d'éliminer ceux qui ne sont pas en accord avec la politique exercée.
5. Démocratie technocratique. Les décisions politiques sont fondées sur la science et la technique. Les études de marché, les statistiques, la "rationalité" remplacent le pouvoir humain. Le gouvernement est celui des grands producteurs. Ce sont en définitive les chiffres qui décident.
Les démocraties libérales modernes sont fragiles à cause de leur seuil de tolérance. Néanmoins ce sont les seuls régimes qui tolèrent un contre pouvoir, celui de l'opposition.
Le SOCIALISME
Doctrine politique et économique qui préconise la disparition de la propriété privée des moyens de production, et leur appropriation par la collectivité. L'organisation de la société doit faire prévaloir les intérêts généraux sur les intérêts particuliers.
Doctrine des grands partis de gauche non marxistes.
Socialisme réformiste. Socialisme social, libéral etc.
Saint-Simon, Fourier, Blanqui, en sont les précurseurs.
Le MARXISME
Théorie politique élaborée par Marx et Engels.
Marx est un philosophe allemand (1828-1883), issu d'une famille juive de rabbins. Son père, avocat, s'est converti au protestantisme. Marx fait ses études de philosophie à Bonn, et publie sa thèse en 1841, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Epicure. Il est matérialiste et hégélien de gauche. Il est rédacteur en chef d'un journal de la bourgeoisie libérale. Il a des ennuis politiques, voyage beaucoup, Paris, Bruxelles, Cologne, Londres. Il vit pauvrement, étudie et écrit :
- 1845 Esquisse d'une théorie de l'économie politique.
- 1848 Le Manifeste Communiste.
- 1867 Le Capital.
En 1864, il fonde la première "Internationale", une organisation d'ouvriers qui appuie le programme d'action révolutionnaire.
Thèmes essentiels du marxisme :
1. Le matérialisme dialectique
Ce ne sont pas les idées qui mènent le monde. Tout le développement des sociétés s'explique par les conditions matérielles dans lesquelles vivent les hommes, à travers la production de leur existence. Le travail humain, processus de transformation de la nature, est créateur de richesses et fondateur de la société. L'être humain est avant tout un travailleur.
Toute société se définit par son mode de production. Le mode de production comprend :
Les forces productives :
- les biens de production (matières premières et les moyens de production, machines, usines)
- le savoir, la science.
- la force de travail, (c'est-à-dire l'énergie des ouvriers, elle-même considérée comme une marchandise).
Les rapports de production
- les relations réelles qui existent entre les hommes à partir de leur travail. L'histoire montre que ces relations ont toujours été inégalitaires parce que les forces productives appartiennent toujours à la même classe, la classe dominante, les maîtres dans l'Antiquité, les seigneurs, au Moyen-Âge, les bourgeois à l'époque moderne. "L'histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de la lutte des classes". Marx, Manifeste.
Les idées ne sont rien d'autre que les reflets des structures matérielles historiques dans lesquelles elles se développent. La superstructure est le reflet de l'infrastructure. Ainsi, les lois, les rationalisations diverses, les idéologies, la morale, la religion, les représentations esthétiques (=superstructure) sont l'expression des intérêts de la classe dominante dans une société donnée, et elles consolident le pouvoir de cette classe.
2. La critique du capitalisme
Marx propose une analyse "scientifique" du capitalisme :
- Le travail, dont la fonction devrait être la libération de l'homme, le détruit le déshumanise et l'aliène. L'aliénation est un processus qui conduit l'homme à devenir étranger à lui-même. La véritable cause de l'aliénation est l'injustice économique. Ceux qui possèdent le capital exploitent les pauvres (=les prolétaires), et s'enrichissent par leur travail. Voir l'analyse marxiste de la plus-value dans le cours sur le travail.
- La société républicaine issue de la Révolution Française, fondée sur la liberté, l'égalité et la fraternité est un leurre. Elle n'est pas un état juste. C'est une société fondée sur la victoire de la classe bourgeoise son culte de la propriété et ses idéaux mercantiles. Son seul but est l'augmentation du capital par un profit maximal Elle a créé des lois protégeant ses intérêts de classe. Le libéralisme économique en est un exemple flagrant. La "loi Lechapelier" 1791, supprime les corporations d'artisans, déclare la libre concurrence, et interdit les syndicats. La liberté n'est conçue que par les bourgeois et pour les bourgeois. Elle permet d'exploiter sans limites les plus démunis. La société bourgeoise est "exploitation de l'homme par l'homme".
- Le capitalisme est fondé sur une "contradiction mortelle" dont le développement produira la négation. "La bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs." Marx.
En effet, les prolétaires sont les artisans nécessaires du progrès économique de la classe dominante, donc de sa richesse et de son luxe. Or au XIX° les prolétaires vivent au-dessous du seuil de pauvreté dans une misère intolérable. Cette contradiction ne peut, selon Marx, que ruiner le système capitaliste tout entier. La misère et le sentiment d'injustice ne peuvent que pousser les prolétaires à la révolte.
3. La révolution : (en U.R.S.S., 1905) la dictature du prolétariat
- Il importe dans un premier temps de détruire cette structure inégalitaire, c'est-à-dire de faire la révolution. L'Etat doit éliminer le capitalisme, collectiviser et centraliser les biens de production (c'est-à-dire le capital, les matières premières, les usines et toutes les entreprises qui produisent de la richesse grâce au travail des hommes). La dictature du prolétariat, incarné par le parti prolétarien unique, n'est qu'un régime de transition, elle met en place les conditions matérielles de la future société.
- De cette nouvelle organisation matérielle de la société se dégageront de nouvelles superstructures. Cela signifie que les mentalités évolueront et changeront. Les anciennes superstructures s'évanouiront d'elles-mêmes, la religion disparaîtra, les notions d'égalité et de solidarité deviendront évidentes… qui rendront possible la réalisation politique d'une société juste, c'est-à-dire sans classe.
4. Le communisme
Le communisme sera la réalisation d'une société juste et sans classe dans laquelle l'homme n'étant plus exploité par l'homme, sera désaliéné et pourra enfin se réaliser totalement.
L'effondrement économique, militaire et idéologique du système soviétique au cours des années 80, est-il imputable à l'égoïsme humain ? Les hommes sont-ils incapables de renoncer à la propriété privée et à leur liberté ? Ou bien l'idéologie marxiste est-elle trop réductionniste ? Les penseurs politiques feront bientôt l'autopsie du système.
L'ANARCHISME
L'anarchisme est une doctrine qui refuse toute forme d'Etat, et toute hiérarchie.
"Ni Dieu, ni maître", telle est la devise des anarchistes.
Bakounine, (1814-1876), Kropotkine, (1842-1921), Reclus, (1830-1905), Malatesta, (1853-1932), J. Grave, (1854-1939) Stirner etc.
Leur thèse commune : l'homme est fondamentalement bon, c'est la société qui le corrompt. La source de tous les maux, c'est l'Etat : "un immense cimetière où viennent se sacrifier, mourir, s'enterrer toutes les manifestations de la vie individuelle", Bakounine.
Magistrature, armée, police, instruction publique, économie, religion, toutes servent le capital.
Il faut supprimer par la violence tous les rouages de l'Etat, pour constituer une société d'hommes libres. Les hommes sont capables de s'organiser spontanément en associations et en corporations. Au sein de l'anarchisme, il existe divers courants: individualiste, communiste…
Tous les régimes politiques ont échoué à réaliser la paix et la justice dans la société.
Les principaux obstacles sont :
- La difficulté d'élaborer une véritable science politique capable de définir les différents paramètres du "politique".
- Donc l'absence de la notion de "compétence" politique, remplacée par le mythe de la "confiance".
- L'impossibilité de limiter réellement les pouvoirs de l'Etat?
- Le mythe de la "liberté", confondue avec le caprice, l'intérêt personnel, la "licence"…
- Le manque d'éducation historique, économique et politique, du peuple appelé à donner son "opinion".
D'où la nécessité et l'urgence de construire une véritable "science politique".
D. Desbornes. 2009