Découverte de la philosophie
Accueil Cours Méthodologie Auteurs Textes Recherche Google Contact

La Vérité

Introduction et problématique

1. Précision de vocabulaire

2. Le choix des critères

3. Les doctrines sur la Vérité

4. La Vérité peut être objet d'une  REVELATION

5. L'accès à la Vérité est le résultat d'une quête de l'esprit

6. Ce que nous prenons pour la Vérité n'est qu'une "ILLUSION TRANSCENDANTALE"    KANT

7. Le soupçon sur la vérité: la désillusion

8. L'artiste ne traduit-il pas le monde mieux que quiconque?

9. L'inconscient est le maitre de nos illusions. Il faut le débusquer

10. A chacun sa vérité ?

11. La science et son langage mathématique comme code privilégié ? La science est-elle "VRAIE" ?

Conclusion

Introduction

Il faut partir de la curiosité humaine pour aborder ce thème de la vérité. En effet, le désir de savoir semble constitutif de la conscience humaine. L'homme ne "voit" pas seulement le monde, mais il le "regarde" (par rapport à la simple vision de l'animal, le regard humain implique une profondeur, une intensité),  il le scrute, l'interroge, cherche à en dévoiler le sens caché.

Cf. Adam et son désir de toucher à l'arbre de la connaissance, pour en savoir plus, et augmenter sa puissance.

f. l'aventure du peintre grec, Parrhasios, qui avait gagné un concours de peinture contre Zeuxis en recouvrant son tableau d'un voile "peint", alors que Zeuxis avait peint une grappe de raisin tellement réaliste qu'elle attirait tous les oiseaux d'Athènes :

Cette histoire racontée par Pline, montre bien que l'objet essentiel du désir humain se situe au-delà de ce qu'il voit, dans le dévoilement. L'homme cherche une vérité qu'il suppose cachée derrière les apparences.

 v Cf. les "pourquoi" répétitifs des enfants...

Qui suis-je?   D'où viens-je?   Où vais-je?   L'univers a-t-il un sens?    Comment est fait le monde?   Pourquoi le mal existe-t-il ? Qu’y a-t-il au delà de la mort ?  Pourquoi la mort est-elle inéluctable?  Bref il faudrait énumérer l'infinité des questions qui commencent par POURQUOI.....(= à cause de quoi, quelle raison, quelle origine) et (= dans quel but, ou quelle finalité) ou encore, "à quoi bon"?

M.Klein parle d'une "pulsion épistémologique" chez l'Homme.

Quel est l'enjeu de cette quête ?  (= qu'est-ce que nous avons à gagner?)

  La SAGESSE ?     Le BONHEUR ?      La LIBERTE ?       La TOUTE PUISSANCE ? ...

Mais l'univers est opaque, il n'est pas du tout transparent à l'homme, il ne manifeste pas directement son sens, ni son mode de fonctionnement. Pourquoi?  Est-ce l'homme qui aurait perdu sa "lumineuse" perception originelle en se complexifiant? (La Bible nous dit qu'à l'origine l'homme et l'univers baignaient dans  une "lumière" invisible.)   Ou bien cette hypothèse est-elle elle-même un mythe? En tout cas, cette non-immédiateté du sens de l'univers oblige l'homme à réfléchir, à essayer de le "décoder", donc à médiatiser (= placer un intermédiaire) son rapport au monde par sa réflexion.

L'homme qui "réfléchit", essaie de fabriquer des réponses à l'aide de codes:

Qu'est-ce que la réflexion ?

- Au sens propre, c'est la possibilité qu'a un miroir de reproduire une image virtuelle d'une réalité quelconque. (Déjà, il y a une énorme différence entre le monde réel et le monde virtuel, mais de plus, le miroir peut être "déformant".)

- Au sens humain, réfléchir, c'est la possibilité qu'a notre "esprit", (aujourd'hui, l'on dirait notre cerveau), de se faire une représentation du monde qui l'entoure. Avec quoi ? Grâce aux différents langages (ou codes) qu'il a inventés. Ces langages peuvent être constitués de symboles, d'images, de sons, de mots, de chiffres etc.

 1 - Ainsi, à l'aide de symboles (le feu, le soleil, l'eau......), les mythes, les religions, ou même    
       notre inconscient par l’intermédiaire des rêves, nous "expliquent" ce que nous ne voyons pas.
 
 2 - Les artistes se servent d'images, de formes, de sons etc. eux aussi, pour nous faire "sentir", ou
       nous donner "l'intuition" de réalités qui se trouvent au-delà de notre perception, surtout dans
       l'art sacré.

 3 - Avec les mots, les idées, c'est-à-dire  le langage (au sens linguistique du terme = la parole, = le
      discours), l'homme est en mesure de se faire une représentation du monde, soit littéraire, soit
       philosophique. 

 4 - Enfin avec les chiffres, (en réalité les symboles abstraits du langage logico-mathématique),
      les scientifiques dégagent la structure ou "l'ordre" qui se cache derrière les apparences.

Notre pensée peut refléter le monde. On appelle CONNAISSANCE l'ensemble de ces  discours-réponses.

Le problème est alors de savoir quelle est la valeur de ces constructions intelligibles que sont les réponses. Sont-elles VRAIES c'est-à-dire  conformes ou adéquates au réel ? Si elles ont cette qualité, alors, elles sont respectables, et on peut les nommer "VERITE". L'être humain attache énormément de prix (= de valeur) à cette conformité. Certains hommes sont prêts à faire d'énormes efforts pour conquérir LA VERITE, et même quelquefois à sacrifier leur vie pour la défendre. Ont-ils raison ? Mourir pour une idée, est-ce prouver qu'elle est vraie ?

Définition de la vérité : La VERITE,   c'est  l'adéquation d'un langage au réel.  

PROBLEMATIQUE

Mais on peut, dans un premier temps, se demander si tous ces codes se valent, ou si les uns sont plus adéquats ou plus transparents que les autres? Autrement dit, faut-il hiérarchiser ces langages ? Quel critère choisir alors pour cette sélection? Le sentiment de conviction ou de certitude? L'évidence?  La cohérence logique ?(rationalité),  L'efficacité ?  La possibilité de prouver ce que l'on affirme? Mais à quelles conditions une preuve est-elle valable? La vérification par l'expérimentation scientifique est-elle fiable? Si oui, la science est-elle en mesure de répondre à tous les problèmes? 

1 - N'y a t il qu'UNE vérité, ou plusieurs vérités? S'il y en a plusieurs (celles des religieux, celles des philosophes, celles des artistes, celles des scientifiques....),  pourquoi se contredisent-elles non seulement entre elles (religion contre science par exemple) mais à l'intérieur d'elles-mêmes (les religions entre elles, les philosophies entre elles)?  

2 - Comment vérifier la conformité d'un discours quelconque au réel si l'on ne peut pas accéder au réel autrement qu'au moyen d'un discours? Sommes-nous dans une impasse? Faut-il  penser comme Hubert Reeves que les différents codes expriment, chacun à sa manière, l'immense complexité du réel? (Cf. Patience dans l'Azur.)

3 - Mais au fait, d’où viennent tous ces codes que nous utilisons pour appréhender (= saisir) le réel? certains semblent innés comme les archétypes qui structurent les rêves. Le sont-ils vraiment? Ou proviennent-ils de la nature ou d’un héritage ancestral de l’espèce humaine? D’autres codes sont totalement arbitraires et artificiels comme la parole ou les mathématiques. Tous ces langages ou codes ne seraient-ils pas en définitive produits par nous-mêmes, et donc seulement les reflets de nous-mêmes, de la société ou de la structure de notre cerveau ? Et dans ce cas toute connaissance nous serait-elle impossible?

HISTOIRE ORIENTALE

  
"Il était une fois quatre aveugles qui se disputaient violemment entre eux pour savoir ce qu'était un ELEPHANT.

Le premier, ayant touché le ventre de l'éléphant, disait: "C'est un mur !"

Le deuxième, ayant tâté sa patte, prétendait que c'était "une colonne".

Le troisième ayant saisi sa queue, affirmait: " C'est une grosse corde !"

Le quatrième ayant palpé l'oreille, disait: "C'est un grand éventail !"

Chacun restait sur sa position et sa connaissance limitées, et ils se battaient jusqu'à la mort."

 
(Il existe plusieurs variantes de cette histoire.)      Quel enseignement en tirer?

Remplaçons l'éléphant par le réel, et les quatre discours par ceux que nous avons énumérés plus haut, alors cette histoire suggère que plusieurs discours pourraient être vrais en même temps. Ils exprimeraient une richesse et une complexité infinies du réel, dont chaque point de vue ne refléterait qu'une petite facette et l'on aurait tout à fait tort de se battre pour imposer sa propre vérité. Elle nous donne une antique leçon de tolérance et de sagesse.

Nous verrons la théorie chinoise du yin et du yang (dans le cours : Méthode 3), qui nous explique comment des points de vue différents, voire opposés peuvent être "vrais" en même temps.

Mais les aveugles ont, eux tous, le même mode de perception : ils n'ont que leurs mains, c'est-à-dire le sens du toucher. Existe-t-il d’autres  formes de perception ?

Avant d'aller plus loin, procédons à quelques précisions de vocabulaire :

1. Précision de vocabulaire

L'erreur: discours (ou théorie) non conforme au réel, jugement faux. L'erreur n'est ni consciente ni volontaire. Le sujet parle sans connaître lui-même la vérité.

L'ignorance: état de celui qui ne connaît pas la vérité, donc il peut faire des erreurs.

Le mensonge: discours qui déforme consciemment et volontairement la "vérité", dans l'intention de tromper autrui; donc celui qui ment sait nécessairement "une" vérité qu’il cache.

La véracité: caractère sincère de celui qui parle ou de son discours, donc non trompeur.
Si le roi Salomon ordonne de trancher l'enfant en deux, (cf. Bible.) c'est justement pour tester la véracité des discours des deux femmes, qui se prétendent chacune en être la mère.      

L'illusion:

1- fausse croyance spontanée. Par exemple chez Platon le fait de croire que les ombres (= la matière) sont les vraies et les seules réalités.

2- croyance dérivée des désirs humains, selon Freud, c'est-à-dire le fait de croire  que l'objet que l’on désire, existe réellement.

Dans l'illusion, on est involontairement "joué" par les apparences.    

Le délire: discours soit, complètement détaché du réel  (irréel), soit inintelligible parce que totalement illogique. (Nous en reparlerons dans le cours sur la "folie".)

Attention aux usages illicites de la notion de vérité:   Ne pas confondre Vérité et Réalité.

Domaines où la confusion apparaît:

a)   Justice: le juge cherche le "vrai" coupable = le coupable "réel".

b)  Art: un "vrai" Rembrandt = un tableau peint "réellement" par Rembrandt, pour le distinguer d'un "faux" = peint par un habile imitateur ou faussaire.

c)  Histoire: lorsqu'un historien authentifie un document comme "vrai", cela signifie qu'il est réellement de l'époque concernée c'est-à-dire authentifié.

d)  Psychologie: un individu "vrai" = qui ne joue pas un personnage, ou la comédie, donc qui est sincère, authentique, spontané, qui manifeste son être réel sans être dans l'apparence.

2. Le choix des critères

A. La certitude ou la conviction

Définition du dictionnaire LITTRE :

- certitude = "conviction qu'a l'esprit que les objets sont tels qu'il les conçoit".

- conviction = "nécessité où l'on met quelqu'un, par des preuves, de reconnaître les vérités qu'on lui présente", "conviction raisonnée". Ces preuves peuvent s'appuyer sur des arguments logiques, ou des actes.  

C'est l'adhésion intérieure qui relève plus du sentiment que de la preuve. Elle peut avoir une immense puissance. Des hommes peuvent  mourir ou se laisser tuer par conviction. Socrate, les martyrs des différentes religions, G. Bruno (qui défendait la théorie de l'héliocentrisme à l'époque de l'Inquisition), les  révolutionnaires de toutes tendances....Cela témoigne de leur sincérité, de leur courage  de leur générosité, de la force de leur amour pour un idéal. Cela prouve que cet idéal avait  une valeur absolue pour eux. Cette valeur peut-être le BIEN, le BEAU, le JUSTE......bref, être d'ordre éthique, mais elle n'est pas nécessairement vraie. La mort pour une théorie ne prouve rien quant à la vérité de cette théorie. D'ailleurs Galilée a préféré ne pas mourir pour "prouver" ou défendre sa théorie de l'héliocentrisme, alors qu'il était persuadé qu'elle était vraie et qu'il avait raison ! Le phénomène de la conviction peut relever des domaines psychologique ou affectif. L'inconscient peut nous pousser, à notre insu, à nous identifier à tel discours  plutôt  qu'à tel autre, pour des raisons que Freud a bien expliquées (Cf. tout ce que nous expliquerons dans  le cours sur l'Inconscient).

B. L'évidence

Pour Descartes, l'évidence est le caractère de ce qui emporte l'adhésion de l'intelligence, donc ce qu'il est impossible de mettre en doute sans tomber dans une contradiction logique, une sorte d'intuition rationnelle. Par exemple le cogito ergo sum (je pense donc je suis) est le modèle de l'évidence pour Descartes.( voir plus loin p.9)

Selon Bachelard, ce critère est très discutable, il faut au contraire se méfier des évidences. Il peut se produire à notre insu un amalgame entre évidence logique et évidence sensible. Il est évident que le soleil "se lève", or c'est faux. L'évidence est souvent ce qui va dans le sens de nos habitudes de penser ou de notre passion.

C. L'efficacité ou la réussite. Cette théorie s'appelle le PRAGMATISME

C'est le critère proposé au XIXème siècle par James: "Est vraie une théorie qui est utile, et qui réussit" c'est-à-dire qui permet de progresser, qui donne une puissance sur le monde, en bref qui "marche".

Ce critère est lui aussi très discutable, ici aussi il y a confusion entre des domaines différents, celui du "pratique" et celui de la valeur. Un mensonge peut aider à guérir!

D. La cohérence logique

C'est-à-dire le fait, pour une théorie, de respecter rigoureusement, les quatre principes de la logique 1- le principe d'identité,   2- le principe de non-contradiction,    3- le principe du tiers exclu,   4- le principe de causalité. ( ces principes seront analysés dans le chapitre LOGIQUE du cours d'Epistémologie.)  

Critique: certaines axiomatiques purement logiques, sont de purs jeux formels et n'ont aucun rapport avec une quelconque réalité.(Cf. le cours Epistémologie). En revanche certains langages, comme celui du rêve par exemple, peuvent être illogiques, tout en ayant une cohérence psychique, et exprimer une vérité intérieure.

E. La vérification expérimentale

C'est l'un des critères absolument exigé par la SCIENCE   - au sens moderne du terme -  pour qu'une connaissance puisse obtenir le label de "scientifique". (A ce critère, K Popper ajoute celui de falsification, c'est-à-dire le fait d'avoir la possibilité de construire une expérience qui permettrait de prouver la fausseté d'une théorie). L'expérimentation est une situation particulière qui permet de reproduire le phénomène étudié (en laboratoire par exemple), de le mesurer (= de l'exprimer en langage mathématique, donc de le quantifier), d'en faire varier les paramètres, et d'en dégager une loi.

Les Kantiens peuvent objecter que dans l'expérimentation, nous n'agissons que sur nos représentations du réel, et non sur le réel lui-même, et que par conséquent nous restons piégés dans une "illusion transcendantale". Théorie elle-même invérifiable!

L'on peut plus généralement et plus simplement objecter à cette théorie, le fait que beaucoup d'hypothèses ne peuvent absolument pas être vérifiées par l'expérimentation, soit parce que leur objet dépasse le cadre du monde sensible, comme c'est le cas pour toutes les hypothèses métaphysiques (Dieu, l'âme, la liberté....), ou parce qu'il ne peut pas être reproduit à cause de sa structure elle-même temporelle : par exemple les événements historiques ou psychologiques, liés au passé unique d'un individu, ou encore l’expérience de la mort. La structure irréversible du déroulement du temps rend impossible tout retour en arrière, donc toute tentative de reproduire un quelconque événement de cette nature pour faire sur lui les expérimentations nécessaires.
Un discours non vérifiable n'est pas nécessairement faux, mais comment le prouver?

3. Les doctrines sur la Vérité

A. Le dogmatisme

i - Sens philosophique  = doctrine professant la capacité de l'homme à atteindre la vérité absolue. Cette doctrine se fonde elle-même sur une affirmation qu'elle ne remet pas en question c'est-à-dire un dogme, ou axiome. Ce premier sens n’est pas péjoratif.

Dogme: le dogme est une opinion philosophique reçue dans une école, ou une doctrine reconnue et établie par l'autorité d'une église,  par exemple le "dogme de la Trinité" dans le christianisme.
 
Axiome: au sens ancien, un axiome est :

    - soit, pour le sens commun, une opinion, ou dogme ou proposition générale, reconnus
        comme vrais.
    - soit, pour les mathématiciens, une proposition évidente, mais indémontrable. Par exemple
       "le tout est plus grand que la partie".

- au sens moderne, on appelle axiome toute proposition indémontrable, pas nécessairement évidente, qui ne se déduit pas d'une autre, mais qui sert de point de départ pour un système donné.

L'usage du terme est confus, et autorise l'emploi du terme "axiome" pour "dogme".

Il semble toutefois préférable de conserver le terme de dogme quand il s'agit d'une croyance, c'est-à-dire dans le domaine socio-psychologique, et celui d'axiome quand il s'agit d'une proposition logique dans le domaine scientifique. 

Il existe plusieurs types de dogmatismes parce qu'il existe plusieurs "dogmes" de base.

a) Le dogmatisme "surrationaliste"

Par exemple  celui de Platon. Selon lui l'être humain possède " l’Intelligence" faculté de l'âme, qui se situe au delà de  la raison. Elle lui permet de "saisir" la totalité de l'univers sensible et intelligible, et d'en comprendre l'essence et tous les mécanismes.

b) Le dogmatisme "rationaliste"

Par exemple celui de Descartes pour lequel seule la "Raison" outil divin permet de tout comprendre.

c) Le dogmatisme "scientiste"

Selon A. Comte, XIXème siècle, seule la science permet de  comprendre le monde.

ii sens commun: Tournure d'esprit qui consiste à affirmer ses opinions ou doctrines avec autorité. Le "dogmatique" est certain de détenir LA Vérité, et tous ceux qui ne partagent pas "SA" "Vérité" sont dans l'erreur. Risque de dérive vers l'intolérance et le fanatisme. Le sens donné ici à dogmatique est péjoratif.

B. Le SCEPTICISME  (Attitude opposée)

Doctrine selon laquelle l'esprit humain est incapable de connaître quoi que ce soit avec certitude, et qui en conclut à la nécessité de la "suspension du jugement" et du "doute universel"  Cf. Pyrrhon d'où vient le terme "pyrrhonisme"(= doute absolu sur tout, mais qui lui aussi se fonde sur une affirmation qu'il ne remet pas en question: "le monde est inconnaissable") . Ce scepticisme est appelé parfois "dogmatisme négatif" (il affirme une négation).

Il existe des scepticismes plus modérés: Celui de Protagoras (sophiste Grec) selon lequel il faut admettre une relativité de toute connaissance puisque c'est toujours l'homme qui juge en fonction de lui et de ses propres références. Il est vrai que la température de l'eau dépend de la température de la main de celui qui la trempe dans l'eau.

Le scepticisme de Montaigne confine plus à la tolérance.

C. Le CRITICISME  (attitude intermédiaire)

Doctrine qui s'intéresse plus à comprendre comment nous connaissons plutôt qu'aux objets de cette connaissance. C'est par exemple la théorie de Kant  qui affirme l'impossibilité pour l'esprit humain de connaître quoi que ce soit, car  il ne peut pas dépasser les limites qui lui sont imposées par la structure a priori (c'est-à-dire immédiate, innée, ne résultant d'aucune expérience) de son entendement (aujourd'hui on dirait "l'intelligence" ou la "raison", et  les biologistes parleraient de la structure du "cerveau"). Donc notre entendement ne peut pas  atteindre le "réel en soi" (= le "noumène"), mais seulement la représentation qu'il s'en construit: le "phénomène". Nous analyserons cette conception dans le cours sur la Métaphysique: conception "TRANSCENDANTALE" de la connaissance. ( Voir plus loin p.11).

Il existe une forme analogue de criticisme dans la philosophie bouddhiste.

D. Le MYSTICISME

Doctrine qui rejette la valeur de l'intelligence ou de la raison et affirme qu'un contact direct peut s'établir avec l'absolu dans une relation de communion. A l'inverse des autres théories, le mysticisme nie toute possibilité du langage. La vérité se connaît avec certitude en dehors de tout langage dans le silence et ne peut se "dire". Elle est du domaine de l'ineffable.

E. L'ANTI-RATIONALISME

Affirmation selon laquelle, la quête de la vérité relèverait de la "pathologie" cf. Nietzsche. Il faudrait lui préférer la vie et la beauté. Cette attitude conduit Nietzsche :

  1. Au rejet de toute forme de connaissance: les philosophes et les scientifiques ressemblent à des araignées qui tissent leurs toiles et se placent au milieu, en croyant qu'ils sont au centre du monde!

  2.  A privilégier le côté "instinctif" aujourd'hui l'on dirait "pulsionnel" de l'être humain, avec toutes ses dérives possibles.....

Au XXème siècle l'on trouve une autre forme d'anti-rationalisme chez CASTANEDA, (ethnologue américain qui est allé se faire "initier" à la "connaissance" par un sorcier Yaqui, à l'aide du "Peyotl", drogue non-hallucinogène permettant de "VOIR" autrement le monde, c'est-à-dire sans les catégories habituelles du langage et de la logique.) Cf. son livre Voir.

 

F. L'AGNOSTICISME

Le réel est inconnaissable, ce que nous connaissons de lui, ce sont nos propres projections. Cette théorie ressemble au "criticisme" mais ce terme est plutôt réservé à Kant et à ses successeurs.

 Freud, Lévi-Strauss, Russell, sont des agnostiques.

" Nous ne saurons jamais si la musique écrite dans nos partitions est sublime ou grotesque" (=  si, ce qui existe au-delà de ce que nous comprenons, a un sens ou est absurde.) affirme Russell dans  A.B.C. de la Relativité.

(Vous chercherez sur quel axiome arbitraire (= dogme) repose chacune de ces théories !)

Nous verrons ce problème de la VERITE, sous plusieurs angles : à travers les mythes, la philosophie: les théories de Platon, Descartes, Kant. Nous examinerons le point de vue de Freud, celui des artistes...Mais, situons ces théories dans la perspective de notre sujet.

4. La Vérité peut être objet d'une  REVELATION

("Révéler" signifie montrer en ôtant un voile.)

 Les mythes fondateurs  (qui utilisent tous un langage symbolique) sont des récits censés nous dévoiler le sens de notre existence, à plusieurs niveaux. Nous en interpréterons quelques uns au cours de l'année, comme par exemple:

-    Le mythe de Prométhée.

-    La Genèse, Bible.

-    Le conte du Petit Poucet.

-    Le mythe d'Œdipe.

-    Le mythe de Chronos.

Et plusieurs autres…

Nous essayerons d'en décoder quelques significations (réponses sur l'origine du monde, l'origine de l'homme, la place de l'homme dans le monde, l'origine du mal, le sens du progrès, les relations à l'intérieur de la famille, le rapport au temps......), à l'aide d'une technique qui s'appelle l'HERMENEUTIQUE

Faut-il supposer que les auteurs de ces récits aient été de grands sages ou aient eu des visions particulières, des prophéties, des informations spéciales, auxquelles le commun des mortels n'aurait pas accès? Dans ce cas la vérité relèverait de la FOI, et il suffirait de croire avec une certaine humilité. Nous aborderons ce thème dans le cours sur la RELIGION.

Mais peut-on faire confiance aux mythes, ne sont-ils pas les reflets de nos désirs plutôt que de l'ordre du monde? La quête de la vérité n'exige-t-elle pas une attitude active, un effort de l'esprit?

5. L'accès à la Vérité est le résultat d'une quête de l'esprit

(Ce problème sera l'objet de tout le cours sur: La PHILOSOPHIE  et la  METAPHYSIQUE.)

Ne sommes nous pas équipés d’une faculté plus fiable et plus objective que celle de nos désirs, l’esprit ?

PLATON: notre esprit peut être guidé vers la vérité.

Si notre esprit est de nature divine, (l'esprit ou l'âme dont la nature reste encore à définir), alors, il est en mesure de nous donner une perception juste de l'univers, par l'une de ses facultés spirituelle la plus noble : l'Intelligence. Dans l'ALLEGORIE de la CAVERNE, Platon montre (en faisant parler Socrate) comment un "prisonnier", c'est-à-dire un homme comme nous, qui croit à la réalité des apparences et de la matière, est "converti", c'est-à-dire "retourné", vers un aspect lumineux et plus réel du monde, puis guidé graduellement par un "initié", ("dialectique ascendante"), vers la réalité ultime, ("dialectique contemplative"). Là, il peut contempler directement, ("connaissance noétique"), la totalité de l'univers, ses différents niveaux, et en comprendre le fonctionnement et l'essence c'est-à-dire le "comment" et le "pourquoi", mais aussi savoir enfin QUI il est lui-même. C'est le moment de l'Illumination, où coïncident la joie de l'extase, la liberté, l'instant où l'être ténébreux, autrefois jouet de l'illusion, s'est transformé en être de lumière qui a accès au savoir absolu.

Nous verrons combien cette quête est difficile et douloureuse, et de quelle manière négative elle est perçue par les "ignorants" qui la refusent, et finissent par ridiculiser et tuer le sage. (Revoir tout le cours sur L'Allégorie de la Caverne.)       

N’y a t il pas un autre moyen de trouver la vérité qui soit accessible à tous (non élitiste), et n'exige pas l'aide d'un guide?
Ne serions-nous pas tous capables d'accéder seuls à la vérité? C'est ce que pense Descartes.

DESCARTES: notre RAISON nous suffit.

"Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" affirme Descartes. Il veut dire que  nous sommes tous équipés d'un outil "divin", le bon sens ou la RAISON. Il suffit d'apprendre à bien l'utiliser, avec méthode. Pour accéder à la connaissance de la vérité, il faut d'abord douter de tout ce qui n'est pas absolument certain, et chercher un "point fixe", c'est-à-dire une évidence dont il soit impossible de douter et qui, de ce fait, serait une vérité première. C'est le projet que  Descartes réalise dans les Méditations Métaphysiques.

Résumé: (Descartes parle à la première personne).

Je peux douter "raisonnablement":

1. Des opinions et préjugés.

2. Des informations venues de mes sens, vue, toucher, etc.. qui me trompent quelquefois.

3. De mon corps, de mon "sens interne". En effet peut-être suis-je fou? Mais si je ne suis pas fou, peut-être suis-je dans un rêve. Et comment savoir que l'on rêve, tant qu'on n'est pas réveillé? Impossible. Donc je suppose que je rêve et que mon corps est une représentation de mon rêve.

4. Des sciences: la physique et l'astronomie. En effet, si je rêve, alors les objets qu'elles étudient, les corps, les étoiles....ne sont que des compositions de mon imagination. Dans ce cas elles n'ont aucune valeur objective.

5. Des mathématiques. Apparemment il est impossible de douter "raisonnablement que 2+3=5, c'est-à-dire de la raison elle-même. Eh bien si! Pourquoi la raison en laquelle j'ai cette confiance absolue n'aurait-elle pas un vice de fabrication? Comment être sûr que mon auteur ou créateur (Dieu par exemple) ne se serait pas joué de moi, ne m'aurait pas "trompé" en me donnant un "outil" mensonger alors que je le crois parfait? C'est l'argument du "Dieu trompeur".

Ou peut-être le "vice" de la raison n'est-il pas dans sa fabrication, mais dans son utilisation. Ainsi, chaque fois que je pose que 2+3=5, qu'est-ce qui me garantit qu'un "malin génie" n'est pas en train de m'illusionner, en me donnant une impression de certitude, en jouant de son  pouvoir de me faire prendre le vrai pour le faux ou le bien pour le mal.

Douter de la validité du seul outil (la raison) avec lequel il soit possible de chercher la vérité, semble nous conduire dans une impasse.  Il n'y a absolument plus rien de certain. Même moi, je ne suis plus certain d'exister!

Or c'est justement au moment où mon esprit formule ce doute qu'il bute sur une certitude, comme un homme, en train de se noyer, touche enfin le fond.  Si moi, je me demande si j'existe :

il faut bien que j'existe pour pouvoir me poser cette question !

Donc, à chaque fois que je pense (en doutant de mon existence, par exemple), j'existe nécessairement : il y a forcément une pensée qui dit "je", c'est-à-dire un sujet qui existe pour pouvoir se poser la question de son existence. C'est ce que signifie cette expression célèbre de Descartes :

"cogito, ergo sum"  =      "Je pense donc je suis"          

J'existe, telle est la première vérité, le point fixe à partir duquel il est possible de construire l'édifice de la science. Pour l'instant, je ne suis qu'une "chose pensante", comment savoir si je suis autre chose, et s'il existe autre chose que moi  (= solipsisme : hypothèse selon laquelle la conscience est seule au monde, et les objets qu'elle perçoit, sont des êtres de sa propre fabrication, ou de sa propre représentation). Pour sortir de moi-même, il suffit que j'examine quelles sont les différentes pensées qui sont en moi. Parmi celles-ci, il en est une qui n'est pas du tout comme les autres, c'est l'idée de parfait. Or, dit Descartes, cette idée ne peut pas être créée par moi, puisque je suis imparfait. Si je ne suis pas cause de cette idée, c'est qu'il y a une cause à l'extérieur de moi, et cette cause est nécessairement parfaite: cette cause, c'est Dieu. Mais si Dieu est parfait, alors il ne peut pas m'avoir trompé. Il m'a donné un outil parfait, à son image, pour la connaissance de la vérité: la Raison.  Descartes vient de fonder "ontologiquement" (c'est-à-dire sur une existence qui lui paraît réelle) la possibilité de la science et sa valeur absolue de vérité. La seule difficulté consiste, pour chacun d'entre nous,  à savoir bien se servir de cet outil. Descartes nous en apprend le bon usage. Il suffit de respecter une méthode qui se résume en 4 préceptes:

1 - "Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie, que je ne la connusse évidemment être telle".

L'évidence consiste dans la clarté et la distinction. Une idée est claire quand elle est présente et manifeste à un esprit attentif. Elle est distincte, quand l'esprit voit ce qu'elle contient, et ce qui la différencie de tout autre.

2 - Diviser chacune des difficultés (...) en autant de parcelles qu'il se pourrait..."

3 - Conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples (...) pour monter peu à peu (...) jusques à la connaissance des plus composés...."

4 - Faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales que je fusse assuré de ne rien omettre"      
cf.  Le Discours de la Méthode.
 
A partir de cette méthode, l'homme peut comprendre l'ordre du monde, et en devenir comme "Maître et possesseur". Tel sera le bénéfice de la connaissance de la vérité, d’après Descartes.

Cependant, cet ordre que nous croyons apercevoir dans le monde, n'est-il pas en réalité celui de notre esprit, que nous "projetons" sur le réel, comme un "filtre", sans nous rendre compte qu'il ne reflète que nos propres structures? C'est ce que pense Kant.

6. Ce que nous prenons pour la Vérité n'est qu'une
"ILLUSION TRANSCENDANTALE"    KANT

En effet, le monde n'est certainement pas tel que nous le voyons. D'abord dans l'acte de perception, nous projetons les "formes de notre sensibilité" qui contiennent l'espace et le temps. Les objets que nous voyons sont des "phénomènes", ce ne sont pas les objets réels (que Kant nomme "noumènes", c'est-à-dire les choses telles qu'elles sont "en soi", indépendamment de la perception par notre esprit).Cf. l'image des "lunettes rouges" dans Le Monde de Sophie de Gaarder.

Il existe au XXème siècle une expérience qui peut suggérer une idée de ce que veut dire Kant:

On place un sujet dans une pièce noire et silencieuse. On lui pose des électrodes sur le crâne, au niveau des récepteurs sensoriaux, vue, ouïe, toucher, odorat...., et l'on envoie un très faible courant électrique sélectivement, et successivement sur les différents récepteurs. D'abord, le sujet "voit" des figures précises et colorées, qu'il peut décrire et mesurer sur le mur qui lui fait face.( On peut dire que la fonction touchée dans son cerveau a spatialisé le stimulus qui n'était que de nature électrique). Ensuite, il se met à entendre des sons qui se suivent dans la durée, (il a temporalisé le même stimulus), puis, il sent des "contacts" comme si de petits insectes se promenaient sur la peau de son visage, enfin, il sent des odeurs....... Bref, le même stimulus, le courant électrique, est traduit, ou plutôt interprété en fonction des zones qui reçoivent l'information. En conclusion, on peut dire que nous ne percevons pas la réalité, (ici le courant électrique), telle qu'elle est, mais nous la "transformons" en fonction de nos structures intérieures, c'est notre cerveau qui les interprète.

 (Attention, Kant vit au XVIIIème siècle et ne connaît pas l'électricité, ne pas faire d'anachronismes!)

Donc, dans un premier temps, selon Kant, notre "sensibilité" transforme les noumènes en phénomènes.

Dans un deuxième temps, notre "entendement", (il faut comprendre ici notre intelligence logique) pense, il faudrait plutôt dire "traite", (au sens traitement de l'information), les phénomènes à l'aide de "catégories" a priori, cela signifie qu'elles font partie de l'esprit, elles ne lui viennent pas de l'extérieur ou de l'expérience. Kant distingue 4 sortes de catégories, ou de principes de classification et d'analyse, (aujourd'hui on dirait peut-être "logiciels"): La qualitéla quantité, la relation, et la modalité. (Nous analyserons plus en détail ces différentes catégories dans le cours sur la logique.) 

Enfin, notre "Raison pure" (une faculté de synthèse supérieure) organise et synthétise toutes les données de l'entendement à partir de trois idées clefs: MOI, DIEU, le MONDE, et construit ainsi son schéma explicatif du monde (ce qu'on appelle métaphysique).

L'illusion transcendantale est le fait de confondre  ce qui n'appartient qu'aux  structures (Kant dit "catégories") de notre esprit avec le réel.

Par conséquent, tout ce que nous croyons connaître du monde n'est rien d'autre qu'une pure fabrication de notre esprit. A la question "que puis-je savoir?",  Kant répond : RIEN.

La quête de la vérité semble alors purement chimérique et vaine, c'est l'avis de NIETZSCHE

7. Le soupçon sur la vérité: la désillusion

Laissons parler NIETZSCHE, lui-même:

"En quelque coin écarté de l'univers répandu dans le flamboiement d'innombrables systèmes solaires, il y eut une fois une étoile sur laquelle des animaux intelligents inventèrent la connaissance. Ce fut la minute la plus arrogante et la plus mensongère de "l'histoire universelle" : mais ce ne fut qu'une minute. A peine quelques soupirs de la nature et l'étoile se congela, les animaux intelligents durent mourir. - Telle est la fable que quelqu'un pourrait inventer, sans parvenir cependant à illustrer quelle exception lamentable, combien vague et fugitive, combien vaine et quelconque, l'intellect humain constitue au sein de la nature. Il y eut des éternités dans lesquelles il n'était pas ; et si de nouveau c'en est fait de lui, il ne se sera rien passé. Car il n'y a pas pour cet intellect une mission plus vaste qui dépasserait la vie humaine. Il n'est qu'humain et il n'y a que son possesseur et producteur pour le prendre aussi pathétiquement que si les pivots du monde tournaient en lui. Mais si nous pouvions nous entendre avec la mouche, nous conviendrions qu'elle aussi évolue dans l'air avec le même pathos et sent voler en elle le centre du monde. Il n'est rien de si mauvais ni de si insignifiant dans la nature qui, par un petit souffle de cette force du connaître, ne soit aussitôt enflé comme une outre ; et de même que tout portefaix veut avoir son admirateur, ainsi l'homme le plus fier, le philosophe, entend bien avoir de toutes parts les yeux de l'univers braqués avec un télescope sur son action et sa pensée".  le Livre du philosophe III  p. 171 éd. Flammarion

"L'homme ne découvre que très lentement combien le monde est infiniment compliqué. D'abord, il se l'imagine tout à fait simple, aussi superficiel qu'il est lui-même. Il part de lui-même, le résultat le plus tardif de la nature, et il se représente les forces, les forces originelles, de la même manière que ce qui se passe dans sa conscience. Il prend les effets des mécanismes les plus compliqués, ceux du cerveau, pour des effets identiques à ceux des origines." (Idem § 80).

Les philosophes et les scientifiques ressemblent à des araignées laborieuses, qui tissent leur toile, puis se tiennent au milieu et croient être au centre du monde! (nous l'avons vu plus haut.)

Selon NIETZSCHE la quête de la vérité, non seulement est impossible et illusoire, mais elle relève de la pathologie, (d'une dégénérescence de l'instinct), et d'une arrogance orgueilleuse. Donc, il faut y renoncer.

A la quête de la vérité, totalement inutile et vaine, NIETZSCHE substitue celle de la beauté.

8. L'artiste ne traduit-il pas le monde mieux que quiconque?

Nous verrons dans le cours sur l'art, combien le regard de l'artiste a le pouvoir de "dire", ou de "signifier" plus que tous les langages réunis, et combien, parfois, il peut être "décapant", c'est-à-dire ôter aux choses le vernis des étiquettes usées et conformistes pour voir ce qu'il y a derrière. C'est ce qu'affirme Bergson :

"Qu'est-ce que  l'artiste ? C'est un homme qui voit mieux que les autres car il regarde la réalité nue et sans voiles. Voir avec des yeux de peintre, c'est voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons un objet, d'habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons ce sont des conventions interposées entre l'objet et nous ; ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l'objet et de le distinguer pratiquement d'un autre, pour la commodité de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l'usage pratique et les commodités de la vie et s'efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste."

Mais on peut objecter à BERGSON que la vision de l'artiste est essentiellement subjective.

"Je vois le monde comme je suis" écrivait Eluard.

Chaque artiste exprime sa vision du monde, chacun a son style propre, son génie unique, et qui se traduit dans toute sa peinture. Nous lirons dans le texte de M.YOURCENAR : Nouvelles Orientales l'histoire d'un peintre : Wang-Fo. Celui-ci ne percevait le monde qu'à travers un jeu de ressemblances; il était constamment dans l'irréel, dans SON imaginaire.

Freud va jusqu'à penser que ce qui se "dit" dans l'œuvre d'art, c'est le monde intérieur de d'artiste, donc SA propre "vérité", et non LA VERITE.

Mais il y a peut-être aussi, dans toute création esthétique, l'expression universelle d'un désir d'absolu et le refus du destin douloureux de l'humanité. Malraux considérait l'art comme un  "ANTI-DESTIN". Cette quête de perfection est elle alors le reflet d'une perfection réelle extérieure à nous?

N'est-elle pas avant tout l'expression de notre propre désir ?
  
Dés lors, plutôt que de chercher à comprendre le monde extérieur, ou de se laisser aller à la tentation de croire que les artistes seraient plus aptes que quiconque à nous le révéler, ne nous est-il pas plus facile et plus utile de chercher à connaître notre propre univers intérieur?

9. L'inconscient est le maitre de nos illusions. Il faut le débusquer

Il faudrait d'abord savoir quelle sorte de réalité nous sommes ou par quelle sorte de réalité nous sommes habités : notre psychisme. Comment il est constitué, quelles représentations, quelles forces il contient, comment il fonctionne dans notre rapport au monde, de quelle manière il nous donne, ou bloque, l'accès à "des" vérités (extérieures ou intérieures).

 Freud  découvre et nous montre combien l'inconscient peut parasiter nos facultés de connaître. A cause de la toute-puissance, invisible et protéiforme, de la libido (le désir sexuel), puis, par le biais du phénomène de la projection, (= le fait de "voir" le monde à l'image de ce que l'on est), l'inconscient  nous faire prendre des illusions pour des vérités. Freud nous montre aussi toutes les attitudes de défense que nous pouvons fabriquer pour nous protéger des "vérités" qui nous dérangent : rire, dénégation, colère, rationalisation.....jusqu'à Œdipe qui se crève les yeux!  traduisant tragiquement son désir de ne pas "voir" sa propre vérité.

Enfin Freud nous propose, à travers la psychanalyse dont il est l'inventeur, une herméneutique (technique de décodage) pour comprendre les messages qui nous viennent de cette zone ignorée de nous-mêmes : l'inconscient, qui contient toutes les représentations et les souvenirs oubliés, c'est-à-dire "refoulés", et contraint chaque  psychisme à fonctionner comme un filtre déformant. (Le coefficient de déformation étant propre à chacun.)  

Ricœur  a classé Freud parmi les penseurs du soupçon. Freud, en effet, remet en question tous les acquits, ou axiomes, sur lesquels était fondée la pensée traditionnelle, et en particulier notre prétention à accéder à la vérité. (Critique de la RELIGION: elle serait l'expression de tous les désirs frustrés, déplacés et projetés sur la figure de Dieu le Père, lieu par excellence de l'illusion. Critique de la PHILOSOPHIE chaque système serait une projection de la structure psychique de son auteur.)

(La conception  jungienne de l'inconscient  est beaucoup plus nuancée, et en même temps beaucoup plus mystérieuse, puisque selon le psychanalyste Jung, l'inconscient  serait le canal d'une sorte de sagesse invisible, qui nous informerait en permanence sur nous-mêmes et nous permettrait de comprendre notre "vérité" intérieure).

Si notre réalité psychique est la seule connaissable, et si nous sommes tous si différents, alors tous les points de vue se valent-ils et peut-on revendiquer chacun sa propre vérité?

10. A chacun sa vérité ?

Il est possible que chacun trouve sa vérité où il veut. Prenons comme exemple non plus le réel, mais un texte, et lisons-le, chacun à sa manière. Il est en effet possible et amusant de faire varier notre regard sur le texte, de trouver des perspectives, des points de vue, des angles, des messages différents, d'en faire surgir des significations imprévues.....

Ce que nous apprenons ici, sous forme de jeu, c'est l'utilisation des "grilles de lecture".

Prenons L'allégorie de la caverne, de Platon. Vous l'avez encore à l'esprit, mais voici un rappel des différents éléments du texte

 EXERCICE D'INTERPRETATION. Sur la caverne

 

 a

b

c

d

e

f

g

h.

i

j

k

l

m

caverne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

hommes
enchaînés

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

obscurité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Hommes
 libres

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Univers
hiérarchisé

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Soleil

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Messages

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Guide

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Montée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Libération

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour
Caverne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Meurtre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Grille orientale traditionnelle, à partir de la doctrine du YOGA. Cf M. Eliade. Le Yoga.

Il existerait à l'intérieur de l'être humain des "chakras" ou centres d'énergie-conscience (voir le schéma dans le cours sur la conscience. Peut-on relier chaque "chakra" à un niveau de la dialectique ascendante?

  1. Grille bouddhiste.

  2. Grille chrétienne.

  3. Grille mystique.

  4. Grille marxiste.

  5. Grille psychologique. O.Rank.

  6. Grille psychiatrique.

  7. Grille psychanalytique freudienne. (2 possibilités)

  8. Grille féministe.

  9. Grille biogénétique.

  10. Grille de la physique contemporaine: David Bohm, Pribram, et Dutheil dans son livre 

L'homme  Super-lumineux.

Il y a encore bien d'autres lectures....

Attention, vous avez sûrement remarqué que toutes les grilles n'étaient pas parfaitement adéquates, en ce sens qu'elles n'intègrent pas tous les éléments du récit. Que faut-il en conclure? (Voir le corrigé dans HERMENEUTIQUE)

La pratique de l'herméneutique est un art qui demande une grande rigueur.
 

En rester là, ce serait diluer complètement la notion de vérité et la réduire à néant. Or, il existe un code tout à fait particulier, très différent de ceux que nous venons d'examiner, ce code est universel, c'est le langage MATHEMATIQUE. Ce code a un pouvoir étrange, puisqu'il nous permet non seulement de décrire le monde, mais surtout d'agir sur lui, et de le transformer. C'est lui qui rend possible la science, et la maîtrise de plus en plus grande de l'univers.

 

11. La science et son langage mathématique comme code privilégié ?
La science est-elle "VRAIE" ?

Le langage mathématique apparaît comme un décodeur privilégié et efficace

On appelle SCIENCE, au sens moderne, une connaissance qui respecte les trois critères suivants :

1 - Elle s'exprime à l'aide d'un code logico-mathématique. Le réel doit pouvoir être traduit par des nombres, c'est-à-dire quantifié.

2 - Elle doit être vérifiable, et falsifiable. C'est-à-dire que l'on doit trouver une forme d'expérimentation, qui permette de  prouver soit qu'elle est vraie, soit qu'elle est fausse.

3 - Elle doit permettre de dégager des lois, c'est-à-dire des rapports nécessaires et constants entre les phénomènes, (= le déterminisme), donc elle permet la PREVISION.

C'est le sujet que nous allons aborder dans le cours sur la SCIENCE qui s'intitulera épistémologie, (c'est-à-dire la réflexion philosophique sur la science) et qui comprendra des chapitres sur la LOGIQUE, les MATHEMATIQUES, la THEORIE ET L'EXPERIENCE, la CONNAISSANCE DU VIVANT( c'est-à-dire la BIOLOGIE)...

Mais quelles sont les limites de la science ?

La science nous donne-t-elle du monde une compréhension fiable ? Est-elle en mesure de tout expliquer?  C'est ce dont nous discuterons ensemble plus tard.

Conclusion

Le cerveau (et les codes qu'il fabrique) est un intermédiaire absolu entre le monde et nous. Il est impossible de savoir si les structures, les modèles, les systèmes de représentation qu'il fabrique (= connaissances) sont adéquats ou non, au réel. Impossible de connaître le coefficient de distorsion par rapport au réel. Le cerveau laisse-t-il "circuler" l'ordre du monde d'une manière transparente, et par conséquent, nous informe-t-il sur le monde? Ou bien déforme-t-il?  Sur l'eau, par exemple, quelle est l'information la plus "vraie"? La sensation de "mouillé" du nageur? La perception visuelle de sa fluidité? Sa représentation artistique (surtout chez les Impressionnistes)? Ou sa formule chimique scientifique H2O?

D'après Einstein, nous ressemblons à :

"Un homme qui essaie de comprendre le mécanisme d'une montre fermée (...) il n'a aucun moyen d'ouvrir le boîtier. S'il est ingénieux, il pourra se former quelque image du mécanisme (...) mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable d'expliquer ses observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel".
 Einstein L'Evolution des Idées en Physique.

Le réel est précisément ce qui se dérobe.

Le langage est arbitraire, et conventionnel, c'est une création libre de l'esprit humain. Sons sens n'existe peut-être que par rapport à nous, comme un effet de mirage écrit  Lévi-Strauss dans la dernière page de Tristes Tropiques. Ce texte se trouve à la fin du cours sur L'Anthropologie.

Dans la philosophie bouddhique, la vérité est à chercher du côté du "non-sens", c'est-à-dire à l'extérieur de tout langage, dans le silence qui précède et qui suit tout discours, mais si l'on n'en peut rien dire cela est sans un valeur pour un Occidental puisque pour lui, c'est la parole qui fonde son essence.

MYTHE

PHILOSOPHIE

SCIENCE

Loin dans le temps
Récits qui mettent en scène des dieux, demi-dieux, héros
surnaturels.

donnent des réponses sur  - les origines,
La fin du monde  =  (eschatologie)

Origine historique
Discours

sur l'être humain.

 s'interroge sur le pourquoi des choses. = Le sens.

         XVII°
Discours

Sur le réel

qui explique le comment des choses. = Le fonctionnement des phénomènes.

L'ordre, la structure

Imaginaire,

 féerique, Traduit les désirs des hommes.
Monde enchanté

Obéit à la raison, à ses lois logiques. Il propose des hypothèses.
La philosophie est un système hypothético-déductif, c'est-à-dire un raisonnement qui se déduit à partir d'hypothèses. En cela elle ressemble à une axiomatique.

Obéit à la raison,

à ses lois logiques.

Parle par symboles et par
images.

Parle le langage linguistique normal.

S'exprime à l'aide d'un code logico-mathématique abstrait.

Objet: les liens entre l'homme et le monde surnaturel.

Objet : L'homme dans le monde.

Objet : le monde concret, la nature.

Rassure et enchante l'homme.

Inquiète et angoisse l'homme.

Satisfait la curiosité de l'homme.

Exemple de véracité

LE JUGEMENT DE SALOMON

"Deux femmes prostituées vinrent chez le roi, et se présentèrent devant lui. L'une des femmes dit : Pardon ! mon seigneur, moi et cette femme nous demeurions dans la même maison, et je suis accouchée près d'elle dans la maison. Trois jours après, cette femme est aussi accouchée. Nous habitions ensemble, aucun étranger n'était avec nous dans la maison. Il n'y avait que nous deux. Le fils de cette femme est mort pendant la nuit, parce qu'elle s'était couchée sur lui. Elle s'est levée au milieu de la nuit, elle a pris mon fils à mes côtés tandis que la servante dormait, et elle l'a couché dans son sein ; et son fils  qui était mort, elle l'a couché dans mon sein. Le  matin, je me suis levée pour allaiter mon fils ; et voici, il était mort. Je l'ai regardé attentivement le matin ; et voici, ce n'était pas mon fils que j'avais enfanté. L'autre femme dit: Au contraire ! c'est mon fils qui est vivant, et c'est ton fils qui est mort. Mais la première répliqua : Nullement ! c'est ton fils qui est mort, et c'est mon fils qui est vivant. C'est ainsi qu'elles parlèrent devant le roi. Le roi dit : L'une dit c'est mon fils qui est vivant et c'est ton fils qui est mort ; et l'autre dit : Nullement ! c'est ton fils qui est mort et c'est mon fils qui est vivant. Puis il ajouta :

Apportez moi une épée. On apporta une épée devant le roi. Et le roi dit : Coupez en deux l'enfant qui vit, et donnez-en la moitié à l'une et la moitié à l'autre.

 Alors, la femme dont le fils était vivant sentit ses entrailles s'émouvoir pour son fils et elle dit au roi : Ah mon seigneur, donnez-lui l'enfant qui vit, et ne le faites point mourir. Mais l'autre dit : Il ne sera ni à moi ni à toi ; coupez-le ! Et le roi, prenant la parole, dit : Donnez à la première l'enfant qui vit, et ne le faites point mourir. C'est elle qui est sa mère.

Tout Israël apprit le jugement que le roi avait prononcé. Et l'on craignit le roi, car on vit que la sagesse de Dieu était en lui pour le diriger dans ses jugements."
Bible.   I ROIS 3     (Traduction L. Segond).

L ' IGNORANCE : PASCAL

"Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle qui est le vrai siège de l'homme. Les sciences ont deux extrémités qui se touchent, la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant, l'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir trouvent qu'ils ne savent rien et se rencontrent en cette même ignorance d'où ils étaient partis, mais c'est une ignorance savante qui se connaît. Ceux d'entre eux qui sont sortis de l'ignorance naturelle et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-là troublent le monde et jugent mal de tout."

D.Desbornes. 2009